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 Sujet du message : César et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 18:48 
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Eginhard
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Bonsoir,

Excusez par avance si le thème est déjà abordé.
Il y a une vingtaine d'année j'avais entendu la chose suivante;
A son 33eme anniversaire César, alors simple officier se serai effondré en larme devant l'insignifiance de sa vie, alors qu'Alexandre à cet age avait conquis le monde.

Est-ce une légende ou non?

K


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 19:19 
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Pierre de L'Estoile
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L'anecdote provient de Plutarque, dans sa Vie de César, § 12:
Pendant son séjour en Espagne, il lisait, un jour de loisir, des particularités de la vie d'Alexandre et, après quelques moments de réflexion, il se mit à pleurer. Ses amis, étonnés, lui en demandèrent la cause. « N'est-ce pas pour moi, leur dit-il, un juste sujet de douleur qu'Alexandre, à l'âge où je suis, eût déjà conquis tant de royaumes, et que je n'aie encore rien fait de mémorable ? »

L'anecdote se place en 69, lorsqu’il était à l'aube de sa carrière comme questeur en Espagne.
Ce genre de détail, très personnel, a toutes les chance d'être légendaire, puisque les soi-disants témoins sont anonymes et la scène se déroule dans la plus grande intimité. La question est : qui en est à l'origine ? Il est tout à fait possible que César lui-même ait colporté a posteriori ce genre de ragots flatteurs... Sinon, ce n'est pas les panégyriques qui manquent pour lancer des parallèles semblables entre les deux grands hommes !


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 20:00 
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Dans sa biographie de César, Suétone donne une version différente de la même anecdote :

"Pendant sa questure, l'Espagne ultérieure lui échut en partage. En visitant les assemblées de cette province, pour y rendre la justice par délégation du préteur, il alla jusqu'à la ville de Gadès; c'est là que voyant, près d'un temple d'Hercule, la statue du grand Alexandre, il poussa un profond soupir, comme pour déplorer son inaction: et, se reprochant de n'avoir encore rien fait de mémorable à un âge où Alexandre avait déjà conquis l'univers, il demanda incontinent son congé, afin de venir à Rome pour saisir le plus tôt possible les occasions de se signaler" (Suet., Caes., 7).

Cette anecdote concernant sa volonté d'imiter Alexandre est tout à fait plausible, mais le fait que ces deux biographes ne soient pas d'accord sur ses circonstances (lecture d'un livre ou contemplation de la statue ?) montre qu'elle ne repose sur aucune source fiable et précise. Il va de soi que les contemporains de César et les auteurs postérieurs ont tous établi un parallèle entre les deux généraux, en particulier Plutarque puisque ses Vies de César et d'Alexandre avaient pour objectif de comparer les deux. Lorsqu'il se trouvait en Espagne, César ne pouvait se douter qu'il allait devenir le plus grand général de Rome. Cet épisode (surtout chez Suétone) est censé être le déclic à l'origine de son ambition, qui l'a poussé à suivre la carrière que tout le monde connaît. Comme l'a dit Thersite, l'anecdote relatée par Plutarque a toutes les chances de faire partie de la légende dorée du personnage. César lui-même a pu l'entretenir, car il devait être flatté qu'on le compare à Alexandre. En tout cas, cette histoire est très utile pour les deux biographes car elle leur permet d'anticiper l'avenir glorieux de César tout en faisant du modèle d'Alexandre le moteur de leur récit.

Cela n'engage que moi, mais je pense que Suétone a pu récupérer cette information chez Plutarque, tout en cherchant à la rendre plus crédible. On peut remarquer que la réaction de César est beaucoup moins théâtrale chez lui que chez son prédécesseur grec, tandis que la statue de Gadès permet d'établir un lien plus concret entre l'Espagne et Alexandre que la simple lecture d'un livre racontant les campagnes de ce dernier... Enfin ce n'est qu'une supposition !


