Aucune source grecque contemporaine ou antérieure à Alexandre ne mentionne Rome, ce qui montre bien le peu de cas qu’ils faisaient de la cité du Latium (Aristote en particulier n’a pas jugé les Romains digne d’un
Constitution). Cependant, les Grecs d’Occident étaient en relation commerciale avec elle, depuis très longtemps pour les cités phocéenne par exemple ; ou bien pratiquaient un peu de piraterie sur ces côtes, et les annalistes via Tite-Live signalent ainsi de temps à autres des raids de flottes grecques indéterminées. Ils devaient donc plus ou moins connaître son existence, mais à supposer qu’ils soient connus d’Alexandre, ce n’est qu’un nom, qui ne bénéficie d’aucune réputation.
Alors qu’Alexandre guerroie en Asie, son parent homonyme le roi d’Epire, lui, se lance à la conquête de l’Italie, dans la grande tradition des expéditions de secours grecques qui soutiennent Tarente dans sa lutte contre les tribus sabellienne du sud. L’adversaire occidental, c’est les Bruttiens, les Lucanens, les Picentins, les Iapyges. Pas les Romains : les Samnites font tampon.
Quelques sources tardivesn et perdues (Aristos et Asclépiade), signalent parmi les ambassades reçues en 324 à Babylone une délégation romaine, allant jusqu’à préciser « qu'instruit de leurs vertus et de leurs institutions, il [Alexandre] augura de leur future grandeur.» (Arrien, VII.15). Hum ! L’anachronisme est flagrant… D’ailleurs, cette séance d’ambassade est truffée d’exagérations. Ainsi, Arrien fait intervenir de nombreux peuples italiens (Bruttiens, Lucaniens, Etrusques et mêmes Ibères) alors que par exemple la liste de Quinte Curce ne mentionne aucun peuple italien, les seuls Européens sont originaires des Balkans (Thraces, Illyriens, Celtes), pas plus loin. Il est donc bien peu probable que les Romains aient été jusqu’à Babylone pour les beaux yeux d’Alexandre, comme les autres peuples italiens.
Quant aux projets supposés d’Alexandre, il faut être très prudent, là aussi les exagérations sont patentes, tandis qu’il y a des oublis étonnants (comme la reconstruction du temple de Bel à Babylone, prévue de son vivant, mais "oublié" dans ses
Mémoires). La source de ces projets, les «
Mémoires » d’Alexandre lues par Perdiccas devant l’armée, sont sans doute au moins été réécrites par ce dernier, qui dû en rajouter une grosse couche afin de convaincre l’armée de renoncer à tous ces projets irréalisables voire irréalistes.
La seule certitude, c’est qu’il avait fait mettre en chantier de son vivant encore une immense flotte en Phénicie, Chypre, Cilicie, Egypte, de navires d’un tonnages supérieur aux trières (d’où les flottes hellénistiques, formées de quadrirèmes et plus). Aussi est-il vraisemblable qu’il caressait un projet d’expédition contre Carthage. Après tout, Carthage avait soutenue sa métropole Tyr, et Alexandre n’avait alors pas pu les châtier. De plus, il se pose toujours comme défenseur de l’hellénisme ; la Perse tombée, il reste Carthage. Cette campagne aurait de plus l’avantage de lui assurer le soutien quasi inconditionnel (au moins provisoirement) de la riche Sicile, ainsi qu’il arriva quelques décennies plus tard avec Pyrrhos.
Mais concernant cette expédition, une fois de plus les sources fantasmes. Certains imaginent un immense périple, le conduisant de Carthage jusqu’aux Colonnes d’Hercule, avant de conquérir l’Ibérie, passer en Sicile, puis en Italie et regagner la Macédoine (Diodore XVIII.4 ; Quinte-Curce X.17-18…). Certains vont même lui prêter le projet insensé de partir de Babylonie, concquérir l’Arabie, contourner l’Afrique, revenir par les Colonnes d’Hercule, et alors seulement conquérir Ibérie, Carthage, etc. Enfin bref, inutile de s’attarder là-dessus : chacun fantasme à qui mieux mieux. A supposer qu’il ait eu des projets, l’expédition carthaginoise suffisait amplement à justifier les préparatifs. D'ailleurs les Puniques n'étaient pas tranquilles: les ambassades Carthaginoises se succèdent pour lui faire la cour, et même un de leurs ambassadeurs, Hamilcar le Rhodien, est exécuté à son retour en métropole: les Carthaginois le soupçonnaient d'avoir comploté avec ALexandre pour obtenir la tyrranie dans sa patrie... la confiance règne...). Quant à l’Arabie, il souhaitait effectivement un temps ajouter la riche l’Arabie Heureuse à son Empire et à ce titre, envoya quelques navires en éclaireur explorer les rives arabiques du golfe Persique, qui mirent en valeur la difficulté voire l’impossibilité d’un tel périple, du fait du manque d’eau qui les contraignit tous à faire demi tour avant même d'avoir quitté le golfe.
En tout cas pour les Romains, le thème de l’affrontement théorique entre Alexandre au sommet de sa carrière et la jeune République est devenu un sujet classique allègrement débattu dans les écoles de rhétoriques, qui évidemment arrivent à l’unanimité à la conclusion qu’Alexandre aurait été écrasé par Rome ! Voici par exemple l’opinion de Tite Live, IX.17-19.
Anfin bref, les marchands ont sans doute informé les uns et les autres de leur existence réciproque, mais pour Alexandre comme pour les Romains, cela ne présentait aucun intérêt à moyen terme, ni une menace.
Alain.g a écrit :
la civilisation, la richesse et le danger étant en Orient ? Cet Orient qui avait failli détruire la Grèce!
Richesse oui, danger sans doute pas. Si Alexandre ou plutôt Philippe caresse l’ambition de piller la Perse, c’est bien du fait de sa faiblesse. L’Empire perse avait révélé au cours du siècle passé son incapacité à défendre son territoire (entre la retraite des 10 000, les promenades militaires d’Agésilas qui ravage l’Asie Mineure quasi impunément, et les révoltes permanentes des satrapies, en particulier l’Egypte). En dépit des discours, la Perse ne représente plus une menace réelle pour la Grèce depuis belle lurette, si ce n’est un facteur de troubles du fait de ses interventions incessantes dans la vie politique des cités à gros coups de pots de vin. Militairement, au contraire, la survie de l’Empire dans les satrapies occidentales repose de plus en plus… sur les mercenaires grecs.