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Message Publié : 05 Oct 2008 16:13 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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C’est une décennie pour laquelle il aurait été passionnant de disposer de sources plus riches qui auraient pu nous éclairer sur des événements aussi forts que parfois étonnants.

En 133, le tribun Tiberius Sempronius Gracchus, petit-fils de Scipion l’africain (par sa fille cadette Cornelia) meurt assassiné au cours d’une émeute déclenchée par son cousin germain, Publius Cornelius Scipio Nasica Serapio, lui aussi descendant de l’africain (par sa fille aînée elle aussi prénommée Cornelia).
Et lorsque Scipion Emilien, petit-fils adoptif de l’africain et beau-frère de Tiberius Gracchus (il a épousé sa sœur Sempronia) rentre en triomphateur de Numance après ce dénouement tragique, il condamne l’action de son défunt beau-frère et déclare qu’il a mérité d’être tué.

Qu’est-ce qui a bien pu conduire les membres de la plus puissante alliance familiale que connaissait alors l’aristocratie romaine à s’opposer et se déchirer d’une telle manière ?

L’histoire romaine est pourtant illustrée de plusieurs exemples où les membres d’une même famille n’étaient pas sur la même « longueur d’ondes » politique mais qui faisaient preuve de solidarité familiale ou à tout le moins de retenue vis-à-vis de leurs frères, cousins et parents.

Il semble que les relations entre ces parents descendants du grand Africain étaient difficiles.

Lors de la 3ème guerre punique, le tout jeune Tiberius s’était pourtant engagé dans le consilium de son cousin et beau-frère et s’y était comporté brillamment.

La référence la plus évidente, c’est l’affaire espagnole du traité de consul Mancinus, dont Tiberius Gracchus était le questeur en 137. L’armée romaine subit une défaite. De par son prestige, le jeune Tiberius Gracchus négocie un traité qui garantit la sauvegarde de cette armée vaincue. De retour à Rome, le Sénat, emmené notamment par sa plus prestigieuse figure, Scipion Emilien, refuse de ratifier le traité. L’honneur du jeune Tiberius Gracchus est gravement atteint.

On sait ensuite que Tiberius Gracchus au moment de son tribunat, était gendre d’Appius Claudius Pulcher, le grand ennemi politique de Scipion Emilien. Que son frère Caius Gracchus était gendre de Publius Licinius Crassus Dives Mucianus, lui-même beau-frère d’Appius Claudius Pulcher.

Quelle sens donner à cette alliance familiale et, par ailleurs, quand s’est-elle nouée ?

Appius Claudius Pulcher, c’est le principal ennemi politique de Scipion Emilien, un homme qui ne reculera devant rien pour tenter de réhausser son propre prestige un tant soit peu à hauteur de celui d’Emilien et de rabaisser celui d’Emilien.
C’est le rival malheureux d’Emilien à l’élection de 142 pour la place de censeur patricien. C’est celui qui réussit la fois suivante à se faire élire censeur patricien et qui dans la foulée, réalise le tour de force de se faire désigner par son collègue (et allié) plébéien comme prince du Sénat alors que de toute évidence ce titre honorifique aurait du revenir à Scipion Emilien.

Est-ce que cette alliance entre les Gracques et les Claudii était une alliance inoffensive, ayant pour objet d’élargir les appuis des Gracques ? Déjà descendants de Scipion l’africain, ils auraient acquis en plus le soutien des puissants Claudii, ce qui aurait encore accru leurs moyens et soutiens.
Si tel est le cas, alors les Gracques se seraient trop étendus, et selon l’adage « qui trop embrasse mal étreint », auraient vu cette tentative d’alliance élargie échouer face à ses propres contradictions.

Ou bien, est-ce que cette alliance entre les Gracques et les Claudii était un signe de défiance envers Scipion Emilien ? Et si oui, à qui l’initiative de la discorde familiale ? Scipion ou les Gracques ? Et quand est survenue la discorde ?

Un point nous éclaire, sans cependant nous donner de réponse, soulevé fort judicieusement par Munzer. L’un des fils du tribun Tiberius Sempronius Gracchus est mort en Sardaigne, où il accompagnait son oncle Caius Gracchus qui y était alors questeur.
Caius Gracchus ayant été questeur en Corse entre 126 et 124, son neveu qui devait avoir forcément revêtu la toge virile, et donc avoir 16 ans, était donc né au minimum en 141.
Reste une incertitude : il n’est pas assuré que la Clodia Pulcher était la 1ère épouse de Tiberius Gracchus. Toberius Gracchus a pu ne l’épouser qu’en secondes noces, après un veuvage précoce ou un divorce.

Mais on voit bien qu’il est fort possible que le mariage entre Tiberius Gracchus et Clodia Pulcher, fille d’Appius Claudius Pulcher, le grand ennemi de Scipion Emilien, remonte à 143 ou 142, en pleine période de gros clash entre les deux rivaux.

Rappelons par ailleurs le fait que non seulement Tiberius, mais aussi son frère Caius, étaient mariés avec des filles issues de la même famille (l’alliance entre les Claudii, les Licinii et les Mucii).

Certains ont émis l’hypothèse que le long cheminement politique du père des Gracques auprès des Claudii (il a été consul en 177 et censeur en 169 avec Caius Claudius Pulcher, le père d’Appius) a pu conduire ceux-ci à finalement pencher pour une alliance avec les Claudii.