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 20:42 
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Pierre de L'Estoile
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Ah, je n'avais pas cherché plus loin, effectivement le parallèle est intéressant.
Mais je ne pense pas que Suétone s'inspire de Plutarque, les différences sont vraiment trop nombreuses: outre celles que tu mentionnes, la réaction de César est complètement différente: chez Plutarque, galvanisé par sa lecture, il se lance dans une campagne contre les Lusitaniens et fini à la fin du paragraphe salué imperator ! Chez Suétone, l'effet est inverse, il rentre immédiatement à Rome. Et surtout, Suétone met à la suite une seconde anecdote destinée à renforcer ce premier présage:
Les devins élevèrent encore ses espérances, en interprétant un songe qu'il avait eu la nuit précédente, et qui lui troublait l'esprit; car il avait rêvé qu'il violait sa mère. Ils déclarèrent que ce songe lui annonçait l'empire du monde, "cette mère qu'il avait vue soumise à lui n'étant autre que la terre, notre mère commune. "
Chez Plutarque, cette anecdote se retrouve aussi, mais des années plus tard, la veille du franchissement du Rubicon (PLutarque, César, 37):
La nuit qui précéda le passage de ce fleuve, il eut, dit-on, un songe affreux : il lui sembla qu'il avait avec sa mère un commerce incestueux.
La source de Plutarque est sans doute Asinius Pollion, présent à ce moment, et dont Plutarque tient les détails des hésitations de César et nous transmet le fameux alea jacta est. Mais il l’abrège beaucoup, n’explique pas le songe, qui devait être développé dans l’original conformément à la version de Suéton.

Suétone doit utiliser une autre source s’inspirant d’Asinius Pollion, qui amalgame les deux présages en leur donnant un habillage plus consistant, reliant deux anecdotes qui rien ne rassemblait à l'origine. Mais je connais mal cet historien et sa méthode: le rapprochement peut-il être de son cru ?


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 22:03 
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Thersite a écrit :
chez Plutarque, galvanisé par sa lecture, il se lance dans une campagne contre les Lusitaniens et fini à la fin du paragraphe salué imperator !
C'est ce que j'ai cru à la première lecture, mais je ne pense pas que Plutarque respecte la chronologie dans ce passage. Dans mon édition du texte (GF Flammarion) l'anecdote concernant Alexandre n'est pas insérée dans le récit des événements d'Espagne. Le paragraphe 11 est assez général. Plutarque y annonce sa nomination en Espagne, décrit l'ambition de César (qui préfère "être le premier chez eux que le second à Rome") lorsqu'il se rend dans sa province, puis évoque l'anecdote sur Alexandre, directement liée à celle qui précède, parce qu'elle s'insère dans la même logique et date sensiblement de la même période : "De même encore, un jour de loisir, en Espagne, la lecture d'un ouvrage sur Alexandre, à ce qu'on dit, le plongea dans une méditation profonde, puis lui tira des larmes (...)". Plutarque n'affirme pas que c'est cette lecture qui a provoqué les les campagnes menées par le jeune César en Espagne car, dans son récit, il évoque cette anecdote avant même que celui-ci ait rejoint la province. En effet, le paragraphe 12 commence par : "A peine arrivé en Espagne, il se mit aussitôt à l'œuvre, si bien qu'en peu de jours, il eut rassemblé dix cohortes en plus des vingt qui s'y trouvaient précédemment". Ce sont deux paragraphes bien distincts, le premier étant consacré à des traits généraux du personnage qui se rend en Espagne (ses dettes et son ambition) et le second aux succès remportés sur place, avec le titre d'Imperator qui vient couronner le tout. Je n'ai donc pas l'impression que Plutarque présente la lecture des aventures d'Alexandre comme un élément déclencheur.

Citer :
Suétone doit utiliser une autre source s’inspirant d’Asinius Pollion, qui amalgame les deux présages en leur donnant un habillage plus consistant, reliant deux anecdotes qui rien ne rassemblait à l'origine. Mais je connais mal cet historien et sa méthode: le rapprochement peut-il être de son cru ?
Contrairement à Plutarque, qui ne fournit aucun détail chronologique précis au sujet de l'anecdote concernant Alexandre, Suétone la place à un instant charnière et en fait le véritable point de départ de l'ascension de César : c'est précisément elle qui motive son retour à Rome. Il n'est donc pas très étonnant que ce dernier enfonce le clou à l'aide d'un autre présage, un rêve qui aurait soi-disant été fait par César dès le lendemain... Cet élément a pu lui aussi être trouvé chez Plutarque et inséré par Suétone à un endroit stratégique de sa biographie, avec le relatif mépris pour la chronologie qui le caractérise. Il faudra que je consulte à nouveau la thèse de Jacques Gascou (Suétone historien) pour voir s'il est question de ce passage, car je me souviens qu'un de ses chapitres est consacré au "gommage des repères chronologiques", typique de cet auteur, qui a tendance à prendre des libertés pour regrouper les informations de même nature au sein de mêmes paragraphes, en fonction des thèmes abordés. Je pense effectivement que Suétone est à l'origine de ce rapprochement.


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 23:05 
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Pierre de L'Estoile
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Batiste a écrit :
Plutarque n'affirme pas que c'est cette lecture qui a provoqué les les campagnes menées par le jeune César en Espagne car, dans son récit, il évoque cette anecdote avant même que celui-ci ait rejoint la province.

