Qu'Hannibal n'ait pas été pleinement appuyé par sa cité est une chose que personne ne conteste.
En revanche, je conteste qu'il ait été trahi et je conteste tout autant qu'il ait adopté une mauvaise stratégie contre Scipion.
Hannibal a employé la stratégie et la tactique de ses moyens.
S'il avait été plus prudent (d'autres diront timoré mais je pense que ce n'est qu'a posteriori, au vu du succès ou de l'échec, qu'on qualifie quelqu'un de prudent/avisé ou de timoré), il n'aurait pas entrepris cette guerre parce que Rome était intrinsèquement plus forte que Carthage et que n'importe quelle autre puissance méditerranéenne ou européenne de l'époque.
Par intrinsèquement plus forte, je fais référence à son potentiel démographique et militaire.
Avec ses alliés italiens, Rome avait un potentiel démographique militaire de l'ordre de 750000 hommes dont près de 300000 citoyens romains mobilisables.
Rome n'a donc quasiment jamais eu de problème de ressource militaire. Son seul problème, c'était le coût financier de maintien en campagne d'armées nombreuses. Et même si les efforts financiers ont été énormes, elle a eu les moyens de financer son effort de guerre. Par moments, ça a failli craquer parce que certains alliés italiens fidèles étaient excessivement pressurés. Mais ça a tenu.
Ajoutons que, depuis la fin de la 1ère guerre punique, Rome avait la maîtrise des mers en Méditerranée occidentale. Ce n'est pas pour rien qu'Hannibal a du passer par la Gaule et par les Alpes.
Hannibal avait lui, moins de moyens et en était parfaitement conscient. Sa stratégie a donc consisté à faire de sa faiblesse une force. Il avait une armée relativement peu nombreuse, par rapport aux effectifs alignés par les romains. Mais cette armée était souple, mobile. Elle bénéficiait d'une supériorité précieuse en matière de cavalerie et avait la chance d'avoir un chef qui était un tacticien de génie.
Ce qui a fait la force et les succès d'Hannibal dans un 1er temps était aussi contenait aussi les germes de son échec, ou plutôt de son incapacité à l'emporter.
On ne peut en effet pas compter indéfiniment sur la bêtise de l'adversaire.
Les 1ères années de la guerre, Rome est complètement tombée dans le panneau. Elle a offert à Hannibal les batailles en rase campagne qu'il souhaitait et où sa supériorité tactique lui permettait de remporter des victoires éclatantes.
Déjà, Fabius Maximus avait compris, en 217, qu'il fallait adopter une stratégie défensive et attentiste, une guerre d'usure, pour épuiser l'adversaire et l'empêcher de remporter les grandes batailles qu'il affectionnait.
Cannes a été la piqure de rappel par laquelle les romains ont enfin compris qu'ils n'avaient pas d'autre choix jusqu'à ce qu'ils fassent les réformes tactiques qui les mettent à niveau face à l'armée punique.
Et cela montrait à la fois les limites du pari d'Hannibal et son erreur d'analyse politique.
Hannibal a construit toute sa stratégie en sachant que Rome avait un potentiel militaire très supérieur au sien. Son but était donc de provoquer une dislocation de la fédération militaire italique en infligeant des sévères défaites aux romains.
1 - coller des raclées aux romains et à leurs alliés.
2 - suite à ces raclées, Rome perd son prestige et son autorité et ses alliés italiens font défection.
3 - Rome est ainsi "rapetissée" et, voyant son potentiel démograpique militaire divisé par trois, consent à une paix très avantageuse pour Carthage, les lois de la guerre de l'époque voulant qu'après une série de défaites cinglantes, le vaincu reconnaisse la supériorité du vainqueur.
C'est sur le point 2 qu'Hannibal a commis sa grande erreur d'analyse. Les seuls alliés italiens qui ont fait défection, ce furent les cités grecques fraichement soumises, des samnites et les gaulois de la plaine du Po, c'est à dire le nord et le sud de l'Italie.
Or, l'essentiel des ressources militaires italiennes étaient issues du centre de l'Italie.
Et ce centre n'a pas cédé parce qu'il était particulièrement solide du fait des alliances familiales entre les aristocraties du centre de l'Italie.
Si Hannibal n'a pas fait le siège de Rome, c'est parce qu'il n'en avait pas les moyens. Il n'avait pas un train de siège. Il lui aurait fallu beaucoup de temps et des moyens humains supplémentaires pour l'acquérir. Son armée était une armée de manoeuvre. Et s'il avait entrepris un siège, il aurait eu à faire face à des assiégés et à une armée de manoeuvre romaine.
C'est pour cela qu'après Cannes, faute d'avoir reçu une réponse positive à ses propositions de paix, il a tenté de nouer des alliances lointaines, en l'occurrence avec le royaume de Macédoine.
Il a alors compris qu'il avait besoin d'alliés, afin de disposer de plus de moyens humains pour l'emporter. Le problème, c'est que la participation macédonienne à l'effort de guerre contre Rome a été très minime et très inefficace.
Or pendant ce temps, Rome avait, elle, les moyens de faire la guerre sur d'autres théatres d'opérations, là où Hannibal n'était pas.
Et c'est là qu'intervient le jeune Scipion. Scipion dont on peut dire qu'il a gagné pour 3 grandes raisons :
- parce qu'il a su faire les adaptations tactiques qui ont mis les armées romaines au niveau face aux armées très souples d'Hannibal et même les améliorer en profitant des qualités propres des légionnaires romains ;
- parce qu'il a su, profitant du fait que l'importance des ressources de Rome était largement connue, faire entrer Massinissa dans l'alliance romaine, ce qui lui a permis de ravir à Hannibal la supériorité en matière de cavalerie qui avait fait sa force ;
- parce que la Fortune lui a souri : n'oublions pas que malgré la supériorité de la cavalerie romano-numide à Zama, Hannibal a failli l'emporter. Hannibal avait réussi à attirer la cavalerie ennemie loin du champ de bataille et était sur le point de faire céder (grâce à sa supériorité numérique) les lignes d'infanterie romaines.
Pour résumer, je pense qu'Hannibal s'est lancé dans une entreprise excessivement risquée et que, malgré son immense talent, il lui était quasiment impossible de l'emporter compte tenu de son erreur d'analyse sur la nature de la confédération romano-italique.
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