Ourmilougue a écrit :
Ah d'accord....
Je pense que pour essayer de tenter de comprendre une période, la question démographique est au moins aussi importante que la question climatique, politique ou technologique, surtout du point de vue la production alimentaire et des échanges commerciaux.
la problématique n'est plus du tout la même si il y 100 000 personnes en Europe ou 450 millions...
Personne ne doute que la question démographique soit fondamentale, mais quand on n'a pas de source, on a le choix entre dire n'importe quoi et ne rien dire.
Ainsi, les chiffres donnés dans les sources antiques sont très très délicats à interpréter, pour trois raisons :
-la première, je n'y reviens pas car elle a déjà été évoquée, c'est la possibilité que les chiffres soient exagérés, comme l'exemple que vous citez de César sur les pertes gauloises pendant la Guerre des Gaules (quand il dit 1 million de morts et 1 million d'esclaves, est-ce qu'il arrondit un chiffre réel très élevé ou est-ce qu'il quadruple les pertes? En vrai, il y a eu plutôt 800 000 morts ou 300 000? Bon courage pour trancher!)
-la seconde, c'est qu'ils ne précisent jamais ce que regroupe la catégorie sur laquelle porte le chiffre. Ainsi, nous n'avons jamais aucun texte qui donne un chiffre de population, ni pour un pays ou une région, ni pour une ville. Nous avons des chiffres pour des sous-catégories, mais qui ne sont jamais précisées.
Exemple : plein de sources donne le nombre des citoyens romains. Mais s'agit-il seulement des mâles adultes ou de toute la population civique (femmes et enfants de citoyens compris)? La réponse est beaucoup moins évidente qu'il n'y paraît. Et pour ensuite en tirer des conclusions sur la population totale de l'Italie ou de l'empire, il faudrait avoir une idée du pourcentage des citoyens dans la population : or aucune source ne le dit. Ainsi vous avez 900 000 citoyens romains en 70 av. J.-C. après la guerre sociale, 4 millions à l'arrivée au pouvoir d'Auguste en 27 av. J.-C. : comment expliquer le quadruplement en 40 ans? Des dizaines d'hypothèses, aucune n'est satisfaisante.
-la dernière, c'est que les chiffres sont ce qui est le plus corrompu dans les manuscrits qui recopient les sources antiques. Les textes antiques nous sont parvenus par plein d'intermédiaires : les copies sur des manuscrits médiévaux au fil des siècles. A chaque copie se glisse des coquilles ; mais le mot "table" devient rarement "éléphant" pour une question de contexte ; tandis qu'un nombre peut très vite, par simple erreur de lecture ou de recopiage, être multiplié par deux, dix ou mille!
Bref, quand on combine tout ça, on voit qu'il est très difficile de partir des chiffres donnés dans les sources antiques pour faire de la démographie historique et qu'on peut faire dire tout et son contraire à une source.
L'archéologie peut nous renseigner sur la démographie, mais jamais au point de fournir des estimations de population sur des grands territoires. On peut dire sans trop de problème qu'un site est plus peuplé à un moment qu'à un autre : on retrace des évolutions. Pour des régions un peu plus grandes, les prospections sont utiles, mais donnent également des estimations relatives, jamais absolues. Mais à l'échelle de l'Europe antique, c'est impossible.
Enfin, les estimations chiffrées sont toujours biaisées par nos croyances sur les sociétés antiques, car elles ont énormément d'implications dans plein de domaines.
Vous même, Ourmilougue, vous jugez les estimations hautes exagérées et même les basses optimistes, sans doute parce que vous pensez qu'un tel niveau de population suppose un niveau de développement économique supérieur à celui que vous attribuez à l'Italie antique. Je ne dis pas que vous avez tort, il est même fort possible que vous ayez raison ; mais en fait, c'est impossible de trancher et c'est un gros débat entre historiens. D'un côté, ceux qui pensent que l'économie antique ne pouvait soutenir une population importante, de l'autre les partisans du contraire.
Par exemple, la ville de Rome à l'époque impériale : toutes les sources antiques insistent sur l'épouvantable qualité de vie (pollution sonore, auditive, olfactive, entassement, incendies, inondations) ; et pourtant, les habitants de cette ville disposaient d'une quantité d'eau potable et de nourriture supérieure à celle de Paris au XVIIIe siècle et à une grande partie des grandes villes de notre monde actuel.
Bref, tout ceci n'est pas simple et il faut savoir rester modeste sur l'ampleur de nos lacunes!