Pensabene a écrit : Dans la caricature de Commode, peut-on faire une flèche ou plutôt une courbure allant des commentaires antiques à Gladiator (où là on verse dans le parricide et la légende noire absolue) ? Ce que je veux dire, c'est que le Commode de Gladiator vient sans doute de loin et n'est pas qu'une nouvelle fantaisie de Ridley Scott (c'est une question).
Commode a voulu jouer au gladiateur, il s'est donné en spectacle grimé ainsi lors de plusieurs représentations à la grande indignation de la classe sénatoriale qui y voyait un terrible abaissement de la dignité impériale. Les sénateurs ont toujours eu du mal avec l'idée d'un pouvoir absolu qui permet virtuellement n'importe quel souverain caprice. Hérodien, Livre I : [47] Commode ne gardait plus de mesure. Il fit annoncer des jeux où il promettait de tuer de sa propre main toutes les bêtes qu'on lâcherait dans l'arène, et de combattre ensuite corps à corps les plus habiles gladiateurs. Dès que cette nouvelle se répandit, il vint de toute l'Italie et des contrées voisines une grande affluence, attirée par l'espoir d'un spectacle qui jamais n'avait eu lieu, et dont l'on n'avait même point d'idée. Son adresse à lancer le javelot et à tirer de l'arc était devenue célèbre ; il avait la réputation de ne jamais manquer le but. Il avait pour maîtres des Parthes, très habiles archers, et des Maures qui excellaient au maniement du javelot ; mais l'élève triomphait de tous ses maîtres. Quand le jour des jeux fut arrivé, une foule immense remplit l'amphithéâtre. On avait élevé à l'entour une galerie du haut de laquelle Commode, sans s'exposer aux dangers d'un combat, lançait en sûreté des javelots sur les bêtes féroces du cirque, et faisait parade d'adresse, mais non de courage. Il tua d'abord des cerfs, des daims et des bêtes à corne de toute espèce, excepté des taureaux. Il descendit de sa galerie pour combattre ces animaux; il les poursuivait, et prévenait la vitesse de leur fuite par la rapidité et la sûreté de ses coups. II tua ensuite, du haut de la galerie, qu'il parcourait en lançant des traits, des lions, des panthères et des bêtes fauves de toute espèce. Jamais il ne visa deux fois le même animal, et tous ses coups étaient mortels. A peine la bête s'était-elle élancée dans l'arène, qu'elle tombait frappée au front et au cœur. Il ne dirigeait ses traits que vers ces parties de leur corps; aussi le javelot ne frappait jamais ailleurs, et l'animal recevait la mort avec la blessure. On rassemblait pour lui des animaux de toutes les parties du monde ; et nous vîmes alors pour la première fois en réalité des monstres que nous n'avions encore vus qu'en peinture. De l'Inde, de l'Éthiopie, du midi et du septentrion, on lui amenait des animaux jusqu'alors inconnus dans nos climats; Commode les donnait en spectacle aux Romains, et les faisait tomber sous ses coups. On ne se lassait point d'admirer sa prodigieuse adresse. Quelquefois il se servait de flèches armées d'un fer en croissant, contre des autruches de Mauritanie. Ces oiseaux, sans quitter la terre, courent avec la plus grande rapidité, poussés par leurs ailes comme par des voiles. Commode les visait avec tant d'adresse et de force qu'il leur coupait le cou, et dans cet état, l'impétuosité de leur élan les entraînait quelque temps encore. Un jour, une panthère s'était jetée avec la rapidité du vent sur un homme descendu dans le cirque; déjà elle avait saisi le malheureux et allait le déchirer. Commode lance son javelot, abat la panthère, sauve l'homme, et par un heureux coup prévient la morsure des dents acérées du monstre. Un autre jour, on fit sortir de leurs loges cent lions, qu'il tua les uns après les autres avec un pareil nombre de javelots. On les laissa longtemps étendus sur l'arène, chacun les compta à loisir; tous les javelots avaient porté.
[48] Jusqu'alors, quoique cette conduite de l'empereur fût contraire à la dignité d'un prince, elle ne laissait point de plaire au peuple, parce qu'elle prouvait de la force et de l'adresse. Mais lorsque Commode vint à se montrer nu dans l'amphithéâtre et à combattre, armé de l'épée, des gladiateurs, ce fut pour le peuple un triste et douloureux spectacle, de voir un empereur romain, d'une si auguste origine, et dont le père et les ancêtres avaient obtenu tant de triomphes, au lieu de combattre les Barbares, au lieu de prendre des armes vraiment dignes d'un souverain de Rome, déshonorer la majesté de l'empire par le honteux appareil d'un gladiateur. Dans ces luttes infâmes, Commode n'avait point de peine à être vainqueur. Aussi se contentait-il de blesser ses adversaires, qui n'avaient garde de lui disputer la victoire, et qui dans leur antagoniste reconnaissaient toujours l'empereur. Son extravagance franchit bientôt toutes les limites : il voulut quitter sa demeure impériale, pour habiter le gymnase des gladiateurs. Il renonça au nom d'Hercule et se fit donner celui d'un gladiateur célèbre qui venait de mourir. Il fit ôter la tête de la statue colossale du Soleil, si révérée des Romains, la remplaça par la sienne, et fit inscrire sur le piédestal, non pas la liste des vertus qu'il eût pu tenir de son père, ou qu'on devait exiger de son rang, non pas le titre de vainqueur des Germains, mais ces mots : Commode, vainqueur de mille gladiateurs.(désole je tourne un peu trop avec Hérodien mais c'est celui que j'ai lu le plus récemment. Dion Cassius est d'ailleurs souvent un peu plus fiable, mais cela donne une idée). Pour ce qui est du parricide il ne me semble pas qu'il y aie des sources qui documente une telle rumeur, à voir. En tout cas Ridley a fait un grand mélange de plein de choses pour faire son Gladiator mais son inspiration première reste cinématographique ; le film La chute de l'Empire romain d'Anthony Mann (1963). Pensabene a écrit : Sur le côté intellectuels : jusqu'à peu je pensais que le mot était apparu / réservé à la période de Zola et ensuite puis récemment j'ai relu les intellectuels au Moyen Age de Le Goff et surtout d'autres médiévistes qui utilisent ce mot sans problème. Bref, que recouvre ce terme pour l'antiquité ? (Optimates populares ?) C'est plus un emploi de facilité langagière qu'une volonté de délimiter une classe sociale cohérente et homogène. Dans l'Empire les réalités sociales sont trop différentes pour qu'on puisse calquer les logiques de société apparaissant au XVIIIe et XIXe siècle, notamment sur le versant de l'aspect public de l'intellectuel. A Rome, si la culture classique savait déborder sur l'espace public elle ne me semble pas impliquer activement les masses et amener à la naissance d'une opinion publique.
_________________ Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.
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