Je ne suis pas convaincu, j’ai un peu l’impression que Plutarque est en train de nous livrer des notes d'une lecture hâtivement mises en forme d'où l'aspect décousu, ne retenant que ce qui l’intéresse d’un récit chronologique plus circonstancié :
1) il commence par sa nomination, enchaîne sur ses difficultés financières qui retardent son départ et leur règlement ; « César […] fut libre de partir pour son gouvernement. ».
2) En cours de route, au passage des Alpes, Plutarque retient l’anecdote du village barbare.
3) En Espagne [citérieure ?] même, avant d’arriver à son poste (ce qui explique aussi ses loisirs, opposés à son activités une fois en poste), se place l’anecdote liée à Alexandre (il est en poste en Hispanie Ultérieure, il doit donc traverser toute la Tarraconaise, ce qui lui laisse largement le temps de lire son bouquin) ; de ce voyage, Plutarque ne retient que ce passage.
4) enfin « à peine arrivé en Espagne » [Ultérieure], il se distingue par son activité, blablabla.

Faut-il vraiment considérer l’anecdote sur Alexandre comme une parenthèse laconique dans un récit quant à lui entièrement chronologique ? J’en doute, d’autant que les deux anecdotes consécutives se ressemblent beaucoup dans la mise en scène (badinage intime avec des amis anonymes qui servent de faire valoir), ce qui me fait soupçonner une source commune. L’ensemble est assez décousu, les passages d’une anecdote à l’autre peu clairs : si c’est une digression lapidaire sur son ambition, elle est particulièrement mal placée, coincée au cœur d’un récit chronologique, entre les Alpes et la Bétique ! Le permière anecdote alpine montre bien que l'historien de Chéronée ne recense pas des histoires au hasard, mais recueillies en cours de route.

De plus, il me semble que les lamentations de César s’expliqueraient très mal à la fin de son mandat, s’il pouvait, alors qu'il n'est qu'à peine questeur, en l'espace de quelques mois seulement, s’auréoler du titre glorieux d’imperator, qui lui permet de briguer le triomphe et d’ambitionner le consulat dans la foulée, lui inconnu la veille de sa questure, en sus des sommes colossales qu'il a amassé. A mes yeux, Plutarque au contraire voit dans cette historiette l’aiguillon expliquant l’activité débordante et le succès exemplaire dont il crédite César en Espagne.

Et donc, la chronologie plutarquienne, au contraire très précise, s’oppose à celle de Suétone (début vs fin de sa questure), bien que l’effet supposé soit le même : un aiguillon pour les ambitions de Jules, si ce n’est que pour l’un il ne fait preuve de cette ambition qu’à partir du moment où il brigue le consulat, alors que l’autre plus logique la place dès ses premières occasions de se distinguer, en prémice à ses prétentions consulaires.

Je persiste de même à douter d’une quelconque influence de Plutarque sur Suétone ici, aucun des détails de ce dernier n’est inspiré du premier, aucun des détails du premier ne se retrouve chez le dernier, et ce pour les deux anecdotes (Alexandre comme le songe). Seul le thème est identique. Suétone s’est-il inspiré de Plutarque de manière indiscutable à un autre endroit ?


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 05 Mai 2009 23:51 
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lol lol
Petite correction (il est temps de se coucher): je m'étonnais que Plutarque sabre 8 ans d'un revers de manche et fasse d'un questeur un candidat au triomphe et au consulat...
Le texte et donc l'anecdote de Plutarque ne se situe pas pendant sa questure, mais lors de sa propréture en 60 ! J'ai un peu louché, m'en vais me coucher...
'ne nuit... :oops:

Encore une divergence, de taille, avec Suétone.


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 06 Mai 2009 0:44 
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Ce raisonnement se tient, mais j'ai tout même du mal à penser que César puisse être "à peine arrivé en Espagne" après avoir parcouru plusieurs centaines de kilomètres dans la-dite Espagne... Je ne crois pas trop à cet emploi par Plutarque du mot "Espagne" pour désigner d'abord la Citérieure puis l'Ultérieure, ça me paraît moins plausible que l'insertion à cet endroit d'une anecdote qui anticipe la suite des événements mais qui n'est pas pour autant hors-sujet. Je reconnais que le récit de Plutarque est entièrement chronologique, mais cela ne me choque pas du tout qu'un fait survenu en cours de route (l'anecdote alpine) puisse être associé par le biographe à un autre à peine plus tardif. Cela expliquerait à mes yeux la liaison des deux anecdotes par l'expression "de même" qui figure dans ma traduction, mais ne je suis malheureusement pas en mesure de vérifier le texte grec...

