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Pierre de L'Estoile |
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Inscription : 11 Juin 2007 19:48 Message(s) : 2289
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Polycarpe a écrit : Je serais donc plus nuancé sur le terme "bâclé". Ce qui m’a choqué, c’est qu’il saupoudre son résumé des manuels de base, ce qui était son travail, de théories personnelles absurdes (des Celtes en Italie du Sud à la fin du IIe millénaire, faut oser... comme faire intervenir dans le prose de Thucydide des Ibères caucasiens inconnus des Grecs avant quatre siècle ! Et comme dit, il y en avait d’autres, mais je n’avais guère le loisir de les noter), elles n’apportaient strictement rien et dénotaient une connaissance plus que superficielle du sujet. La biblio que tu donnes est très bonne, ce sont des synthèses réputées, mais aucun article précis pour les étayer ? Polycarpe a écrit : Kokalos est un terme de la langue mycénienne. (...) Kokalos est l'image du commerce avec les égéens, mycéniens ou crétois, et montre une certaine réticence de la part des peuples de sicile du moins dans un premier temps. Le fait que Kôkalos soit un terme mycénien m’intrigue. Je vais tâcher en janvier d’en apprendre plus. Par contre, d’une manière générale, je suis sceptique sur un point méthodologique : pourquoi diable croire que les aventures de héros mycéniens (Héraclès) ou minoens (Minos) sont des échos de mythes mycéniens ou minoens ? Les mythes sont les reflets de l’époque à laquelle ils sont rédigés, pas forcément de l’époque à laquelle ils sont sensé se dérouler. Et à ce titre, la guerre de Troie est un repère, la référence qui signale que l’on quitte l’histoire pour entrer dans le mythe. Entre les « Retours » et les premières fondations coloniales au VIIIe, il y a un trou béant. Toutes les aventures mythologiques se placent systématiquement au-delà de cette césure. C’est une astuce littéraire, pas un indice historique. En l’occurrence, pour Cocalos, aucune trace à ma connaissance avant le Ve, ni dans Homère ou Hésiode ni dans les Lyriques. Aussi, en déduire une allusion à des relations commerciales, une réticence des Sicanes, une chronologie dans ces relations, etc. antérieurs au XIIIe me paraît bien fragile. Ce mythe me semble refléter les préoccupations des rédacteurs athéniens, prasiens et siciliens du Ve, pas celles des marchands mycéniens 10 ou 8 siècles avant. Polycarpe a écrit : La symbolique du grec colonisateur face à géryon Mais Géryon n’est pas du tout une figure sicilienne ! Les péripéties du retour d’Héraclès sont d’ailleurs sans doute plus tardives que le mythe des travaux en soit, qui à l’origine n’a aucune base géographique. Lorsqu’il sera placé au cœur d’une géographie de la Méditerranée orientale, il sera relégué à l’extrémité ouest, vers le Détroit, et affirmera alors sa présence... dans toutes les zones coloniales grecques. Mais au VIIIe encore, rien de tel. Le mythe du retour est donc intrinsèquement lié, chronologiquement, à la colonisation, qu’il accompagne et justifie, pas forcément d’ailleurs de manière anticipée, au contraire. Bref, les étapes se mettent en place aux VIII-VIe (et se poursuivront d’ailleurs jusqu’à l’Empire). Encore une fois, rien à voir avec les Mycéniens me semble-t-il. Polycarpe a écrit : Il parle ensuite d'Homère afin d'expliquer que si on ne peut se abser sur ce dernier pour avoir un réel regard historique et géographique comme nous l'entendons sur la Sicile de cette épouqe, c'est son épopée qui fait rentrer la Sicile dans l'histoire. Avant tout, peut-être un rappel : chez Homère, les Cyclopes et les Lestrygons ne sont pas du tout Siciliens, ils n’ont pas de géographie précise. Ce n’est que bien plus tard que les Grecs situeront ces mythes précisément en Sicile, et les enrichiront peu à peu d’un mythologie plus locale (Galatée et Polyphème par exemple). Dans l’Odyssée donc, seules quatre mentions (1 fois la Sicanie, 3 fois la Sicélie), une fois au livre