Ca change tout avec ce sujet qui est un commentaire de texte.
La mort de Cicéron, c’est autre chose que sa mort politique.
Mais vous avez là d’ores et déjà une belle conclusion toute trouvée. Déjà il y a 21 siècles, on avait conscience qu’on n’est jamais mort politiquement tant qu’on n’est pas mort physiquement. Et c’est bien pour cela que, dans un contexte de radicalisation politique et de préparation du grand affrontement militaire avec les césaricides, les triumvirs, même Octavien qui était certainement le mieux disposé des trois à l’encontre de Cicéron, pouvaient difficilement laisser en vie un adversaire aussi emblématique que Cicéron qui risquait de leur miner le terrain en Italie.
Je suis d’accord avec Helios quand il vous met en garde contre la source qu’est Velleius Paterculus, qui était en effet un ami de Tibère, et surtout un des 2 hagiographes de César et Auguste avec Nicolas de Damas.
Antoine finalement vaincu militairement et politiquement, et victime ensuite d’une véritable damnation mémoriae, était pour Auguste le bouc émissaire tout trouvé de toutes les horreurs de la guerre civile qui a de nouveau éclaté quelque temps après l’assassinat de César.
Je n’oublierai pas de contredire Helios sur un point : son affirmation selon laquelle le véritable héritier politique de César aurait été davantage Antoine qu’Octavien qui aurait surtout été son héritier familial.
Votre extrait commence donc par une référence à la formation du triumvirat, à l’automne 43, avec les accords de Bologne et l’adoption de la lex Titia.
Novembre 43 alors que César est mort en mars 44, il y a là un écart d’un an et demi qui doit vous interroger.
Pourquoi un tel délai ? Et pourquoi Cicéron, qui avait jusque là réussi à survivre à la guerre civile, au pouvoir du 1er triumvirat et à la guerre civile alors qu’il avait pourtant, après avoir tergiversé et cherché à réconcilier Pompée et César, a-t-il cette fois été la 1ère victime du nouveau triumvirat formé par :
- Antoine, ancien consul de 44 qui avait été le maître du jeu politique à Rome après l’assassinat de César, et qui tenait illégalement la Gaule cisalpine en 43,
- Lépide, ancien maître de la cavalerie du dictateur César, et qui était alors proconsul en Gaule Transalpine et en Espagne cistérieure,
- Octavien, le petit-neveu et fils adoptif de César qui venait, après un coup de force et une marche sur Rome, de se faire élire au consulat avec son cousin Quintus Pedius ?
Telle est la question.
Comme l’a souligné Helios, ce texte de Velleius Paterculus nous en dit davantage encore par ce qu’il déforme que par ce qu’il rapporte.
Il y a une raison à cela. Quand Velleius Paterculus écrit, Auguste a été divinisé après son décès et il est le fondateur du Principat, le prétendu restaurateur de la république dont la stabilité est maintenue grâce à la tutelle d’un Premier citoyen, celui qui a ramené la paix et la concorde civile et amené un nouvel âge d’or, si on en croit Virgile.
Entre le 15 mars 44 et le vote de la lex Titia, tout l’édifice politique élaboré par César est en morceaux, décapité par l’assassinat du dictateur qui, précisément, n’avait pas encore donné une forme institutionnelle aboutie à son système de pouvoir. César n’avait pas désigné de successeur d’une manière suffisamment claire.
C’est d’abord Antoine qui va emporter le morceau en maintenant la paix civile grâce à un accord avec les césaricides et le parti qu’on peut globalement appeler antimonarchique. Antoine fait valider les actes de César, il fait même parler le mort dont l’autorité est énorme vu qu’il avait complètement noyauté le système politique romain entre 49 et 44. En échange, les assassins sont amnistiés. Bref, Antoine a réussi à se poser en médiateur qui a épargné à la patrie une nouvelle guerre civile, et en nouveau chef du parti césarien.
Certes le Sénat a relevé la tête, mais Antoine ne respecte pas ses prérogatives. Il a même réussi à éloigner Cassius et (Marcus, pas Décimus) Brutus de Rome.
Mais voilà que le retour d’Octavien à Rome va faire éclater l’équilibre politique construit à son profit par Antoine. Octavien se pose d’abord en jusqu’au boutiste qui veut venger l’assassinat de son père adoptif. Et il recueille de très nombreux appuis parmi les clients de César et surtout parmi les anciens vétérans de César.
Octavien pousse à la rupture, si bien que la position de médiateur que s’était construit Antoine n’est plus tenable. D’autant moins tenable que le Sénat veut retrouver pleinement ses anciennes prérogatives et qu’Antoine est l’obstacle principal à cette restauration.
Le résultat est que, pendant qu’Antoine rétablit l’ordre en Italie et se fait tirer dans le dos par le Sénat qui veut maintenir la situation acquise par les césaricides (comme Decimus Brutus en Gaule cisalpine), Octavien va se rapprocher du Sénat et s’allier avec les anciens opposants à son père.
La guerre de Modène éclate fin 44. Et Antoine se retrouve en position de faiblesse.