Cette hypothèse me paraît cependant faiblarde. En effet, si l’alliance remonte aux environs de 143/142, Tiberius avait alors 20 ans et son frère Caius seulement 9 ans. Auquel cas ils auraient été bien trop jeunes pour conclure cette alliance de leur propre chef : leur mère Cornelia, la fille cadette de Scipion l’africain, a vraisemblablement alors joué un rôle décisif dans la conclusion de cette double alliance matrimoniale.

Sans pouvoir émettre autre chose que des hypothèses, il semble que Scipion Emilien se soit fâché avec beaucoup de monde et n’ait pas su maintenir autour de lui tout le réseau d’alliances dont il pouvait potentiellement tirer parti. Scipion Emilien semble avoir été un personnage particulièrement cassant et sarcastique : comme Cicéron, il ne pouvait pas résister à fustiger ses pairs d’un trait d’humour acerbe, ce qui a dû lui aliéner un certain nombre d’alliés potentiels. Il était fâché avec les Aurélii. Il s’est fâché avec les Metelli et avec le premier des Pompéi à atteindre le consulat (il faut dire que celui-là l’a roulé dans la farine).

Et apparemment, Scipion Emilien s’est fâché avec sa famille d’adoption.

Il semble y avoir eu un réel litige matériel/financier avec non seulement Cornelia la mère des Gracques, mais vraisemblablement aussi avec l’autre Cornelia, fille aînée de Scipion l’africain, mariée à un Scipion Nasica Corculum, au sujet de leur dot.
Même chose avec Aemilia, la veuve de Scipion l’africain, qui était par ailleurs la vraie tante de Scipion Emilien (la sœur de son père Lucius Aemilius Paullus Macedonicus) : soit sur son douaire, soit sur les biens des Cornelii, car il est attesté que Scipion Emilien a donné une forte somme à sa mère utérine, Papiria (dont son père avait divorcé pour se remarier), suscitant ainsi la colère des Scipions.

D’une certaine façon, Scipion Emilien ne devait pas être considéré comme un vrai Scipion. C’était une « pièce rapportée », alors que l’africain avait des petit-fils de son sang (du côté des Sempronii et des Scipiones Nasicae). D’où le mariage imposé avec Sempronia, qui était elle véritablement du sang de l’africain, et dont on devait attendre qu’elle lui donne un fils qui soit un vrai Scipion, jusqu’à ce qu’elle s’avère stérile. Il semble d’ailleurs qu’il ait voulu se comporter politiquement plus comme son véritable père (Aemilius Paullus Macedonicus) que comme son grand-père adoptif.

Le résultat de la rupture des années 143/142, c’est un affaiblissement politique du cercle des Scipions. Dans les fastes consulaires des 12 années qui suivent, au mieux les choses sont équilibrées entre les partisans de Scipion Aemilien et les alliés de Claudius Pulcher, au pire ce sont les alliés de Claudius Pulcher qui dominent.

Il est marquant qu’en 136, ce soit un autre que Scipion Emilien qui ait été désigné prince du Sénat. Il est tout aussi marquant qu’en 141, plutôt que Scipion Emilien qui était le personnage le plus prestigieux de l’Etat, ce soit Scipio Nasica Serapio qui ait été élu grand pontife à la suite de son propre père.

Tout aussi énigmatique est le fait que Scipion Emilien, lors de son décès à 56 ans (en 129), n’ait, faute d’enfant issu de son mariage avec Sempronia, pas choisi d’avoir un fils adoptif alors que la plupart des aristocrates sans descendance recouraient à l’adoption. Il aurait voulu que la lignée des descendants mâles (par le sang ou par l’adoption) de l’africain s’éteigne avec lui qu’il ne s’y serait pas pris autrement.


Enfin, il faut se garder de ne voir l’histoire romaine que via la lorgnette familiale et personnelle. Au plan politique, ce qui marque les années 142/140, c’est que le cercle pourtant éclairé des Scipions, a priori ouvert aux réformes nécessaires, y renoncera par crainte de ne pas pouvoir surmonter les obstacles et oppositions :
- Scipion Emilien comme censeur et homme politique le plus puissant de Rome,
- Son ami Laelius, consul en 140, qui avait projeté une réforme agraire pour répondre (déjà) au problème des citoyens sans terre, et qui y abandonnera son projet face aux oppositions. Il y gagnera le surnnom de Sapiens, « le sage ».

Il n’est pas à exclure que les oppositions familiales et personnelles d’une part, et le désaccord politique sur les réformes socio-économiques d’autre part, se soient nourris mutuellement pour décider les Claudii, les Licinii, les Mucii, ainsi que les jeunes Gracques, à porter jusqu’au bout les projets de réforme agraire qu’ils jugeaient indispensables.


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Message Publié : 05 Oct 2008 17:28 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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barvo pour cet exposé qui témoigne d'une belel connaissance de l'histoire de la république.

Pour moi, il y a deux phénomènes qu'on sous-estime toujours avec les Gracques liés à leur archaisme (ils sont devenus révolutionnaires malgré eux)
- ils sont réactionnaires, dans le sens où ils sont attachés aux principes de la constitution idéale (équilibre des trois pouvoirs) - certes dans le détail ils sont prêts à faire évoluer les institutions pour atténuer le côté aristocratique de la république mais ils sont fondamentalement opposés aux tendances monarchiques d'Emilien ... et cherchent à faire vivre les assemblées populaires
- ils sont réactionaires car attachés à la paysannerie, à la petite propriété toutes choses sympathiques mais alors en voie d'obsolescence ...