XX, 3 fois au livre XXIV. En XX.383, Télémaque introduit dans le palais Ulysse, qui ne se fait pas reconnaître, se faisant passer pour un mendiant ; les Prétendants se moquent de lui et du voyageur qu’il accueille. L’un d’eux interpelle Télémaque et lui conseille narquois de vendre le mendiant aux Siciliens qui en donneraient un bon prix. Au chant XXIV, le vers 389 semble une redondance du vers 211, même si le procédé est courant. Le vieux Laerte tout comme le vieux Dolios finissent leurs jours en compagnie d’une fidèle esclave sicilienne. Tous deux bénéficient d’« une vénérable Sicilienne qui prodiguait les soins les plus tendres » à l’un ou à l’autre (même formule). Enfin, en XXIV.302 lorsque Ulysse se présente devant son père qui ne le reconnaît pas, il se fait lui aussi passer pour un Sicilien, un Sicane d’Alybante, repoussé par la tempête sur les rivages d’Ithaque. Il témoigne donc de relation commerciales réciproques poussées entre les îles de la mer Ionienne et la Sicile au VIIIe. Je dirais même que la Sicile constitue en XX.383 la référence commerciale de base pour les Ithaciens, étape sur la route qui mène à la Sicile via Corcyre et l’Italie du Sud. 3 fois, il est fait mention d’esclavage, mais concerne aussi bien des esclaves siciliens en Grèce que des esclaves grecs en Sicile, et les navires faisant la liaison sont une fois grec, une fois sicilien. Polycarpe a écrit : il parle des divinités sicules les frère Palice comme symbole du feu de l'Etna. (...) Qu'en est-il et que fut l'influence de ce culte en SIcile ? Pour ce que j'ai lu il a servi pendant la révolte de Doukétios contre els colons grecs et enfin leur sanctuaire fut un refuge à esclave. Il existe quelques allusions à ce culte, mais les plus complets sont Diodore et l’excellent Macrobe. Diodore XI.88-89 : Quelque temps après, Doucétios, chef des Sicèles, réunit en un seul Etat toutes les villes de même origine, excepté Hybla. Doué d'un esprit actif, il entreprit de nouveaux travaux : il tira de la république des Siciliens un corps d'armée considérable ; il transplanta Ménas, sa ville natale, dans la plaine, et fonda, dans le voisinage du temple des dieux appelés Paliques, une ville importante qu'il appela Palica, du nom de ces dieux. 89. Puisque nous venons de mentionner ces dieux, il est convenable de dire un mot de l'antiquité de leur temple et des merveilles qu'on raconte des cratères particuliers qui s'y trouvent. Suivant la tradition, le temple des dieux Paliques se distingue des autres par son antiquité, sa sainteté et les choses curieuses qu'on y observe. D'abord on y voit des cratères d'une largeur, il est vrai, peu considérable, mais qui lancent, d'une immense profondeur, d'énormes étincelles ; on dirait des chaudières posées sur un grand feu et pleines d'eau bouillante. L'eau qui jaillit de ces cratères a l'apparence de l'eau bouillante ; mais on n'en a pas la certitude, car personne n'a encore osé y toucher, et la terreur qu'inspire cette éructation aqueuse semble y attacher quelque chose de surnaturel et de divin. Cette eau répand une forte odeur de soufre, et l'abîme d'où elle s'échappe fait entendre un bruit effroyable. Ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que cette eau ne déborde jamais, ne cesse jamais de couler, et est lancée avec force à une hauteur prodigieuse. Le temple est si vénéré qu'on y prononce les serments les plus sacrés, et les parjures reçoivent aussitôt le châtiment divin : quelques-uns sont sortis aveugles de ce temple. Enfin, la crainte superstitieuse attachée à ce lieu est telle que l'on termine des procès difficiles par les serments que l'on y fait prononcer. Le temple des Paliques est devenu depuis quelque temps un asile inviolable, surtout pour les malheureux esclaves qui sont tombés au pouvoir de maîtres impitoyables; car les maîtres n'ont pas le pouvoir d'arracher de cet asile les esclaves qui s'y sont réfugiés; ceux-ci y demeurent inviolables, jusqu'à ce que les maîtres, s'en rapportant à des arbitres