Je ne peux que m'inscrire en faux contre vos affirmations, Hérodote.
Je pense que vous tombez dans tous les poncifs développés par la propagande augustéenne et que vous allez même jusqu'à les exagérer.
Je ne prétends pas que ce soit la meilleure biographie, mais il est indispensable de lire au moins une biographie de Marc Antoine. Celle de François Chamoux, par exemple, a le mérite d'exister.
Antoine fut tout sauf un crétin, sauf une brute avinée, ou un homme violent.
D'abord, premier point, l'hypothèse selon laquelle César aurait organisé son suicide pour permettre à son petit-neveu de lui succéder est de très loin la plus fantaisiste de toutes celles qui ont été émises sur le décès de César. Nous avons d'ailleurs déjà eu l'occasion d'en discuter.
Il est quand même bon de se souvenir qu'Octave ignorait que César l'avait adopté et en avait fait son héritier.
Le plus probable est que le choix d'Octave comme héritier par César était la nouvelle solution d'attente à laquelle César s'était résolu en septembre 45. Il avait d'ailleurs eu bien d'autres héritiers. A commencer par Pompée entre 59 et 48, puis son cousin Sextus Iulius Caesar entre 48 et le meurtre dudit Sextus en 46.
Octave n'était qu'un pis-aller, une solution d'attente, choisie dans sa famille faute de pouvoir désigner un fils de son sang comme héritier.
Tout simplement parce qu'en droit romain, un testament ne pouvait être remplacé que par un autre testament. Autrement dit, une fois Pompée décédé, il fallait que César désigne un nouvel héritier dans son testament. Et idem une fois que Sextus Iulius Caesar fut à son tour décédé.
Pour mémoire toujours, il est bon de rappeler que César n'a pas désigné qu'un seul héritier dans son dernier testament. Il y avait ses 2 autres neveux, Pedius et Pinarius.
Et en seconde ligne, en cas de décès des héritiers directs, il y avait notamment Decimus Brutus, l'un des assassins. Si Octave était mort, Decimus Brutus aurait hérité. Pensez-vous qu'on aurait alors pu dire que César avait voulu et planifié l'accès de Decimus Brutus au pouvoir suprème ?
Je ne crois pas qu'on puisse dire que Marc Antoine se soit orientalisé.
Marc Antoine a juste commis quelques erreurs et a aussi été victime d'impondérables.
Il a surtout commis la faute politique de laisser Octavien prendre le contrôle politique de l'Italie et de résider à Rome alors que l'Italie devait rester en indivision et que chaque triumvir devait en réalité gouverner sa partie d'empire.
L'autre faute majeure d'Antoine, c'est d'avoir tactiquement choisi de combattre sur mer en 31 au lieu de livrer bataille sur terre où il aurait vraisemblablement battu les généraux d'Octavien.
Sur le plan politique, Antoine était incarnait avant tout une variante du césarisme : celle qui s'assumait pleinement monarchique.
N'oublions pas non plus que si Auguste a déguisé son pouvoir suprème sous la forme d'une prétendue restauration de la république, c'est précisément parce que c'était la seule solution politique qui lui permettait de s'opposer à Antoine sur le plan des symboles.
Il est assez piquant de constater qu'une bonne partie de l'histoire du principat est l'histoire d'une série d'empereurs qui auraient bien voulu renouer avec les formes ouvertement monarchiques du pouvoir d'Antoine alors que le compromis augustéen les en empêchait. Confèrent par exemple : Germanicus (qui n'a certes pas régné), Caligula, Néron, les flaviens et tout particulièrement Domitien.
Les beuveries d'Antoine ? Elles relevaient du dionysisme.
L'armée d'Antoine ? Elle était largement italienne. Son problème était qu'Octavien avait pris le contrôle de l'Italie et l'empêchait de recruter de nouveaux légionnaires en Italie, contrairement au pacte triumviral.
Je doute qu'Octavien ait eu de meilleurs précepteurs qu'Antoine. Je rappelle aussi au passage qu'Antoine était un grand orateur alors qu'Octavien était un besogneux.