Quant à Emilien, n'est il pas (avec l'Africain) le prototype de l'"Impérator" qui cherche à dominer la république par son charisme (et son armée), préfigurant la monarchie ? n'est il pas attaché à la culture grecque, bref plus tourné vers le vaste monde que vers les paysans du Latium ??


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Message Publié : 11 Oct 2008 14:31 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Bien d'accord avec vous sur la dimension principalement réactionnaire de la politique de Tiberius Gracchus, au plan agraire. En revanche, ce qui est foncièrement nouveau et révolutionnaire chez les Gracques au regard des schémas socio-politiques qui ont alors cours à Rome, c'est pour la 1ère fois aussi clairement cette idée de la souveraineté populaire qui s'esquisse.

Quand Tiberius Gracchus décide de faire déposer son collègue Octavius parce que ce dernier, en usant de son droit de véto à l'encontre d'un projet de loi qui rencontre de toute évidence l'assentiment d'une très large majorité du corps électoral, aurait trahi les devoirs de sa charge, c'est rien moins que l'idée du contrôle des magistrats par les citoyens, voire celle du mandat impératif, qui s'esquisse.


Pour Scipion Emilien, je ne suis pas d'accord avec vous.

Scipion Emilien n'était pas le seul imperator de la république romaine. Il était juste, en considérant les différents individus, le plus prestigieux, le plus puissant et le plus influent.
Il n'avait pas une armée permanente.

Il y a eu d'autres imperatores qui ont été ses contemporains : par exemple Metellus Macédonicus, Mummius Achaïcus et d'autres encore qui pesaient très lourd sur la scène politique romaine.

Ce n'est pas parce qu'on a envisagé de nommer Scipion Emilien comme dictateur en 129 dans les semaines qui ont précédé sa mort qu'il faut en conclure qu'il aurait été une sorte de précurseur de Sylla, de Pompée ou de César. Si tel avait été le cas, Cicéron n'en aurait pas fait le modèle des princes de la république.

Ce qui est très trompeur, avec Scipion Emilien, c'est son nom d'adoption.

Certes, il semble avoir usé de méthodes démagogiques au début de sa carrière pour réussir à se faire élire illégalement (il n'avait pas l'âge requis et n'avait pas franchi les étapes prérequises du cursus honorum) consul la 1ère fois et confier la conduite de la 3ème guerre punique.

Mais il faut quand même prendre en considération que le vieux Caton l'ancien était l'un des soutiens du jeune Publius Cornelius Scipio Aemilianus.

Même s'il a été adopté par le fils de Scipion l'africain, il semble que Scipion Emilien ne s'est mis dans les pas de l'illustre Africain que pour accéder à un commandement aussi prometteur que celui qu'avait exercé son grand-père adoptif.

Une fois qu'il est devenu "africanus minor" et donc la principale figure de la république romaine, il a juste été la cible de ses rivaux jaloux (rien que de très classique), mais il n'est pas apparu comme une figure à ce point dominante qu'elle aurait menacé l'équilibre aristocratique.
Et surtout, il a adopté une attitude très stricte sur le plan politique, parcimonieuse et plutôt traditionnaliste.

Autrement dit, malgré son adoption par les Scipions, Scipion Emilien me semble être resté, par son comportement politique, beaucoup plus un Aemilius Paullus qu'il n'est devenu un Cornelius Scipio.

Et sur la fin de sa vie, il a payé très chèrement sa prise de position contre Tiberius Gracchus.
En effet, la politique des Gracques était très populaire. En condamnant l'action de son beau-frère, Scipion a pour la 1ère fois de sa vie connu l'impopularité. Après l'assassinat de Tiberius Gracchus, c'est le parti qui l'avait soutenu (alliance des Claudii, des Licinii et des Mucii) qui domine lors des élections et qui parvient à ce que la politique de Tiberius Gracchus continue d'être appliquée.


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Message Publié : 12 Oct 2008 14:44 
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Salluste
Salluste

Inscription : 11 Mai 2008 19:00
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Votre réponse est longue et intéressante cher scipio mais manque de finesse ...Aigle propose une analyse un peu inhabituelle mais qui n'est pas radicalement contradictoire avec la vôtre : avec l'impérialisme, la vie politique se polarise progressivement sur les chefs militaires qui vont acquérir une sorte de préminence sur les autres sénateurs - mettant ainsi un terme au relatif égalitarisme qui régnait à la curie ...emilien n'est pas césar mais presqu'inévitablement (comme l'Africain) il dispose d'un charisme qui fait de lui un personnage un peu à part dans la république...un siècle apres cela donnera césar

quant aux gracques ils ne faisaient pas me semble t il de théorie politique sur la souveraineté populaire - en bons politiciens ils faisaient flêche de tout bois pour faire avancer leurs thèses ... ce qui les a conduit à opter progressivement pour une mutation des institutions ...

Bon à creuser - mais évitons des affirmations trop péremptoires ...


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Message Publié : 12 Oct 2008 18:17 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Que Scipion Emilien ait été le plus prestigieux imperator de son temps, je ne le conteste nullement. Ce que je veux dire, c'est que Scipion Emilien n'était nullement dans la position qui était par exemple celle de Pompée entre 67 et 59. A ce stade, oui, la supériorité de Pompée au regard de n'importe quel autre aristocrate était écrasante.