généreux, se soient engagés, sous la foi du serment, de les laisser sortir réconciliés. Jamais, que l'on sache, ces serments n'ont été violés, tant la crainte des dieux fait respecter même les esclaves ! Ce temple est situé dans une plaine digne de la majesté des dieux; il est entouré de portiques et d'autres ornements convenables. Mais ces détails doivent suffire. Reprenons maintenant le fil de notre histoire.Macrobe, Saturnales, V.19 : On trouve, dans le neuvième livre de l'Énéide, les vers suivants « Le fils d'Arcens , revêtu d'armes somptueuses, était là, avec sa chlamyde brodée à l'aiguille, tout brillant de pourpre d'Ibérie ; il était beau ; son père Arcens, qui l'avait envoyé [à la guerre], l'avait élevé dans le bois sacré de Mars, sur les bords du Symèthe , où l'autel placable de Palicus est arrosé du sang des victimes » Quel est ce dieu Palicus, ou plutôt quels sont ces dieux Paliques (car ils sont deux), dont il n'est fait mention, que je sache, dans aucun écrivain latin ? C'est dans les sources les plus profondes de la littérature grecque que Virgile les a trouvés. D'abord le fleuve Symèthe, dont Virgile fait mention dans ces vers, est situé en Sicile ; et c'est aussi en Sicile que les dieux Paliques sont honorés. Le premier écrivain qui en ait parlé est le tragique Eschyle, Sicilien de naissance, qui donne dans ses vers la signification, ou, comme disent les Grecs, l'étymologie de leur nom. Mais avant de rapporter les vers d'Eschyle, il convient d'exposer en peu de mots l'histoire des Paliques. Sur les bords du fleuve Symèthe, qui coule en Sicile, Jupiter rendit mère la nymphe Thalie, qui, par crainte de Junon, souhaita que la terre l'engloutît ; ce qui arriva : mais à l'époque où les enfants qu'elle avait portés dans son sein eurent atteint leur terme, la terre se rouvrit, et les deux enfants parurent sortant du sein de Thalie, et furent appelés Palici, de ἀπὸ τοῦ πάλιν ἱκέσθαι, parce qu'ils étaient revenus de la terre dans laquelle ils avaient été engloutis. Non loin de là sont des lacs de peu d'étendue, mais d'une immense profondeur, et où l'eau surgit à gros bouillons. Les habitants du pays les appellent des cratères, et les nomment Delloï. Ils pensent que ce sont des frères des dieux Paliques : ils les honorent d'un culte solennel, à cause d'une divinité qui manifeste sur leurs bords, relativement aux serments, sa présence et son action. En effet, lorsqu'on veut savoir la vérité touchant un larcin nié ou quelque action de cette nature, on exige le serment de la personne suspecte ; celui qui l'a provoquée s'approche avec elle des cratères, après qu'ils se sont lavés tous deux de toute souillure, et après que l'inculpé a garanti par une caution personnelle qu'il restituera l'objet réclamé, si l'événement vient à le condamner. Invoquant ensuite la divinité du lieu, le défendeur la prenait à témoin de son serment. S'il parlait conformément à la vérité, il se retirait sans qu'il lui fût arrivé aucun mal ; mais s'il jurait contre sa conscience, il ne tardait pas à trouver dans les eaux du lac la mort due au parjure. Ces circonstances recommandaient tellement les deux frères à la piété publique, qu'on les surnommait placables, tandis que les cratères étaient surnommés implacables. De plus, le temple des dieux Paliques est favorisé d'un oracle. En effet, une année que la sécheresse avait rendu la Sicile stérile, ses habitants, avertis par un avis miraculeux des dieux Paliques, offrirent à un certain héros un sacrifice particulier, et l'abondance revint. Les Siciliens, par reconnaissance, entassèrent sur l'autel des Paliques des fruits de toute espèce; ce qui fit donner à leur autel lui-même la qualification de pinguis. Voilà toute l'histoire des Paliques et de leurs frères, qui ne se trouve que dans les écrivains grecs, chez lesquels Virgile n'a pas moins puisé que chez les Latins. Maintenant il faut rapporter des autorités en faveur de ce que nous avons raconté. Il est une tragédie d'Eschyle, intitulée Etna, dans laquelle il