Je ne crois pas que Pompée était un personnage falot. Je pense plutôt que Pompée était avant tout un opportuniste, et même un ... pompéien.
Au final, à vouloir jouer sur tous les tableaux, on finit par se griller de tous les côtés.
Ainsi, Pompée est passé dans le camp de Sylla très tardivement : en 83 une fois que celui-ci avait débarqué en Italie. Ceci dit, il a joué le jeu et a été un des lieutenants les plus précieux de Pompée, lui apportant un appoint tellement apprécié que Sylla a favorisé la carrière de Pompée.
Mais dès 79, Pompée fait l'opportuniste et il soutient Lépide pour l'élection au consulat de 78. Ce qui l'a brouillé avec Sylla au point qu'il fut le seul des "amis" de Sylla à ne pas figurer sur son testament.
Ce qui intéresse Pompée, c'est avant tout de se faire donner des commandements extraordinaires par ceux qui sont en mesure de les lui donner. Parce que Pompée a compris des expériences de Marius, de Sylla et de son propre père (consul en 89) que c'étaient ces commandements qui étaient devenus la principale source de pouvoir (gloire, richesses, popularité).
Dès que la sédition de Lépide se produit, Pompée repasse du côté des optimates.
Puis il se fait confier un imperium proconsulaire pour aller combattre Sertorius en Espagne auprès de Metellus Pius.
Quand il revient en 71, Pompée se fait le partisan des revendications des populares. La restauration complète des droits anciens des tribuns que Sylla avait réduits à la portion congrue pour neutraliser le tribunat de la plèbe.
Cela a même été son principal slogan de campagne. Et probablement est-ce dû au fait qu'il n'aurait pas été élu s'il n'avait pas appuyé cette revendication. J'ajoute que sa candidature a été acceptée en violation complète des lois de Sylla puisque non seulement il n'avait jamais été magistrat mais surtout qu'il n'avait pas l'âge requis.
Ensuite, il ne sait plus trop quoi faire car il craint de voir son capital de prestige s'émousser. Surtout qu'il s'est mis à dos une bonne partie des optimates qui ne supporte pas de voir émerger un nouvel imperator au prestige exceptionnel qui menace la suprématie du Sénat et l'égalité aristocratique par sa simple existence.
Et tout au long de ces années, il va intriguer auprès des milieux populares et surtout des chevaliers pour se faire donner des commandements exceptionnels : celui contre les pirates, puis celui contre Mithridate dont il est à peu près établi que c'est bien Pompée qui s'est débrouillé en sous-main pour le faire enlever à Lucullus (qui précisément mécontentait fortement les chevaliers et les publicains en Asie).
Fin 62, Pompée revient en ayant conduit des campagnes plus lointaines et plus glorieuses qu'aucun romain avant lui.
Le problème, c'est qu'avec toutes les manoeuvres qu'il a faites pour en parvenir là, Pompée a exacerbé les rancoeurs, les jalousies et l'opposition des optimates à son encontre.
Et comme, respectant la légalité, il a débandé son armée en revenant en Italie, il se retrouve à la merci du Sénat qui bloque toutes ses demandes légitimes. Sa gloire se révèle vaine.
Les optimates (mais pas seulement eux) veulent lui faire subir un grave revers politique en ne ratifiant pas ses actes en orient et en ne donnant pas de terres à ses vétérans. Pompée a pourtant cru qu'il serait accueilli à bras ouverts. Il avait demandé à Caton de lui donner en mariage une fille de sa famille mais Caton, une des principales figures des optimates, a refusé.
Mais cela n'empêchait pas Pompée d'être très populaire. Sauf à être quelqu'un qui prend les gens à rebrousse-poil comme Lucullus, le peuple aime les imperatores victorieux et glorieux. César était certes déjà très populaire à Rome et en Gaule transpadane, mais il n'était pas au niveau de Pompée avant son consulat de 59 (et surtout avant ses premières grandes victoires en Gaule).
Un des coups de génie de César a été d'avoir conscience de ce qui unissait toutes les oppositions diverses aux optimates. En proposant à Crassus et Pompée qui se détestaient et se neutralisaient une alliance à trois, il a réussi à neutraliser les optimates. Pendant son consulat de 59, il se fait le fidèle allié de Pompée, tout en réussissant le coup de force de s'autonomiser en proposant des mesures propres à lui attirer une popularité à lui seul (la loi donnant des lots de terres aux citoyens pauvres pères de 3 enfants et des mesures symboliques qui le posent comme le seul vrai popularis parmi les 3 triumvirs).
Les optimates ont jeté Pompée, qui ne demandait qu'à être reconnu comme le premier d'entre eux, dans les bras de César.
Et en se jetant dans les bras de César, Pompée rendait encore plus furieux les optimates et les boni.
Seuls des modérés comme Cicéron essaieront de détacher Pompée de César, sans succès.
D'une certaine façon, on peut dire que Pompée en 62 attendait que le Sénat et la noblesse lui reconnaissent la place qu'il estimait devoir être la sienne, à savoir la première. Il a péché par naïveté. Il n'y avait qu'un moyen de parvenir à cette place : s'y imposer.
