La poursuite des fouilles du "sanctuaire" des Helvètes à Mormont confirmerait l'existence de sacrifices humains chez les Celtes ?
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Jamais vu cela!» Au Mormont, les chercheurs multiplient les découvertes dans un sanctuaire celte. Nos ancêtres organisaient des banquets rituels et sacrifiaient à leurs dieux des hommes et des animaux. Justin Favrod | 08.07.2010 | 00:03
Caroline Brunetti, responsable des fouilles, a beau être docteure en archéologie celtique, elle reste baba: «C’est la plus belle fouille de ces cinquante dernières années.» En écho, l’archéozoologue français et chercheur au CNRS Patrice Méniel, qui connaît nombre de sites, ne cesse de s’exclamer: «Je n’ai jamais vu cela!»
De juin à septembre, la quatrième campagne de fouilles bat son plein sur le sommet du Mormont. Neuf archéologues viennent d’ouvrir cinq des 51 fosses repérées. Un sanctuaire remontant vers 100 av. J.-C. quand le plateau suisse était helvète. Parmi elles, la plus prometteuse, parce que la plus grande: 4,5 mètres de diamètre et peut-être 7 mètres de profondeur. Non loin de là, une fosse est en cours de dégagement: sous une mandibule de bœuf apparaît un humérus humain.
La cimenterie Holcim va étendre dès 2011 la carrière sur cette parcelle de 2,5 hectares qui regorge de vestiges. Elle contribue financièrement à cette fouille organisée par l’Archéologie cantonale et menée par l’entreprise privée Archeodunum depuis 2006. Voilà quatre ans qu’historiens et archéologues du monde celtique, de l’Espagne à l’Europe centrale en passant par l’Angleterre ou l’Italie, ont appris les noms d’Eclépens et du Mormont. C’est que ce site révolutionne notre connaissance de l’Europe des Celtes. Petit tour des premières révélations.
RITES ÉTRANGES «Dans les fosses d’offrandes déjà fouillées, il y a des restes de banquets rituels, des bœufs entiers, de la viande découpée cuite ou crue, de la vaisselle déposée ou jetée et tout cela est mélangé», explique Patrice Méniel. Les types de dons sont bien plus hétérogènes que sur d’autres sites connus. Et très probablement un rite attesté nulle part ailleurs: les Helvètes ont planté un pieu au fond de certaines fosses et ont empalé un bœuf au-dessus. L’animal suspendu s’est décomposé lentement et a rejoint morceau par morceau le fond de la fosse, qui a ensuite été comblée par d’autres dons. «Certaines offrandes ont été brûlées, elles étaient probablement destinées aux dieux célestes, tandis que les autres ont été simplement enterrées et offertes aux dieux souterrains.» «Grâce à cette découverte, d’autres sites dans lesquels les archéologues avaient identifié des dépotoirs celtiques pourraient avoir recelé des fosses à offrandes», conclut Caroline Brunetti.
SACRIFICES HUMAINS Au milieu des animaux, des hommes entiers ou découpés. Patrick Moinat, archéologue spécialiste en anthropologie, a montré que certains restes ont été exposés au feu. L’anthropophagie est possible, mais pas démontrée. En revanche, le site d’Eclépens confirme l’existence de sacrifices humains chez les Celtes, qui n’étaient jusqu’alors attestés que par des textes antiques. On ignore tout de l’origine des 43 personnes retrouvées dans les fosses. Il s’agit d’hommes, de femmes, d’enfants et d’adultes.
TOUT UN PEUPLE Tout un peuple a dû contribuer à l’établissement d’un sanctuaire de cette taille et de cette richesse: soit une ou même les quatre tribus des Helvètes. Il n’est pas donné à une petite communauté d’offrir à ses dieux des dizaines d’hommes, 135 bœufs, des chiens, des chevaux, une centaine de meules à grain, des seaux en bronze, et d’innombrables pièces de vaisselle. Un personnel nombreux a dû s’occuper du sanctuaire. «Malgré le nombre d’offrandes, nous n’avons rien trouvé en surface, explique l’archéologue Claudia Nitu, doctorante en archéologie, le site a donc été soigneusement nettoyé.» Pourquoi là? Le Mormont domine la ligne de séparation des eaux entre Rhône et Rhin. Il se trouve au milieu du monde.
PUZZLE Les fosses ont été creusées dans les failles du calcaire et la roche même est parfois taillée. Les célébrants y déposaient ou jetaient une couche de dons, la comblaient, puis remettaient une nouvelle couche. Des morceaux du même vase se trouvent dans plusieurs couches successives, voire dans plusieurs fosses. Cela semble signifier que les sacrifices ont été faits sur un bref laps de temps, car il est peu probable que les prêtres aient gardé longtemps des morceaux de vaisselle cassée.
PERSPECTIVES A ce jour 51 fosses ont été localisés dans la surface traitée cette année. Vingt sont fouillées. Mais la limite du site n’est pas connue: il y a très probablement d’autres fosses dans la forêt voisine. Une voie romaine a été identifiée sous le chemin actuel. Reste à déterminer si, en dessous, se trouve une route helvète qui passait devant le sanctuaire. Elle aurait dû naturellement contourner la colline: si elle la franchit, c’est que le sanctuaire valait le détour et la montée.