s'exprime ainsi, en parlant des Paliques : « Quel nom leur donnent les mortels ? Zeus veut qu'on les nomme Paliques, et ce nom leur est attribué avec justice, puisqu'ils sont retournés des ténèbres à la lumière. » Voici maintenant un passage de Callias, livre septième de son histoire de Sicile : « Éryx est éloigné de Géla d'environ quatre-vingt-dix stades. C'est une montagne aujourd'hui entièrement déserte, et jadis ce fut une ville de la Sicile. Là sont situés deux gouffres que les Siciliens appellent Delloï, qu'ils croient frères des Paliques et dont les eaux sont continuellement bouillonnantes. » Voici actuellement un passage de l'ouvrage de Palémon, intitulé Des fleuves merveilleux de la Sicile : « Les dieux, dit-il, que (les Siciliens) appellent Paliques, sont regardés comme étant originaires de l'île ; ils ont pour frères deux gouffres très profonds, dont on ne doit s'approcher, afin de leur rendre les honneurs religieux, que revêtu de vêtements nouveaux et purifié de toute souillure charnelle. Il s'exhale de ces gouffres une forte odeur de soufre, qui excite une ivresse effrayante dans ceux qui s'approchent de leurs bords. Leurs eaux sont troublées, et d'une couleur très ressemblante à celle d'une flamme blanchâtre; elles s'agitent et font le même bruit que si elles bouillonnaient modérément. On dit que la profondeur de ces gouffres est incommensurable, tellement que des bœufs y étant tombés y disparurent, ainsi qu'un chariot attelé de mulets, et des cavales qui étaient sautées dedans. Il est, chez les Siciliens, une sorte de serment qui est la plus solennelle des justifications que l'on puisse exiger. Les juges du serment lisent sur un billet, à ceux qui doivent le prêter, le serment qu'on exige d'eux; ceux-ci , brandissant une branche d'arbre, ayant à la tête couronnée, le corps sans ceinture et ne portant qu'un seul vêtement, s'approchent du gouffre et font le serment requis. S'ils retournent chez eux sains et saufs, leur serment est confirmé; mais s'ils sont parjures, ils expirent aux pieds des dieux. Au reste, (ceux qui jurent ) sont tenus de constituer entre les mains des prêtres des cautions qui leur garantissent, en cas d'événement, les frais des purifications qui doivent être pratiquées à l'égard des assistants. Auprès de ces gouffres habitèrent les Paliciens, dont la ville fut surnommée Palicina, du nom de ces divinités. » Ainsi s'exprime Polémon. Xénagoras, dans le troisième livre de son Histoire des lieux où existent des oracles, dit ce qui suit : « La Sicile ayant été affligée de stérilité, ses habitants, par l'ordre de l'oracle des Paliques, sacrifièrent à un certain héros ; et après le retour de la fertilité, ils comblèrent d'offrandes le temple des Paliques. » Voilà, je pense, pleinement terminée, et appuyée sur de graves autorités, l'explication d'un passage de Virgile, que nos littérateurs ne regardent pas même comme obscur, et sur lequel ils se contentent de savoir et d'apprendre à leurs disciples que Palicus est le nom d'une certaine divinité. Mais quelle est cette divinité, et d'où vient son nom ? Ils l'ignorent et ils ne cherchent pas à le savoir, ne soupçonnant pas même où ils pourraient le trouver, dans l'ignorance où ils sont des ouvrages grecs. En tant qu’asile pour esclave, le sanctuaire joua effectivement un rôle important lors du déclenchement de la seconde guerre servile en 104. En effet, les premiers esclaves révoltés se réfugièrent dans le sanctuaire, qui servit alors de point de ralliement des esclaves en fuite. Voir encore Diodore, dans le premier fragment du livre XXXVI. Pour approfondir, je signale l’édition récente d’une synthèse sur le sujet : A. Meurant, Les Paliques, dieux jumeaux siciliens, Louvain-la-Neuve, 1998, 123 p. (Bibliothèque des Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain, 96). Tous les textes doivent y être recensés (pour ma part, je n’en ai que 12) et analysés, à la lumière éventuelle des dernières fouilles.
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