Après avoir passé quelques semaines à compléter les données que j’avais sur les changements de noms et à en chercher les raisons, je suis « tombé » sur l’étude de Michel Rouche dans son ouvrage « Le choc des cultures – Romanité, Germanité, Chrétienté durant le Haut Moyen-Age » paru en 2003, qui rassemble beaucoup plus de données que ce que j’avais pu collecter !
http://books.google.fr/books?id=BZBIyfk ... CC4Q6AEwAAJe ne reprendrai donc pas les données de cette étude, très complète, qui porte sur les changements de nom des chefs-lieux.
A titre d’exemple représentatif, ci-après l’évolution de nom de Augustonemetum vers Civitas Arvernorum sur les milliaires (d’après J.Corrocher 1981) :
La thèse de Michel Rouche est la suivante : la majorité des noms de chefs-lieux a changé entre 237 et 275, essentiellement dans le Nord de la Gaule, sous l’influence des aristocraties locales et municipales qui ont profité du relâchement de l’autorité romaine au IIIème siècle pour faire inscrire sur les milliaires de cette époque les noms ethniques qu’ils utilisaient en même temps que le peuple. Ce changement des noms des chefs-lieux serait donc dû à la régression passagère d’une civilisation gallo-romaine à son stade gaulois antérieur.
La thèse est tentante mais, malheureusement, la démonstration est très orientée et finalement peu probante.
Voyons page 25 les arguments principaux de MR (il haut lire le document de MR pour comprendre les commentaires) :
3) L’étude des milliaires prouve que le changement s’est opéré entre 237 et 275MR présente la liste des milliaires des différentes cités, avec la mention la plus récente du nom ancien et la plus ancienne du nom nouveau. Pour une soixantaine de cités à prendre en compte, il donne pour 27 d’entre elles une des 2 dates, et seulement pour 12 d’entre elles les 2 dates. Sa remarque «
N’oublions pas le côté artificiel du procédé qui consiste à faire des comparaisons entre des séries de milliaires incomplète en éliminant les non datés » ne l’empêche pas d’en déduire que « e
n gros, on peut conclure de ce dépouillement des milliaires actuellement recensés que les noms ethniques apparaissent et l’emportent durant une période qui s’étend de 235 à 275 ». Déduction audacieuse au vu des éléments présentés, qu’il confirme de façon péremptoire dans sa conclusion : «
L’étude des milliaires prouve que le changement s’est opéré entre 237 et 275 ».
Une analyse plus rigoureuse des données ne permet pas de donner une fourchette de dates aussi précise.
4) Les dédoublements de territoires par créations de cités nouvelles et les déplacements de chefs-lieux au IIIème siècle, prouvent que le nom ethnique gaulois reste attaché à un lieu précis qui était le chef-lieu du temps de l’indépendance Le fait est incontestable. La conclusion, banale, devrait être que le nom ethnique est attaché au nom de la ville. Si la pérennité du facteur gaulois était si importante, le nom ethnique aurait dû, ou pu, se déplacer. Celà n’a pas été le cas.
8) Enfin, le nom ancien s’est maintenu sous la plume des lettrés du Bas-Empire,…
(Page 17) MR cite (curieusement seulement dans la version grecque) l
’empereur Julien, comme exemple des hommes de lettres (qui) pratiquent encore l’ancien usage des noms de lieux,… et « qui écrit : J'étais alors en quartier d'hiver auprès de ma chère Lutèce : les Celtes appellent ainsi la petite ville des Parisii ».Commentaire de MR : «
L’empereur Julien distingue ainsi les deux usages en affectant, une préférence pour le premier,… »
Je ne comprends pas ce commentaire : Julien dit bien que ce sont les Celtes (et non pas lui) qui utilisent encore l’ancien nom de Lutèce. MR aurait-il mal compris pour nourrir son argumentaire ?
Page 24, un commentaire intéressant : «
pour la reconstruction, il faudrait se demander en même temps si l’édification des enceintes réduites n’est pas à mettre en relation avec ce changement de noms… Nous retrouvons donc toujours la même cause initiale : les invasions du IIIème siècle. Leurs ravages provoquent le changement de nom et la construction d’enceintes réduites ».
Cette remarque n’est bizarrement pas reprise par MR dans son résumé de la page 25.
Il semble pourtant que l’édification de ces enceintes réduites a fortement contribué à renforcer le rôle de la capitale de la civitas, et ainsi à pousser au glissement de nom de la civitas vers celui de sa capitale.
C’est en tout cas l’opinion de :
- JP. Bost et G. Fabre (Quelques problèmes d’histoire dans deux cités de l’Aquitaine méridionale à l’époque gallo-romaine – page 35)
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=c ... Prf5RbJwRg ,
- C. Delaplace et J France (Histoire des Gaules – ed. 2009 page 99),
- D. Martin (L’identité de l’Auvergne : mythe ou réalité – 2002 page 206) : « Ainsi la ville s’interposait entre l’Etat et sa propre civitas, si bien qu’à un moment on ne sait plus si civitas Arvernorum désigne le peuple des Arvernes ou la ville d’Augustonemetum. Au terme de cette évolution, le nom de la ville s’efface devant celui du peuple : c’est là le témoignage de la prééminence du centre urbain sur son territoire. »
http://books.google.fr/books?id=aV5sXUC ... CDAQ6AEwAA ,
qui n’ont pas suivi la thèse de la « résurgence du facteur gaulois » de M Rouche, mais expliqué ces changements de noms par l’importance de plus en plus importante prise par les capitales au sein de leurs civitates respectives.
Après la lecture de ces différents documents, on peut résumer l’évolution des noms suivant le processus suivant :
- Les noms des peuples gaulois ont, au moins depuis la conquête romaine, été accolés au nom (gaulois, gallo-romains ou romains) des chefs-lieux de cité (
Lutetia Parisiorum)
- Au IIIème siècle, sous la menace des invasions, ces villes se fortifient avec des enceintes réduites (au moins dans une grande partie nord de la Gaule). La capitale de la cité devient représentative de la cité et prend très souvent son nom. Cette évolution s’est peu produite au sud de la Gaule, où les villes ont été moins touchées par ces invasions.
- Si le « facteur gaulois » a joué, ce n’est sans doute pas le facteur déterminant.