Non, je pense que vous surinterprétez, parce que ce n'est pas exactement ce qui s'est passé. Notre seule source là-dessus est Tacite : il ne dit pas que les conservateurs interprètent ce crime comme un résultat des moeurs dépravées de l'époque néronienne (d'ailleurs, le motif possible du meurtre est un refus d'affranchissement), et il ne dit pas non plus que Néron ait été opposé au supplice des esclaves : au contraire, il réprimande le peuple qui s'y oppose. Bref, cet épisode ne dit rien du tout, à moins de forcer le texte, sur le règne de Néron en lui-même.
Je mets le texte ici (malheureusement, les versions disponibles sur Internet sont des traductions anciennes et pas les meilleures) : XLII. Peu de temps après, le préfet de Rome Pédanius Sécundus fut tué par un de ses esclaves, soit qu'il eût refusé de l'affranchir après être convenu du prix de sa liberté, soit que l'esclave, jaloux de ses droits sur le complice d'un vil amour, ne pût souffrir son maître pour rival. Lorsque, d'après un ancien usage, il fut question de conduire au supplice tous les esclaves qui avaient habité sous le même toit, la pitié du peuple, émue en faveur de tant d'innocents, éclata par des rassemblement qui allèrent jusqu'à la sédition. Dans le sénat même un parti repoussait avec chaleur cette excessive sévérité, tandis que la plupart ne voulaient aucun changement. Parmi ces derniers, C. Cassius, quand son tour d'opiner fut venu, prononça ce discours : XLIII. "Souvent, pères conscrits, j'ai vu soumettre à vos délibérations des demandes qui allaient à contredire par des règlements nouveaux les principes et les lois de nos pères, et je ne les ai pas combattues. Non que je doutasse qu'en toutes choses la prévoyance des anciens n'eût été mieux inspirée que la nôtre, et qu'innover dans ses décrets, ce ne fût changer le bien en mal ; mais je craignais que trop d'attachement` aux coutumes antiques ne fût attribué au désir de relever la science que je cultive ; et de plus, je ne voulais pas affaiblir, par une opposition habituelle, l'autorité que peuvent avoir mes paroles, afin de la trouver entière au moment où la république aurait besoin de conseils. Ce moment est venu, aujourd'hui qu'un consulaire est assassiné dans ses foyers, par la trahison d'un esclave, trahison que pas un des autres n'a ni prévenue ni révélée, quoique aucune attaque n'eût encore ébranlé le sénatus-consulte qui les menaçait tous du dernier supplice. Décrétez maintenant l'impunité : qui de nous trouvera dans sa dignité de maître une sauvegarde que le préfet de Rome n'a pas trouvée dans sa place ? qui s'assurera en de nombreux serviteurs, lorsque quatre cents n'ont pas sauvé Pédanius ? A qui porteront secours des esclaves que déjà la crainte de la mort n'intéresse pas à nos dangers ? Dira-t-on, ce que plusieurs n'ont pas rougi de feindre, que le meurtrier avait des injures à venger ? Apparemment il avait hérité de son père l'argent de sa rançon, ou l'esclave qu'on lui enlevait était un bien de ses aïeux ! Faisons plus : prononçons que, s'il a tué son maître, il en avait le droit. XLIV. Veut-on argumenter sur des questions résolues par de plus sages que nous? Eh ! bien, si nous avions celle-ci à décider pour la première fois, croyez-vous qu'un esclave ait conçu le dessein d'assassiner son maître, sans qu'il lui soit échappé quelque parole menaçante, sans qu'une seule indiscrétion ait trahi sa pensée ? Je veux qu'il l'ait enveloppée de secret, que personne ne l'ait vu aiguiser son poignard : pourra-t-il traverser les gardes de nuit, ouvrir la chambre, y porter de la lumière, consommer le meurtre, à l'insu de tout le monde ? Mille indices toujours précèdent le crime. Si nos esclaves le révèlent, nous pourrons vivre seuls au milieu d'un grand nombre, sûrs de notre vie parmi des gens inquiets pour la leur ; enfin, entourés d'assassins, si nous devons périr, ce ne sera pas sans vengeance. Nos ancêtres redoutèrent toujours l'esprit de l'esclavage, alors même que, né dans le champ ou sous le toit de son maître, l'esclave apprenait à le chérir en recevant le jour. Mais depuis que nous comptons les nôtres par nations, dont chacune a ses moeurs et ses dieux, non, ce vil et confus assemblage ne sera jamais contenu que par la crainte. Quelques innocents périront. Eh ! lorsqu'on décime une armée qui a fui, le sort ne peut-il pas condamner môme un brave à expirer sous le bâton ? Tout grand exemple est mêlé d'injustice, et le mal de quelques-uns est racheté par l'avantage de tous." XLV. A cet avis de Cassius, que personne n'osa combattre individuellement, cent voix confuses répondaient en plaignant le nombre, l'âge, le sexe de ces malheureux, et, pour la plupart, leur incontestable innocence. Le parti qui voulait le supplice prévalut cependant. Mais la multitude attroupée, et qui s'armait déjà de pierres et de torches, arrêtait l'exécution. Le prince réprimanda le peuple par un édit, et borda de troupes tout le chemin par où les condamnés furent conduits à la mort. Cingonius Varro avait proposé d'étendre la punition aux affranchis qui demeuraient sous le même toit, et de les déporter hors de l'Italie. Le prince s'y opposa, pour ne pas aggraver par de nouvelles rigueurs un usage ancien que la pitié n'avait pas adouci.
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