Mais s'agissant de Scipion Emilien, il avait face à lui une assez belle brochette d'imperatores triomphateurs ou de principes qui, sans être tout à fait aussi prestigieux, glorieux ou populaires que lui, étaient des figures tout à fait considérables de la vie politique romaine. Parmi ceux que je n'ai pas cités dans mon message précédent figurent Appius Claudius Pulcher (qui était suffisamment populaire pour se décerner tout seul son simulacre de triomphe) ou encore les Servilii Caepiones de la fin des années 140 et les Fulvii Flacci.

N'oublions pas que Scipion Emilien n'a commandé des armées que pendant 5 ans en tout et pour tout. Il a commandé l'armée d'Afrique à compter de 147 jusqu'à son retour à Rome en 145 ; puis a dirigé celle d'Espagne contre Numance entre 134 et 133.

Cela n'a strictement rien de comparable avec :
- les 10 années de commandement militaire continues que Scipion l'Africain a exercées entre 210 et 201 (Espagne et Afrique), suivies de l'année 194 en cisalpine et de fait des années 190-189 en Asie, soit 13 ans au total,
- les 8 années continues de Marius entre 107 et 100, suivies du commandement de son armée pendant la guerre civile en 87,
- les 10 années de proconsulat de César dans les Gaules qui ont en fait été 15 années de commandement sans discontinuer (de 58 à 44),
- ou encore les 12 années presque sans discontinuer où Pompée a dirigé des armées entre 83 et 71 (ajoutons-y les 5 années de 67 à 62 puis les années 7 années de 54 à 48), soit 24 années au total.

En remontant plus haut, un Quintus Fabius Maximus Cunctator ou un Marcus Claudius Marcellus, tous deux 5 fois consuls, ont commandé plus longtemps des armées qu'un Scipion Emilien et exercé une domination politique supérieure à celle de Scipion Emilien.

Scipion Emilien n'était pas un imperator qui aurait commandé suffisamment longtemps à une armée tellement importante qu'il aurait pu s'imposer dans la république. Dans sa famille même, il comptait des membres dont le prestige n'avait guère à envier au sien, notamment Publius Cornelius Scipio Nasica Corculum, 2 fois consul, grand pontife, et son fils homonyme, consul en 138et véritable petit-fils de l'Africain.

La question s'est certainement davantage posée pour son grand-père adoptif, si on chercher des explications à l'acharnement que plusieurs factions nobiliaires ont mis à le descendre politiquement.


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Message Publié : 13 Oct 2008 12:37 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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Merci caesar pour cet exposé ... mais j'ai en t^te le scipion Emilen du de republica : c'est bien lui sauf erreur que cicéron a sélectionné pour en faire implicitement le modèle de ce que pourrait être le "président" de la république romaine ("Rector" me semble-t-il dan sle texte). je me trompe peut-être dans l'analyse mais cela me semble impliquer une position spécifique dan sla vie politique.

Accessoirement, l'argument de l'ouverture culturelle d'Emilien me semble témoignenr aussi d'une vision non passéiste - ni strictement prédatrice - de la politique étrangère ..;

quoi qu'il en soit les sources sont peu nombreuses et postérieures aux faits - ce qui rend toute interprétation hasardeuse ...


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Message Publié : 14 Oct 2008 6:22 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Là où je pense que vous êtes effectivement allé trop loin dans votre analyse, c'est quand vous pensez que Cicéron ait pu vouloir une sorte de "président" ou de "chef" de la république romaine. La république aristocratique, dont Cicéron était le chantre, rejetait viscéralement l'idée que la république, et donc les sénateurs (=aristocrates) puisse avoir un chef.

Le princeps cicéronien, malgré l'habile récupération des mots par Auguste, n'avait rien avoir avec le Principat des Julio-Claudiens et de leurs successeurs.

Le princeps cicéronien, cela aurait été un simple primus inter pares, qui par ses mérites et son prestige, aurait uniquement en cas de nécessité jouer le rôle de "rector" pour aider la république romaine à passer un éventuel cap difficile.

Je crois d'ailleurs que Cicéron précise qu'il n'y a pas un seul Princeps mais qu'il y en a plusieurs, et que Pompée comme César, de manière non exhaustive, sont au nombre de ces Principes.

Vous voyez, si je reviens au sujet initial et à d'autres discussions que nous avons eues sur la notion d'imperator (l'imperator et la république romaine), j'ai plutôt l'impression que la république romaine, ou plus précisément les factions aristocratiques, ont conjuré pour près d'un siècle le risque d'un imperator qui dominerait la vie politique romaine en réussissant à liquider politiquement Scipion l'africain au milieu des années 180. Et ce alors même que Scipion l'africain n'entendait certainement pas menacer la république.

La menace de l'imperator, selon moi, elle ne réapparaît véritablement qu'avec Marius, qui en plus se présente comme un outsider, contre l'aristocratie dominante.


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Message Publié : 15 Oct 2008 11:47 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
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cher scipio je vous invite à relire le de republica - on n'y trouve guère d'éloge d'une république "aristocratique" dont aucun Romain n'a jamais parlé à propos de Rome ... On y voit l'éloge de la constitution "classique" fondée sur l'équilibre formel entre magistrats, sénat et comices ...

Quant au rector (qui aurait pu être cicéron lui-même selon moi), effectivement le concept est flou mais il correspond à la tradition romaine de "leaders" informels : les imperatores ... mais pourquoi pas le sénat lui-même dont la fonction s'exprime par l'"auctoritas" et non l'imperium ou la potestas...

c'est ce que auguste comprendra en développant (ou plutot en poussant à son parxysme) cette conception très romaine d pouvoirs supra-légaux...

comparaiosn n'est pas raison mais staline, deng Xiaoping ou mao étaient un peu dans cette vision : leurs pouvoirs effectifs étaient sans rapport avec leurs fonctions juridiques.