Le seul complexe d'infériorité qu'Antoine ait pu nourrir envers Octavien, c'est vis-à-vis de l'avantage symbolique et politique considérable que conférait à Octavien le fait d'avoir été adopté par César. Etre l'héritier du nom de César et des clientèles qui allaient avec était un avantage considérable.
Cela n'enlève rien au fait qu'Octavien était un homme politique génial, méthodique et finalement vainqueur.
Mais il n'est pas besoin de faire d'Antoine un crétin ou un raté pour autant.
Ceci étant dit, pour répondre aux questions de Florian, je pense que :
1 - Le triumvirat était une solution temporaire, une solution d'attente.
Lors des premiers partages, Antoine avait eu les Gaules. Si après Philippes il a pris l'orient, c'est parce que ces provinces étaient les plus riches, qu'il était sur place, qu'il fallait lever des sommes énormes pour régler le problème des vétérans, et qu'il lorgnait bien sûr sur l'orient. L'image d'Alexandre et la tentation d'égaler ou dépasser la glorie du conquérant macédonien étaient irrésistibles.
D'ailleurs, juste après Actium, Octavien ne s'était vu attribuer que les provinces d'Espagne. Pas celles de Gaule. Et il y avait une bonne raison à cela. Antoine avait la plus grande armée. Il était aussi le principal artisan de la victoire militaire sur les armées de Cassius et Brutus. Et il était un bon général alors qu'Octavien avait la frousse sur les champs de bataille.
C'est la guerre de Pérouse qui a permis à octavien de prendre par un coup de force le contrôle de l'Italie. Et ensuite, la paix de Brindes a conduit à ce qu'il y ait un partage orient-occident. Encore qu'alors l'Afrique était le domaine de Lépide, le 3ème triumvir.
Il n'y a jamais rien eu d'irrésistible, d'inéluctable ou d'évident dans l'ascension d'Octavien. C'est d'ailleurs ce qui la rend d'autant plus remarquable.
Il est en tout cas admis par à peu près tout le monde qu'Octavien et Antoine ne pouvaient pas s'encadrer et que chacun attendait de réunir les conditions requises pour régler son compte à son partenaire-rival.
2 - Je ne crois pas qu'on aurait pu assister à un schisme parce qu'Antoine s'est toujours voulu un romain. Lui comme Octavien avaient besoin de l'Italie. LLes armées romaines étaient essentiellement italiennes. C'était au nom de Rome qu'ils gouvernaient leur part d'empire. Même s'ils la gouvernaient en monarques de fait.
C'est d'ailleurs (en partie) la volonté de maintenir (à leur profit) l'unité de l'empire, qui poussait les différents imperatores à se faire des guerres civiles.
3 - Je suis convaincu qu'Antoine n'a pas été instrumentalisé par Cléopatre. La propagande augustéenne et le talent shakespearien ont fait croire à cela.
Antoine était le proconsul d'orient vis-à-vis duquel Cléopatre était une reine cliente.
Certes, elle pesait plus lourd que sous César en raison de la division en 2 de l'empire et à cause de sa grande richesse. Il y a donc eu accord politique et projet politique commun. Mais Antoine était bien le patron, même si son accord politique avec Cléopatre, dont certains à-côtés ont été habilement exploités par Octavien, lui a nui sur le champ politique romain.
Une historiette très révélatrice raconte qu'à son retour à Rome en 29, Octavien aurait été émerveillé de recevoir d'un oiseleur un espèce de ménate qui était capable de répéter à peu près les mots suivants : "Avé César, empereur (imperator) victorieux".
Mais qu'un voisin jaloux de l'oiseleur aurait révélé qu'il y avait un autre volatil qui débitait les mots suivants : " Ave Antoine, empereur victorieux."
Autrement dit, contrairement à la propagande, Antoine était resté très populaire à Rome. La guerre civile n'était pas populaire. Et surtout, beaucoup pensaient qu'Antoine avait de fortes chances de l'emporter.