C'est tiré de Tite-Live V.34-35 qui fixe la chronologie des ces vagues qu'il place pour la première déjà à l'aube du VIe, par le parallèle qu'il établit d'une part avec la fondation de Massalia, d'autre part avec Tarquin l'Ancien. 34.[1] Pour ce qui est du passage des Gaulois en Italie, voici ce qu'on en raconte : à l'époque où Tarquin l'Ancien régnait à Rome, la Celtique, une des trois parties de la Gaule, obéissait aux Bituriges, qui lui donnaient un roi. [2] Sous le gouvernement d'Ambigatus, que ses vertus, ses richesses et la prospérité de son peuple avaient rendu tout-puissant, la Gaule reçut un tel développement par la fertilité de son sol et le nombre de ses habitants, qu'il sembla impossible de contenir le débordement de sa population. [3] Le roi, déjà vieux, voulant débarrasser son royaume de cette multitude qui l'écrasait, invita Bellovèse et Ségovèse, fils de sa soeur, jeunes hommes entreprenants, à aller chercher un autre séjour dans les contrées que les dieux leur indiqueraient par les augures : [4] ils seraient libres d'emmener avec eux autant d'hommes qu'ils voudraient, afin que nulle nation ne pût repousser les nouveaux venus. Le sort assigna à Ségovèse les forêts Hercyniennes; à Bellovèse, les dieux montrèrent un plus beau chemin, celui de l'Italie. [5] Il appela à lui, du milieu de ses surabondantes populations, des Bituriges, des Arvernes, des Éduens, des Ambarres, des Carnutes, des Aulerques; et, partant avec de nombreuses troupes de gens à pied et à cheval, il arriva chez les Tricastins. [6] Là, devant lui, s'élevaient les Alpes; et, ce dont je ne suis pas surpris, il les regardait sans doute comme des barrières insurmontables; car, de mémoire d'homme, à moins qu'on ne veuille ajouter foi aux exploits fabuleux d'Hercule, nul pied humain ne les avait franchies. [7] Arrêtés, et pour ainsi dire enfermés au milieu de ces hautes montagnes, les Gaulois cherchaient de tous côtés, à travers ces roches perdues dans les cieux, un passage par où s'élancer vers un autre univers, quand un scrupule religieux vint encore les arrêter; ils apprirent que des étrangers, qui cherchaient comme eux une patrie, avaient été attaqués par les Salyes. [8] Ceux-là étaient les Massiliens qui étaient venus par mer de Phocée. Les Gaulois virent là un présage de leur destinée : ils aidèrent ces étrangers à s'établir sur le rivage où ils avaient abordé et qui était couvert de vastes forêts. Pour eux, ils franchirent les Alpes par des gorges inaccessibles, traversèrent le pays des Taurins, et, [9] après avoir vaincu les Étrusques, près du fleuve Tessin, ils se fixèrent dans un canton qu'on nommait la terre des Insubres. Ce nom, qui rappelait aux Éduens les Insubres de leur pays, leur parut d'un heureux augure, et ils fondèrent là une ville qu'ils appelèrent Mediolanum. 35. [1] Bientôt, suivant les traces de ces premiers Gaulois, une troupe de Cénomans, sous la conduite d'Étitovius, passe les Alpes par le même défilé, avec l'aide de Bellovèse, et vient s'établir aux lieux alors occupés par les Libuens, et où sont maintenant les villes de Brixia et de Vérone. [2] Après eux, les Salluviens se répandent le long du Tessin, près de l'antique peuplade des Lèves Ligures. Ensuite, par les Alpes Pennines. arrivent les Boies et les Lingons, qui, trouvant tout le pays occupé entre le Pô et les Alpes, traversent le Pô sur des radeaux, et chassent de leur territoire les Étrusques et les Ombriens : toutefois, ils ne passèrent point l'Apennin. [3] Enfin, les Sénons, qui vinrent en dernier, prirent possession de la contrée qui est située entre le fleuve Utens et l'Aesis. Je trouve dans l'histoire que ce fut cette nation qui vint à Clusium et ensuite à Rome; mais on ignore si elle vint seule ou soutenue par tous les peuples de la Gaule Cisalpine. C'est le récit le plus connu, mais il n'est pas le seul, il y a des allusions dans Denys d'Halicarnasse ou Justin, entre autres. Je vais tâcher de remettre la main dessus. Mais la première partie, celle justement faisant référence à Bellovèse et l'installation des Insubres, pose problème, en particulier pour sa chronologie très haute. Je ne sais plus les arguments, mais il me semble que la chronologie est rabaissée d'un siècle; il y aurait confusion avec Tarquin le Jeune, fin VIe, ce qui coïncide mieux avec ce que l'on sait avec la fin de l'occupation étrusque sur le Pô. A vérifier. Par contre, l'historiette sur le nom des Insubres a attiré récemment l'attention. L'origine remonte peut-être à Cornélius Népos, lui-même insubre, et utilisé par TL. Toujours est-il que l'extrait signale donc un toponyme celtique antérieure à la première invasion, ce qui corrobore l'hypothèse d'un peuplement celte protohistorique au débouché des Alpes, les Lépontins justement. Le conte aurait donc un fond de vérité inattendue, sur ce point du moins.
Le mécanisme des vagues successive se poursuit en particulier au IIIe, où Polybe montre bien l'arrivée massive de Transalpins plus ou moins conviés par les Cisalpins, par paquets de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, qui provoquent entre les deux guerres puniques des paniques mémorables à Rome. Ces forts contingents sont attirés par la promesse de terres (celles des Romains), ce ne sont donc pas tous des mercenaires, mais bel et bien des colons dirigés d'ailleurs par leurs propres rois. Et ils illustrent aussi les difficultés de l'opération : une des vagues sera exterminé par les Boïens qui les avaient pourtant attirés: la tension entre les nouveaux venus et leurs prédécesseurs étaient devenus trop forte, sans doute pour des raisons matérielles de ravitaillement, ce qui montre bien les difficultés de nourrir de telles masses, accentués par l'interruption des déplacement. Il est remarquable aussi que ces migrations ne se font pas par effet domino, de proche en proche. Les nouveaux venus au contraire épargnent les peuples gaulois antérieurs et se contentent (avec ou sans leur aide) de s'installer plus loin. Les Insubres au pied des Alpes. Les Boïens et Cénomans un peu plus loin. Les Sénons encore un peu plus loin. Cela me semble dénoter une certaine solidarité et une certaine conscience de communauté ethnique.
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