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Message Publié : 15 Oct 2008 21:57 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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C'est précisément ce que j'ai fait, aigle, avant mon précédent message. :wink:

La république est un éloge de la constitution mixte, étant entendu que la mixité est loin d'être également pondérée.

Les termes employés par Cicéron, qu'il met fictivement dans la bouche de ses personnages, montrent bien d'ailleurs comment, de son point de vue, la participation du peuple, pour ne pas dire du populaire ou du populo, est une nécessité à laquelle il faut hélàs consentir, pour autant que cela ne nuise pas à la dignité des "meilleurs" citoyens.
Je reviens sur cet ouvrage qui est un dialogue fictif dans lequel Cicéron fait passer son point de vue. En aucun cas il ne reflète les opinions (et encore moins des propos réellement tenus) des personnages tous décédés au moment de l'écriture de la république par Cicéron. Vous avez bien compris que le fait que Cicéron fait dire à Scipion Emilien que des 3 composantes, c'est la monarchique qu'il préfère, n'est pas fidèle à la pensée du Scipion Emilien historique. Cicéron aurait tout aussi bien pu faire tenir son dialogue fictif entre Camille et Manlius Capitolinus.

Le passage selon moi le plus important de la république, c'est celui où Cicéron fait grosso modo dire à ses personnages que la meilleure constitution, c'est bien sûr la constitution mixte romaine que leurs ancètres leur ont légués et qu'il faut à tout prix maintenir. Le tout énoncé comme si cette constitution mixte avait toujours existé et si elle n'avait guère été troublée que par les "scandaleuses" sécessions de la plèbe puis au final par les horribles Gracques.
Vous voyez bien le caractère tronqué de la présentation cicéronienne. Dans la république romaine, l'équilibre des pouvoirs a toujours été précaire, a toujours été un combat, a toujours résulté de rapports de forces aboutissant souvent à des compromis, parfois à des solutions violentes.

Sur la notion de rector, corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai plutôt l'impression que c'est plutôt celle d'Auctoritas que celle d'Imperium à laquelle Cicéron se réfère. L'imperium, c'est le pouvoir, celui que par dessus tout aucun aristocrate ne veut voir confié durablement à quelqu'un (à part lui-même bien sûr lol ).


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Message Publié : 16 Oct 2008 8:01 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
Message(s) : 2698
On est d'accord : l'"Auctoritas" est le concept clef des institutions républicaines - je crois que c'est ce que j'ai voulu dire...; le "rector" l'emporte sur les autres par son auctoritas ...

Est-ce une idée propre à Cicéron ? si oui dans ce cas là il est l'inspirateur direct d'Auguste qui a écrit dans les Res Gestae qu'il l'a emporté sur tous par l'auctoritas justement ... ce qui ne l'a pas empêché de se faire voter l'imperium proconsulare et la potestas tribuniciana ..

Quant à l'histoire des institutions impéraiales elle se lit finalement comme une unification progressive (mais finalement assez rapide) de l'imperium et de l'auctoritas ...

Bref je pense que
-> les scipion et les grands imperatores du -2è s ont servi de modèle
-> aux imperatores du -1er s
-> à Cicéron qui a essayé de tracer le portrait idéal d'un leader modéré
-> à Auguste qui a fondé sa monarchie sur le langage cicéronien
-> à Trajan qui a voulu revenir à ce modèle ...

Bref de Scipion l'Africain aux Antonins il y a une évolution relativement cohérente qui "enjambe" la césure de -27.

Bref selon moi (et oui j'ose tout), le haut emprie est plus proche de la fin de la république que du bas-Empire ...

Bon j'exagère un peu ... qu'en dites vous ?


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Message Publié : 16 Oct 2008 17:38 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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En toute cordialité :-) , je suis en profond désaccord avec vous sur certains points que vous énoncez.

Bien sûr, je suis d'accord avec vous sur le fait que Cicéron fonde son ouvrage et son modèle sur l'Auctoritas des Principes du Sénat.

Mais les Res Gestae d'Auguste sont sur ce point précis une formidable opération mensonge politique visant à habiller une réalité beaucoup plus crue et beaucoup moins avouable.

Quand Auguste prétend qu'il n'avait alors pas plus de pouvoir que ses collègues magistrats mais l'emportait sur tous par son Auctoritas, il ment éhontément, en inversant à tout le moins cause et conséquence et en occultant la dimension militaire de son pouvoir.

Cicéron aurait été désespéré s'il avait vu comment Auguste dévoyait les notions pronées par lui (Cicéron).

Le véritable fondement du pouvoir d'Auguste lors des journées de janvier -27, c'est le fait qu'il se fait immédiatement redonner par un Sénat qui n'avait absolument pas le choix, lors de séances totalement programmées à l'avance, un imperium proconsulaire de 19 ans sur les provinces de Gaule, des Espagnes et de Syrie-Cilicie, et à la clé le commandement d'une bonne vingtaine de légions (en l'occurrence les siennes, celles qu'il commandait déjà).

L'Auctoritas d'Auguste n'est que la conséquence du fait qu'il était militairement le maître de l'empire, qu'il était le maître de la quasi-totalité des armées romaines alors mobilisées, ces légions étant d'ailleurs bien plus les légions privées d'Auguste que celles de la république.

