C'est moi qui ai lancé ce débat. Et j'espère ne pas l'avoir posé dans des termes qui soient la cause de petits accrochages.
Bien évidemment, je penche pour la solution centrale. A savoir que César avait un tas d'informateurs et qu'il était tenu au courant de nombreux conciliabules et même complots. Qu'il était au courant de bribes de celui-ci, sans pour autant en connaître les détails, en se doutant que Cassius et même je crois Brutus en étaient, mais sans imaginer qu'ils passeraient vraiment à l'acte ni que certains de ses plus proches amis y participaient.
Les sources disent même, pour montrer à la fois son détachement à l'égard de ce genre de choses et sa clémence, que quand il apprenait un complot, il faisait afficher des placards disant qu'il était au courant de tel ou tel complot, espérant ainsi que cela suffirait à désarmer les comploteurs.
Quand on le mettait en garde contre des complots pouvant être organisé par Antoine ou Dolabella, il répondait qu'il ne craignait rien de gens bien gras et bien coiffés, mais qu'il se méfiait au contraire des gens maigres et au teint pâle, faisant ainsi allusion, du moins l'estime-t-on, à Cassius et Brutus.
Je crois même qu'un jour, quelqu'un a fait allusion à la possibilité que Brutus participe à un complot contre sa vie, et que César a rétorqué quelque chose du genre : "Brutus saura bien patienter que ce corps retourne en poussière".
Selon moi, l'assassinat de César illustre plusieurs choses.
D'abord qu'il avait perdu le contact avec les contingences pourtant très réelles de la vie politique. Homme pressé se sentant effectivement vieillir et percevant aussi très lucidement qu'il ne parvenait pas à faire accepter la solution politique qu'il souhaitait ou qu'il n'arrivait pas à inventer LA solution politique, il manifestait un agacement facile devant ces contrariétés et se consacrait à des projets de grande ampleur.
Ensuite, qu'arrivé à ce point, la perspective d'un pouvoir aussi ouvertement monarchique troublait beaucoup de sénateurs, y compris parmi ses plus proches. Que Cassius ait comploté, ce n'était pas une surprise ni la 1ère fois. Que Brutus hésite, c'était assez facilement concevable, parce que contrairement à l'image d'Epinal, Brutus n'était pas le favori de César, ni son fils adultérin, ni son héritier potentiel. En revanche, que Decimus Brutus et Trebonius aient rejoint les comploteurs, c'était une surprise. Or ce sont ces 2 personnes qui ont joué le rôle décisif dans le succès de l'assassinat.
Trebonius a retenu Antoine hors de la Curie au moment fatidique. Et surtout, Decimus Brutus qui, voyant que César ne venait pas (mal dormi, ne se sentant pas très bien, mauvais présages et insistance de sa femme), est allé le chercher chez lui et l'a quasiment traîné de force jusqu'à la Curie.
Enfin, le rôle d'Antoine lui-même n'est pas exempt d'ambiguïtés. L'analyse et l'interprétation de Luciano Canfora dans son
César le dictateur démocrate, évoque l'hypothèse qu'Antoine ait pu lui aussi chercher à jouer sur tous les tableaux :
- se montrer le plus docile des flatteurs de César en le poussant à la solution monarchique dont Antoine lui-même s'avéra plus tard partisan en orient, de façon à éventuellement bénéficier de la reconnaissance de César si la solution monarchique réussissait.
- éventuellement être prêt à prendre la relève si le choix plus marqué de la solution monarchique entraînait la mort de César, dont on oublie que quand la foule et Antoine lui proposa le diadème, il montra sa gorge et dit qu'ils n'avaient qu'à l'égorger plutôt que de continuer à lui proposer le titre royal. César était conscient que cela revenait au même.
On oublie en effet que si les conjurés ont laissé Antoine en vie et ont envisagé de s'entendre avec lui, c'est parce qu'il n'avait pas dénoncé un 1er projet de complot de Trebonius en 45.