Mais il faut vraiment revenir sur les années 54-49.
Crassus est parti en Syrie dès la fin 55. César, à compter de 54, est pris dans des campagnes moins réussies qu'escompte dans les Gaules.
Et Pompée, qui a pourtant reçu un proconsulat sur les Espagnes de 5 ans (54-49) ne s'y rend pas.
Magnifiquement joué parce qu'il a obtenu la bénédiction des autres triumvirs pour faire administrer ses provinces par des légats (préfiguration du gouvernement proconsulaire d'Auguste). En effet, alors que ce sont 2 optimates durs, Lucius Domitius Ahenobarbus (ennemi personnel de César qui s'est juré de lui faire retirer son proconsulat et de le juger) et Appius Claudius Pulcher qui sont consuls, César a besoin que son allié et gendre reste à proximité de Rome pour y contrôler le jeu politique. Sinon, les triumvirs perdront la maîtrise de la scène romaine.
Julia meurt à l'automne 54 et là on voit Pompée esquisser un rapprochement avec les optimates en refusant les nouveaux arrangements matrimoniaux que lui proposait César.
Pompée va jouer le pourrissement parce qu'il a réussi à faire comprendre aux optimates que c'était lui qui était en mesure de dicter les termes d'une entente politique. Choisissez entre :
- un triumvirat où le Sénat est complètement contourné et rendu impuissant, où ce sont les bandes armées des populares qui font la loi,
- ou bien une alliance des boni dont moi, Pompée, je serai la figure de proue et ensemble nous rabaisserons ces populares dont César est le chef naturel.
En 52, Pompée réussit à cumuler, chose complètement illégale, le consulat unique et son imperium proconsulaire.
En 50 et début 49, le Sénat et surtout les optimates décident d'interdire à César ce que des lois lui reconnaissaient afin de pouvoir le liquider judiciairement alors que par ailleurs il vote une prorogation de 5 ans du proconsulat espagnol de Pompée. C'est Pompée qui est chargé d'organiser la défense de l'Italie.
Il a réussi à se rallier les optimates, le Sénat et la majorité des élites municipales italiennes.
Cela n'empêche pas que César soit très populaire, très certainement plus populaire que Pompée (notamment dans la plèbe urbaine, en Etrurie et dans le Samnium, vieilles régions de tradition marianiste). Mais Pompée tient les élites comme Octavien à la veille de relancer la guerre civile contre Antoine.
Mais la grande faiblesse de Pompée a été sa présomption et sa naïveté. Il a fait certes le constat que le rapport des forces penchait globalement en sa faveur (il tient l'Italie et tout l'empire sauf les Gaules). Mais il a dû croire que ce net avantage sur le papier ne pouvait pas être tourné. Bref, il n'avait manifestement pas la capacité d'anticiper les réactions de son adversaire ni la capacité d'imaginer des solutions de contournement. Il manquait de vision dynamique.
Or précisément, César avait quelques avantages :
- vitesse et surprise,
- la meilleure armée du moment, aguerrie,
- une réelle popularité en Italie et à Rome qui lui laissaient espérer de pouvoir conquérir rapidement l'opinion,
- un génie de la propagande ("ces pompéiens et ces optimates sont d'horribles syllaniens qui vont proscrire et massacrer à tour de bras alors que moi je prône la clémence").
Il avait la lucidité et la faculté d'adaptation qui faisait qu'il refusait d'entrer dans les plans de l'ennemi parce que celui qui dicte les conditions de l'affrontement a le plus de chances de l'emporter. Pas question de laisser à Pompée le temps de faire monter en puissance son dispositif. Pas question de permettre aux forces pompéiennes d'Espagne (7 légions assez aguerries) de le prendre en sandwich avec les forces que les pompéiens constituaient dans les Balkans.
Pas question de respecter le rythme sacral de la guerre. On attaque en plein hiver, dès la mi-janvier 49. On fonce. On fait perdre la face à l'adversaire en prenant tout de suite le contrôle de son Picenum natal qui se trouve être en plus la région où Pompée était le plus susceptible de lever des recrues italiennes.
Bref, j'abrège pour rappeler que malgré tous ses défauts et ses erreurs, Pompée a failli vaincre César en lui infligeant un cuisant revers à Dyrrachium en juin 48 (l'armée césarienne subit mille morts dans une sortie réussie des pompéiens qui rompent ainsi le siège que leur imposait César, et plusieurs légions césariennes fuient avant d'etre finalement réunies). César a reconnu lui-même que si l'ennemi avait eu un général qui savait vaincre (en l'occurence prendre le camp césarien), la guerre était perdue pour luice jour-là.
Finalement, c'est dans les difficultés qu'on reconnaît les plus grands généraux. César a su se relever d'un grave revers qui aurait pu être fatal. Il ne laissera pas passer l'occasion qui se présentera (et qu'en fait il a largement suscitée) à Pharsale.
Tout ça pour dire que Pompée n'était pas insignifiant ou falot parce qu'il a perdu.
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