Tout au plus a-t-il déguisé la réalité crue de son pouvoir avant tout militaire sous la forme d'un consentement forcé du Sénat. De ce fait, il pouvait prétendre avoir ainsi restauré la république et en tirer un prestige et une Auctoritas accrue.

Pour résumer prosaïquement son parcours :
1 - je lève une armée privée à 19 ans pour venger mon père et anéantir mes ennemis (qui ont assassiné mon père), sans hésiter à tirer dans les pattes du principal lieutenant (Antoine) de mon père et à pousser à la guerre civile.

2 - Je m'allie avec certains des partisans des assassins de mon père contre Antoine pour me faire une place au soleil.

3 - Puis, ça tourne mal donc il faut que je m'allie avec Antoine en réconciliant les anciens césariens afin de régler les comptes avec les assassins de mon père.

4 - Après avoir vaincu les assassins de César, je dégomme mon allié Antoine et deviens le maître de tout l'empire et le chef de la quasi-totalité des armées romaines.

5 - Je dépose mon commandement et mes armées acquis par la violence et l'illégalité en vous forçant, vous sénateurs, à me les redonner immédiatement sous des formes plus légales. Vous avez intérêt à obtempérer vu qu'en -43 ça ne m'a pas géné de mener des proscriptions et massacres à grande échelle et que les soldats sont mes clients qui m'obéissent à moi à titre personnel.

6 - Vous voyez bien que c'est de votre plein gré que vous m'avez appelé à continuer de servir la république en raison de mes incomparables mérites et vertus !

PS : Si vous n'êtes pas convaincus par le point 6, prière de relire le point 5 histoire de vous rappeler aux dures réalités.


Je suis certes d'accord avec vous sur le fait que l'existence d'un empire à administrer plus les risques de plus en plus graves que les rivalités entre dynastes/imperatores concurrents faisaient courir à la paix civile et à l'égalité aristocratique poussait puissamment dans le sens d'une monarchisation du pouvoir.

Mais ce n'était pas inéluctable et il n'était pas du tout acquis que cela se ferait sous cette forme, à savoir celle d'une monarchie personnelle.

Je pense donc plutôt qu'il y a un enchaînement avec des ruptures.

Quand à son retour d'Afrique Scipion africain de voit proposer la dictature et le consulat à vie (les sources sont certes peu fiables sur ce point), il refuse et continue un parcours classique.
Quand dans les années 180 plusieurs factions se liguent pour mettre à bas la faction des Scipions qui dominait plus ou moins la république depuis la fin de la 2ème guerre punique (soit grosso modo une quinzaine d'années), Scipion ne réagit pas par un coup d'Etat militaire.

Idem pour les grands imperatores du reste du 2ème siècle qui ne cherchent pas à conserver à tout prix un imperium pendant une très longue durée. Au 2ème siècle, la république oligarchique a réussi à mettre fin aux exceptions qui avaient été mises en oeuvre pour répondre aux nécessités absolues de la très grave menace posée par Hannibal pendant la 2ème guerre punique.

La 1ère grande rupture, c'est Marius. Avec lui reprennent les commandements majeurs et de très longue durée.

Et si les choses vont mal tourner, c'est parce que le Sénat/l'aristocratie va reprendre sa politique pavlovienne de faire rentrer dans le rang tout imperator qui a acquis une position exceptionnelle mais que Marius va refuser et tenter en -88 un banco qui va déclencher la guerre civile.

Même chose une treintaine d'années plus tard.

Le Sénat/l'aristocratie veut "réduire" Pompée, le ramener à une position, une influence, un pouvoir personnel plus conformes à l'égalité oligarchique, en n'hésitant pas à le brimer et à l'humilier, à lui refuser des mesures effectivement légitimes.
Avec pour résultat que Pompée, sans recourir au coup de force militaire, va former le 1er triumvirat et ainsi bien involontairement mettre le pied à l'étrier de César.

10 ans plus tard, c'est une autre affaire. Assez paradoxalement, c'est Pompée qui refuse que César puisse être considéré comme son égal alors même que César demande, dans une logique oligarchique raréfiée, à bénéficier des mêmes honneurs et de la même position que Pompée avec qui il veut continuer à s'entendre, l'ensemble des autres aristocrates ne révant que d'une chose : ne plus avoir au dessus de leur tête ces 2 monstres de puissance, de richesses, de clientèles et de puissance militaire.

Le lien du haut-empire avec la république, ce sont surtout les mots d'ordre et les références symboliques : la réalité du pouvoir et des pratiques politiques sont aux antipodes de la république oligarchique.


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Message Publié : 16 Oct 2008 18:45 
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Salluste
Salluste

Inscription : 11 Mai 2008 19:00
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Je vais essayer de vous mettre d'accord car je juge vospositions proches sur le fond mais exprimées par référence à des concepts distincts.

Scipio a une vision politique (reliée à une analyse quasi-marxiste qui insiste sur la "sociologie" des dirigeants) quand aigle a une vision plus juridique et formaliste.

Bref pour scipio, ce qui compte c'est que la réalité du pouvoir à partir d'Auguste est concentré dan sun seul homme (c'est la monarchie) après un siècle (le -I) de troubles entre des individualités fortes et une caste sénatoriale pas décidée à se laisser déposseder du pouvoir - ceci après un autre siècle (le - II) où cette caset a su marginaliser les premiers imperatores.