C’est alors Cicéron qui est à la bataille. On ne peut pas parler de la mort de Cicéron sans évoquer les philippiques et le fait que Cicéron a été le fer de lance de l’opposition à Antoine, prenant un rôle bien plus grand et glorieux que celui, finalement assez facile, qu’il avait joué dans la répression de la conjuration de Catilina.
La politique de Cicéron consistait à diviser l’ancien parti césarien en jouant le jeune Octavien contre Antoine, afin de gagner du temps pour que Brutus et surtout Cassius, qui ont réussi à se rendre maîtres de toute la partie orientale de l’empire romain, puissent aguerrir leurs forces et revenir en Italie.
On peut supposer qu’Octavien était ensuite destiné à être éliminé une fois le parti anticésarien vainqueur mais cela reste une supposition.
Antoine est vaincu dans la guerre de Modène, grâce principalement à l’action d’Octavien. A signaler que la guerre de Modène, ce sot des généraux césariens (les consuls Hirtius et Pansa) appuyés par le fils adoptif de César qui se battent contre un ex-consul césarien (Antoine).
Antoine se replie en bon ordre en Gaule, et là, il réussit finalement à rallier Munatius Plancus qui tient toute la Gaule chevelue, Lépide qui tient la Narbonnaise et l’Espagne cistérieure, et Asinius Pollion (qui a bien caché son jeu et essayé d’annoncer le plus tard possible son ralliement) qui tenait l’Espagne ultérieure. Pourquoi ? Grâce à son charisme et surtout au fait que tous les légionnaires commandés par ces proconsuls ont en commun d’être d’anciens soldats de César dont Antoine était le principal lieutenant.
Pendant ce temps, à Rome, le Sénat, contre l’avis de Cicéron, essaie d’abaisser Octavien, de l’humilier et refuse de le laisser accéder au consulat, récompensant au contraire des césaricides.
Cicéron envisageait, lui, de partager le consulat suffect en 43 (suite au décès de Hirtius et Pansa) avec Octavien. Il était assez logique : maintenir à tout prix la division du parti césarien entre d’un côté Antoine et de l’autre Octavien.
Devant ce refus, Octavien rentre avec ses troupes dans Rome et se fait décerner par le force le consulat avec son cousin Pedius.
Cicéron a échoué, principalement à cause du refus de nombreux sénateurs de suivre sa stratégie.
Quant à Octavien et à Antoine, leurs soldats refusent de se combattre. Et surtout, Antoine affiche désormais un nombre beaucoup plus importants de légions (Gaules et Espagnes). Les anciens césariens, pour ne pas risquer d’être battus séparément par les légions de Cassius et Brutus, se réconcilient donc. Avec le seul objectif autour duquel ils puissent s’unir : venger César et se partager le pouvoir.
Dans ce contexte, celui d’un affrontement militaire décisif entre césariens et césaricides qui se partagent le monde romain, il n’est pas admissible que l’Italie puisse être agitée par des opposants comme Cicéron qui essaierait de scier la planche aux césariens, surtout à Antoine qu’il hait et qui le lui rend bien.
Pour les césariens, il fallait que Cicéron meure. Certes, Antoine avait des raisons personnelles d’en vouloir à Cicéron. Mais l’alliance des triumvirs avait un prix. Il leur fallait asseoir leur pouvoir par la terreur et par l’élimination de leurs adversaires puisqu’ils interprétaient l’assassinat de César comme la preuve que sa politique de clémence avait échoué.
Quant à la figure de Cicéron, une fois les fureurs des guerres civiles passées, il devenait un homme consensuel. Et un symbole bien utile, lui qui était le principal porte-parole des élites municipales italiennes.
Octavien pouvait bien pleurer après coup sur la mort de Cicéron. En 43, il n’avait pas les moyens de s’opposer à sa proscription, et probablement n’en avait-il pas fortement envie. Il n’était pas dupe du fait que Cicéron avait essayé de le berner et cherchait à l’éliminer. Vous imaginez Cicéron lui-même accepter de toutes façons de vivre dans un régime monarchique lui qui avait enfin décidé de se lancer à fond dans la bataille après la mort de César qu’il appelait le tyran ?
A noter que vous n’échapperez pas à une référence aux proscriptions de Sylla.
Et pour répondre à Helios, sur le véritable héritier politique de César, je pense que les rôles ont tout simplement changé selon les circonstances. Le fait qu’il ait gouverné l’orient héllénistique (ainsi que son inclination personnelle) ont conduit Antoine à adopter et afficher un mode de gouvernement plus ouvertement monarchique.
Mais pourtant, alors que début 41 Octavien est de retour à Rome, c’est Antoine et ses partisans (son frère notamment) qui prend le rôle plutôt pompéien de défenseur des intérêts des aristocraties municipales contre les vétérans qu’Octavien tente tant bien que mal d’installer sur des lots de terres en Italie.
Je pense donc que si Octavien a joué le rôle du restaurateur de la république et du défenseur de l’Italie, c’est parce que c’est le meilleur atout qu’il a trouvé dans son jeu politique.
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