La Saussaye a écrit :
Il est vrai que nous touchons là une question intéressante et assez complexe : l'homme (en terme d'individu) romain était-il religieux au sens ou nous l'entendons après ce formidable filtre de religiosité qu'a été le Moyen-Age ?
En d'autres termes, était-il "croyant" ?
Je pencherai assez pour une réponse positive, et n'ayant rien de péjoratif; la célèbre tolérance romaine aux cultes étrangers a fini, entre autres par le biais des apologétistes chrétiens d'une part, plus récemment des péplums hollywoodiens d'autre part, par accréditer que, finalement, les romains ne croyaient en rien fondamentalement. Je pense au contraire qu'ils étaient profondément religieux, et que celà explique, entre autres, le fait qu'ils se soient singularisés dans le monde antique par leur attachement aux traités signés avec les autres nations, traités qu'ils dédiaient à leurs divinités tutélaires.
Q'en pensez-vous ?
L'homme romain était très certainement croyant, mais pas au sens où nous l'entendons, j'entends par là qu'il n'avait pas la foi. Pourquoi? Tout simplement parcequ'il n'a pas besoin de croire en ses dieux : les dieux sont là, quoi qu'on fasse, et le seul moyen de les mettre dans de bonnes dispositions n'est pas la prière personelle mais bien l'accomplissement du rite.
Après, on peut appeler ça de la superstition, puisque vu depuis nos sociétés judéo-chrétienne, croire que l'on va s'attirer la vengeance des dieux pour une prescription rituelle non respectée est de la superstition. Parce que si le romain croit en ses dieux, il ne leur porte pas nécessairement un amour inconditionnel. En effet, le domaine du sacré est, chez les romains, fondamentalement dangereux. C'est pourquoi les prodiges, comme dit MARS, font l'objet d'une enquête approfondie (qui nous est connue, dans les grandes lignes, par le
De haruspicinum responsa de Cicéron). Le prodige est une intrusion du sacré dans le monde terrestre : tout contact se révèle extrèmement dangereux, et les plus prudentes mesures sont à prendre dans un tel cas (expiations, purifications, rites propitiatoires). Le prodige est bien souvent un avertissement (par exemple, en -216, quelques jours avant la bataille de Cannes, un pic, oiseau du dieu Mars, s'est posé sur la tête du prêteur Aelius Tubero : on connait la suite). C'est le contraire du miracle chrétien, qui est lui aussi une intrusion du Divin dans le monde des hommes, mais connoté positivement.
Enfin, votre remarque concernant les traités est intéressante. On sait que les Féciaux, un collège de prêtres, étaient particulièrement affectés à ce domaine du
ius gentium, le droit international de l'époque. Ils participaient à la ratification des traités et aux déclarations de guerre. A chaque fois, le rituel tient une part primordiale. En effet, si ce collège de prêtres à pour fonction de s'assurer que la guerre menée est juste, ce n'est pas pour ne pas faire de tord à l'ennemi, mais bien pour éviter de froisser les dieux. Si tout est fait dans les formes, alors on a une
bellum iustum, une guerre juste, et la victoire est nécessairement acquise aux Romains, puisqu'il y a une adéquation totale avec la façon religieuse de déclarer la guerre, conforme à la volonté des dieux.