Ce que souligne aigle c'est que l'appareil symbolique et juridique est resté le même du -II sièce au +II. L'Empereur n'est pas un monarque héréditaire qui puise sa légitimité dan sune longue tradition (selon le futur modèle capétien) : il accède au pouvoir par des procédures variées (hérédité, adoption, coup d'Etat) et exerce des pouvoirs qui sont juridiquement un "bric à brac" hétérogène : imperium, puissance tribunicienne, grand pontificat ...ce bric-à-brac est issu de l'âge républicain - c'est son accumulation au profit d'une seule personne non élue par le peuple (et en fonction à vie) qui présente des traits monarchiques mais dans un cadre institutionnel qui reste marqué par les formes républicaines (le sénat, les consuls etc ...).

C'est dioclétien qui rompra nettement avec ce système. Donc il y a bien avec Auguste création d'un système de pouvoir personnel (qui ne tombe pas du ciel mais a été préparé par la montée en puissance des généraux depuis l'Africain progressivement ) mais il y a bien sur la plan des formes juridiques persistance des concepts républicains (l'auctoritas,l'imperium, les magistratures ..). Bref un contemporain de marc aurele pouvait penserq ue le régime romain avait évolué mais il n'y avait pas eu une révolution formelle et brutale avec Auguste.

Autre question : pourquoi Tacite commence-t-il ses annales à la mort d'Auguste ?


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Message Publié : 16 Oct 2008 20:45 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
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Une faute de frappe de ma part que je corrige. En 27, l'imperium d'Auguste était un imperium de 10 ans, et non pas de 19 ans.


Php, je comprends votre reformulation.

Moi-même, j'ai une autre façon de rendre compatible la lecture que vous faites du propos d'aigle et celle que vous faites de mon propos.

Je ne nie pas que le pouvoir du Princeps trouve avec Auguste, un fondement légal qu'on peut présenter comme résultant du jeu des institutions.

Simplement, non pas par esprit de système mais par constation factuelle, je précise que dans ce cas d'espèce le consentement du Sénat est totalement vicié en réalité. Il est vicié parce que forcé. Il est forcé parce qu'en 27, Auguste est avant tout le chef de guerre d'une armée privée, légalisée a posteriori mais qui n'est dévouée qu'à son chef et non pas à la cité.
En l'espèce, le pouvoir d'Auguste n'est devenu légal qu'a posteriori, après que le Sénat a constaté qu'il avait déjà un énorme pouvoir de fait (des dizaines de légions à lui et la maîtrise de quasiment toutes les provinces) et qu'il valait donc mieux habiller de légalité ce pouvoir de fait dont Caesar Octavianus n'entendait pas se séparer. Sinon, ils risquaient un nouveau coup de force, or tout le monde était lassé des 20 dernières années qui avaient été un enchaînement quasi continu de coups de forces, proscriptions et guerres civiles.

Dans l'excellente première partie du film Cléopatre, de Manckiewicz, l'encore plus excellent Rex Harrison, qui incarne César dit à Antoine, juste après la bataille de Pharsale quelque chose du genre suivant : "... Et Antoine. Veille bien à ce que les soldats soient satisfaits. Ce sont eux qui rendent nos actions ... légales."

Ce genre de situation n'a à mon sens rien de comparable avec un Scipion l'africain porté par un vaste mouvement de sympathie populaire pour être élu consul à 30 ans et se voir chargé de conduire la guerre en Afrique contre Carthage. Ni avec un Marius effectivement élu 5 fois consul par le jeu des élections en raison de la conviction d'une majorité qu'il faut une unité de commandement sous un chef compétent et incontesté afin de sortir vainqueur de la guerre contre les cimbres et les teutons. Ni avec un Pompée pour qui la pression populaire et équestre impose à un Sénat réticent le commandement extraordinaire contre les pirates.

Dans les cas précités, oui, je reconnais sans contestation que le jeu des institutions est sincère et que la légalité n'est pas que de façade. A compter de 50, la légalité n'est plus que de façade : ce sont les coups de force qui décident et la légalité qui suit, contrainte et forcée.

Comme vous le rappelez enfin, la république, ce n'était précisément pas tant l'existence des différentes fonctions que leur caractère annuel et leur collégialité qui permettait à un collègue d'opposer son veto ainsi que le droit des tribuns. L'imperium était un pouvoir absolu, sauf bien sûr l'imperium domi. L'imperium d'un consul était de même nature que celui d'un dictateur, à quelques nuances près.
La république romaine, c'était précisément un système de checks and balances, et non pas un système de pouvoir faibles. L'imperium était fort par nature : c'est son partage et son caractère annuel coutumièrement non immédiatement renouvelable, ainsi que l'Auctoritas permanente du Sénat, qui empêchent la monarchie et permettent le fonctionnement de ce qu'on a appelé la république.


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Message Publié : 17 Oct 2008 19:14 
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Salluste
Salluste

Inscription : 11 Mai 2008 19:00
Message(s) : 296
Je suis à 99 % d'accord avec vous.

Pour le plaisir de pinailler j'émets quelques nuances

- les sources concernant les scipion sont elles si fiables qu'on puisse aussi facilement opposer Octavien à l'Africain ?
- Octavien est il impopulaire ? n'y a-t-il pas un mouvement de la plèbe en faveur de césar dont il aurait pu hériter ? un sentiment patriotique qui le soutient contre cléopatre ?
-en -27, la grande masse des sénateurs n'était elle pas acquise à Octavien : il n'y a peut-être pas eu à la contraindre...