L'hypothèse du suicide assisté à l'insu des conjurés existe, en effet. Elle est intéressante. Cependant, je ne crois pas que qui que ce soit ait pu dire que César était malade en phase terminale. Il avait de temps en temps une crise de ce qu'on a cru être de l'épilepsie. Mais à mon avis, ni lui ni ses médecins n'aurait pu diagnostiquer ce genre de maladie.
Comme plusieurs l'ont aussi dit, rien dans l'hyperactivité de César ne laisse deviner d'aussi graves problèmes de santé.
Si les conjurés ont été si pressés de passer à l'acte, c'est parce que César avait prévu de réunir une dernière fois le Sénat avant de partir pour sa grande campagne parthique. Un homme qui décide finalement de se suicider ne réunit pas 16 légions en orient pour rien.
D'autre part, et là dessus les sources sont concordantes, Aurelianus a raison de rappeler que César a été surpris et s'est défendu comme un beau diable dans la curie de Pompée. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle ces hommes fébriles ne sont pas parvenu à exécuter proprement un meurtre qui a tourné à la boucherie. Cela n'empêche pas que César n'hésitait pas à s'exposer au danger lors des combats. Mais un homme qui aurait voulu un suicide assisté ne se serait probablement pas débattu ainsi.
Sur la succession et le rôle d'Octave, il ne faut pas tomber dans le piège de l'hagiographie augustéenne qui tend à montrer que César avait toujours choisi Auguste comme héritier et que des présages des dieux l'avaient désigné comme futur maître du monde dès l'année de sa naissance.
Julia la grand-mère de César est morte en 51 et ses funérailles ont eu lieu la même année, alors qu'Octave n'avait que 12 ans. L'absence de Rome de son grand-oncle l'a conduit à prononcer l'oraison funèbre à un âge exceptionnellement précoce puisqu'il n'avait pas encore revêtu la toge virile.
Il ne faut cependant pas oublier qu'Octave n'est devenu l'héritier de César qu'en septembre 45.
Un faisceau de faits et de présomptions convergent pour montrer qu'après la mort de Pompée, le successeur auquel César pensait était son petit cousin, Sextus Julius Caesar, petit-fils de l'oncle paternel du César, portant le même prénom, et qui avait été consul en 91.
Un indice est que les sources probablement déformées par les soins d'Auguste font de Sextus Julius Caesar un portrait très défavorable, comme pour lui faire payer le prix d'avoir été dans un 1er temps préféré au jeune homme.
Octave était certes très intelligent et César a pu percer cela. Cependant, il n'était pas le seul. Et surtout, il est établi non seulement qu'Octave n'avait aucun talent militaire mais surtout qu'il était un froussard qui se débrouillait pour se tenir à l'écart du champ de bataille. Ses maladies au moment des combats étaient peut-être réelles, mais elles étaient le résultat de la frousse qui lui tenaillait les entrailles.
En revanche, je rejoins ceux qui pensent que le testament de César ne pouvait pas avoir qu'une dimension privée. Ne serait-ce que parce que César avait fait adopter une décision qui prévoyait que le grand pontificat serait héréditairement transmis à son fils.
Le fait qu'Octave ait été désigné pontife en 48 par son grand-oncle grand-pontife ne doit à mon sens pas avoir plus de portée que l'élection de César au flaminat de Jupiter quand il avait à peu près le même âge. D'ailleurs, à cet âge, Octave n'avait pas entamé son cursus honorum. Cecit dit, il est vrai qu'Octave semble avoir été désigné comme maître de la cavalerie pour l'orient du dictateur César en 44. Ce qui pour un jeune homme de pas encore 19 ans et sans talent militaire était là tout à fait exceptionnel.
On ne le saura évidemment jamais, mais il est vraisemblable que la désignation d'Octave comme héritier d'un énième testament devait n'avoit qu'une dimension contingente.
César allait partir plusieurs années, à bientôt 56 ans, pour une campagne majeure. Il lui fallait parer à l'éventualité d'un décès. Mais il ne devait pas désespérer d'avoir un fils. C'est d'ailleurs ce qui était prévu dans son testament puisqu'il y désignait Decimus Brutus et Antoine comme tuteurs de son fils pour le cas où en mourrant il laisserait un enfant mineur.