De plus, il ne me semble pas impossible que le temps libre ayant permis à César de se plonger dans la lecture des aventures d'Alexandre soit à situer à la fin de son mandat. Le titre d'Imperator reçu lors de sa questure est bien loin de faire de lui le premier à Rome. C'est peut-être glorieux, mais cela reste insignifiant comparé au prestige d'Alexandre. Si César a lu son livre une fois son mandat achevé, cette anecdote se place juste avant son départ d'Espagne et on comprend mieux le fait que Suétone établisse un lien direct entre l'épisode d'Alexandre et le retour de César à Rome. Il faudrait avoir d'autres avis car je ne suis peut-être plus très objectif à cette heure-ci, mais c'est une question très intéressante, qui mériterait d'être creusée si ce n'a pas déjà été fait ! J'aurais bien vérifié dans mes bouquins ce qui s'est dit à ce sujet, mais je n'ai pas mes biographies de César sous la main...


Thersite a écrit :
Je persiste de même à douter d’une quelconque influence de Plutarque sur Suétone ici, aucun des détails de ce dernier n’est inspiré du premier, aucun des détails du premier ne se retrouve chez le dernier, et ce pour les deux anecdotes (Alexandre comme le songe). Seul le thème est identique. Suétone s’est-il inspiré de Plutarque de manière indiscutable à un autre endroit ?
Après réflexion, Suétone n'avait pas grand intérêt à consulter Plutarque, compilateur de divers ouvrages en latin et auteur d'une biographie qui était avant tout destinée aux Grecs. Le seul autre point commun caractéristique qui me vient à l'esprit est la fameuse formule alea iacta est, que l'on retrouve également plus tard chez Appien. Or ces trois auteurs ont forcément consulté Pollion, qui était présent à ce moment-là : c'est sans doute lui qui a rapporté cette parole de César.


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 Sujet du message : Re: Cesar et Alexandre
Message Publié : 06 Mai 2009 1:11 
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Thersite a écrit :
Petite correction (il est temps de se coucher): je m'étonnais que Plutarque sabre 8 ans d'un revers de manche et fasse d'un questeur un candidat au triomphe et au consulat...
Le texte et donc l'anecdote de Plutarque ne se situe pas pendant sa questure, mais lors de sa propréture en 60 ! J'ai un peu louché, m'en vais me coucher...
'ne nuit... :oops:

Encore une divergence, de taille, avec Suétone.
Ouille, effectivement, du coup ça change tout ! C'est aussi de ma faute, je n'ai pas percuté en lisant le texte de Plutarque, qui situe pourtant clairement ce voyage de César en Espagne juste après sa préture. Donc pour résumer, notre auteur grec semble affirmer que César propréteur (en 60 av. J.-C.) est tombé en larmes en constatant qu'il n'avait encore rien fait à un âge où Alexandre avait conquis presque tout le monde connu, tandis que Suétone place les mêmes propos dans sa bouche, mais clairement lorsqu'il était questeur (en 69 av. J.-C.), donc à un moment où il n'avait encore absolument rien fait. Sachant que César est né vers 100 av. J.-C., il avait autour de trente ans lorsqu'il est devenu questeur et ne devait plus être très loin de la quarantaine lorsqu'il est devenu propréteur. Comme Alexandre est mort à 32 ans, j'aurais plutôt tendance à situer le constat amer de César lors de sa questure, comme le fait Suétone.

Bref, cela me conforte dans mon idée que l'anecdote de Plutarque concernant Alexandre n'apparaît ici que parce qu'elle est mise en relation avec la célèbre phrase de César selon laquelle il préférait de loin être le roi des ploucs plutôt qu'un simple challenger à Rome. Dans ce cas, le "un jour (...) en Espagne" peut même renvoyer à son premier séjour dans cette province : Plutarque (ce naïf) pourrait avoir pensé que le lecteur n'allait pas se planter pour situer cette anecdote dans le temps, César ayant fait ce constat alors qu'il avait sensiblement le même âge qu'Alexandre lorsque ce dernier se trouvait au sommet de sa gloire. Dans tous les cas, c'est assez maladroit de sa part. Si l'anecdote concernant Alexandre n'est pas insérée chronologiquement dans son récit, comme je le disais plus haut, cela évite d'avoir à penser que Plutarque a commis une énorme boulette en plaçant les paroles de César l'année de ses 40 ans.