Autre chose : les formes républicaines dans une société aussi formaliste et traditionaliste que la société romaine ne sont pas totalement dénuées de valeur à mon avis ... je crois que paul Veyne (dans "l'empire greco-latin") explique fort bien que l'hérédité du pouvoir (souhaitée par la plupart des empereurs et leur famille d'Auguste aux sévères) n'a jamais été inscrite dans la loi ni enracinée dans la culture politique des romains (d'où la fréquence des coups d'Etat). C'est le signe de la persistance d'une certaine tradition républicaine ...

Les hommes du XXIè siècle ont tendance à oublier le poids des symboles dans la plupart des autres cultures ...


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Message Publié : 18 Oct 2008 23:30 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
Message(s) : 1659
J'adhère complètement à votre référence à Paul Veyne.

Sur la popularité d'Octavien, tout dépend de la date à laquelle on tente de la mesurer.

Entre -30 et -27, bien sûr, Octavien est immensément populaire. Mais sur les processus politiques, il ne faut pas se tromper, ce n'est pas la masse de la plèbe vivant en partie des subsides du plus puissant citoyen romain qui décide du processus politique. Ce qui a toujours été décisif, compte tenu du système censitaire romain très inégalitaire, ce sont les nobles, les chevaliers, les citoyens de la 1ère et de la 2ème classe, soit une petite minorité.
En outre, la popularité parmi les uns (les masses sans pouvoir politique) n'exclut nullement la crainte parmi les autres (les élites qui décident).

N'oublions pas non plus la fameuse historiette des deux ménates, lors du retour victorieux d'Octavien en Italie, en -29. Un homme présente à Octavien un ménate qui répète "Avé César imperator victorieux." Mais son voisin jaloux lui demande de montrer à Octavien son autre ménate qui répète le même slogan pour Antoine.
Ceci pour dire que l'opportunisme, la flatterie et la crainte ont été de toutes les époques. Antoine aurait-il été victorieux qu'il aurait bénéficié des mêmes manifestations d'enthousiasme et de ferveur populaire qu'Octavien.

Sur le mouvement de la plèbe en faveur de César dont aurait hérité Octavien en -44, c'est beaucoup plus nuancé.
D'abord, les réactions de la plèbe au moment de la mort de César sont nuancées, indécises et attentistes. La plèbe ne se retourne vraiment contre les assassins de César que quand Antoine fait la lecture publique du testament par lequel César fait des legs considérables au peuple et désignait comme héritier en seconde ligne l'un de ses assassins.
Si Octavien a su se construire une popularité auprès d'un public très particulier, c'est auprès des vétérans de César, parmi lesquels il a levé à à peine 19 ans une armée privée. Mais ceux-ci, outre un réel et très fort attachement à leur ancien général, avaient aussi des intérêts à défendre : des lots de terres leur avaient été promis et restaient à donner au plus grand nombre d'entre eux.

Ajoutons-y surtout que Cassius et Brutus, assassins de César, réussirons pourtant à rallier à eux des légions qui avaient été césariennes : les fidélités ne sont pas aussi tranchées ni aussi définitives qu'il y paraît.



Autant dire donc que, même si César dictateur était immensément populaire et respecté, ce n'est pas pour autant que les citoyens romains ne chérissaient pas pour autant leur droit d'élire librement leurs magistrats et leur tribuns de la plèbe et de continuer à peser dans les choix politiques de la cité.
Alors que les élections pour les magistratures avaient quasiment disparu au début du règne de Tibère, Caligula, lors de son avènement, se fera d'ailleurs une popularité à bon compte en donnant des signes à la plèbe sur ce plan précis.

Il y a eu des phases de grande impopularité des triumvirs, en partie d'Octavien qui à au moins une reprise à failli mourir lynché par une foule en colère.


Les sources à l'époque des Scipions n'ont selon moi pas de raison d'être considérées comme moins fiables que celle du temps d'Auguste.
Et les faits parlent d'eux-mêmes. Même très populaires, même sauveurs de Rome (l'Africain, parce que pour Emilien ce serait très exagéré), les Scipions n'ont jamais pris le pouvoir par un coup de force militaire et n'ont jamais profité de leur armée pour monopoliser indéfiniment le pouvoir.

Quant à la grande guerre patriotique contre la sorcière orientale qui voulait asseoir son trône sur le Capitole, c'était certes un exutoire très efficace pour un peuple embarqué depuis une dizaine d'années dans des rivalités et guerres entre condottieres. Mais l'argument serait tombé comme un chateau de cartes si les résultats de la guerre avaient été différents : une victoire d'Antoine et celui-ci se serait présenté comme le libérateur revenant enfin en Italie après une longue absence pour libérer ses concitoyens de l'oppression exercée sur le peuple par un tyran ayant fabriqué un faux testament pour faire croire par tromperie au peuple que le grand César l'avait adopté.

Enfin, en-27, la grande masse des sénateurs était-elle acquise à Octavien ? Certainement, de bon et de mauvais gré, une fois retranchés les partisans d'Antoine qui étaient morts ou bien avaient été expulsés du Sénat en -28, personne ne voulait plus s'opposer à Octavien au Sénat : c'eut été un suicide.
Déjà, en janvier -32, Octavien n'avait pas hésité à chasser par la force des armes les 2 consuls (partisans d'Antoine) qui le mettaient en cause.


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