En tout cas, j'imagine mal notre héros soupirer d'un air nostalgique : "Ah, ce bon vieux Alexandre, dire qu'à mon âge il était déjà mort !" :oops:



Pour revenir sur mon idée avortée selon laquelle Suétone aurait consulté ce graeculus de Plutarque, cela me paraît un instinct primaire d'étudiant pour qui le biographe grec constitue souvent une source précieuse, permettant de compléter le peu qui nous est parvenu des auteurs latins. Il me paraît finalement assez évident que les auteurs latins n'avaient aucun intérêt à consulter les ouvrages de "vulgarisation" écrits par des Grecs pour mettre à disposition de leurs concitoyens des informations écrites jusque là en latin. Nous le faisons parce que nous n'avons pas mieux, mais les auteurs comme Suétone trouvaient tout ce qui leur fallait dans les écrits de leurs prédécesseurs romains... C'est une évidence, mais je viens pratiquement de le découvrir ! :mrgreen:


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 Sujet du message : Re: César et Alexandre
Message Publié : 06 Mai 2009 17:29 
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Voici le point de vue de Jérôme Carcopino sur cette question, exprimé dans Les étapes de l'impérialisme romain, 1961, p. 134, n. 3 :

Citer :
SUETONE, Caes., 7. Cf. la même anecdote chez Plutarque, lequel, Caes., 11, 3, en modifie légèrement le scénario et la place fautivement à l'époque, non de la questure, en 68 av. J.-C., mais de la préture de César, en 61 av. J.-C., c'est-à-dire à une date où le rapprochement et les larmes de César n'ont plus aucun sens. Cf. CASS. DIO, XXXVII, 52, 3, qui raconte les faits comme Suétone.

Et voici la version des faits donnée par Dion Cassius :

Citer :
"César, après sa préture, fut nommé gouverneur de la Lusitanie. Il aurait pu, sans de grandes fatigues, purifier ce pays des brigands qui l'infestaient sans cesse et se livrer ensuite au repos ; mais il ne le voulut point. Avide de gloire, jaloux d'égaler Pompée et les autres hommes qui, avant lui, s'étaient élevés à une grande puissance, il ne formait que de vastes projets ; espérant, s'il se signalait alors, d'être nommé consul et d'accomplir des choses extraordinaires. Cette espérance lui venait surtout de ce que, pendant sa questure à Cadix, il avait cru avoir, dans un songe, commerce avec sa mère, et les devins lui avaient prédit qu'il obtiendrait un grand pouvoir. Aussi ayant vu dans un temple de cette ville consacré à Hercule une statue d'Alexandre, il gémit et versa des larmes ; parce qu'il n'avait encore rien fait de mémorable" (Dio, XXXVII, 52).

Cet historien plus tardif donne à peu près la même version des faits que Suétone, mais il raconte l'anecdote de la questure à l'occasion du récit de son séjour en Espagne comme propréteur, comme l'a fait Plutarque. Dion Cassius associe lui aussi l'anecdote d'Alexandre et le rêve de César mais, contrairement à Suétone, il n'en fait pas la raison de son retour à Rome. En revanche, Pour Dion (comme pour Plutarque ?) ce souvenir lié à sa questure paraît avoir eu une influence sur son comportement en Espagne lors de sa préture :

Citer :
"Livré à ces pensées, il se dirigea vers le mont Herminium, lorsqu'il pouvait, comme je l'ai dit, jouir de la paix, et il ordonna aux habitants de s'établir dans la plaine (...) ; mais ce n'était qu'un prétexte : en réalité, il savait bien qu'ils ne feraient pas ce qu'il demandait, et que ce refus lui fournirait l'occasion de leur déclarer la guerre. C'est ce qui arriva : ils coururent aux armes et César les soumit" (Dio, XXXVII, 52).


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 Sujet du message : Re: César et Alexandre
Message Publié : 19 Mai 2009 22:59 
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On est d'accord, une fois lu proprement, il n'y a plus à discuter la chronologie ! :mrgreen:

Une remarque sur l'épisode précédent, à savoir l'anecdote du patelin gaulois. Je me demande s'il ne faut pas faire un parallèle (jusqu'à quel point ?)avec la réplique d'Alexandre face à Diomède "Si je n'étais Alexandre, je serais Diogène" (un clochard certes, mais le premier parmi les clodos...).
De même, Suétone, César 61, présente le cheval de César sous un jour qui rappelle bougrement Bucéphale: comme son illustre prédécesseur, il ne se laisse monter que par le conquérant et comme par hasard, il présage l'empire du monde à son maître, ce qui rappelle la phrase de Philippe à son fils maîtrisant Bucéphale: "Mon enfant, cherche un royaume à ta mesure. La Macédoine n’est pas assez grande pour toi"...
Toute une série de parallèles très romantiques (ou romancés ?)...


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