L'été 1815 fut assez éprouvant... Les armées alliées occupaient 61 départements (tout le Nord de la France, moins une partie de la Bretagne, jusqu'à Lyon), et vivaient sur le pays. C'était aux Français de les nourrir, les loger, les vêtir. L'arbitraire régnait : « saisie de fonds publics, contributions en argent levées sur les [gens] aisés, livraisons de draps, de chemises, de chaussures, fourniture de subsistances en pain, en viande, en vin, de fourrages. Mais [...] les indemnités de table exorbitantes allouées aux officiers n'empêchaient point des réquisitions [...]. Si les biens publics étaient saccagés, les particuliers étaient soumis aux exactions les plus diverses : leurs récoltes saisies, leurs femmes ou filles violées, les maisons incendiées. [...] Les fonctionnaires qui tentaient de résister étaient durement sanctionnés : des garnissaires s'installaient chez les préfets (plusieurs furent déportés en Allemagne), les maires et les percepteurs étaient rossés ». Les plus supportables furent les Anglais, qui craignaient qu'une occupation trop lourde n'amène les Français à se révolter. Les Russes étaient plutôt disciplinés, à l'exception de certains Cosaques. En revanche, les Autrichiens en profitaient pour tirer profit et du commerce. Quant aux Prussiens, ils étaient « les plus redoutés, les plus haïs des occupants », avec les soldats des États allemands occupés par Napoléon. « Avec eux, les brimades étaient systématiques. Blücher lui-même campait en soudard au château de Saint-Cloud, donnant l'exemple de la rapine. » Cette brutalité répond en écho à la peur que suscita en Europe le retour de l'empereur au printemps précédent : puisque les Français s'étaient ralliés à lui, ils allaient payer.
Prenons l'exemple du Haut-Perche (Orne), occupé pendant deux mois (juillet-septembre 1815) : « Le récit des pillages de châteaux frappe particulièrement les esprits ; d'autant que les Prussiens obligent les fermiers des propriétaires à fournir les charrettes qui permettent le transport du butin. Le 31 juillet, le château de Viantais (Bellou-sur-Huisne) est saccagé ; la perte se montre à plus de vingt mille francs. Les Prussiens ont emporté l'argent, les bijoux, le linge des armoires et des secrétaires, mais aussi les livres de la bibliothèque, les gravures et les collections d'objets d'art. Ils ont brisé les glaces et les instruments de musique qui se trouvaient à l'intérieur de la demeure. [...] Autant peut-être que ces larcins, les excès gastronomiques devaient frapper les pauvres habitants [...], à peine sortis d'une période d'intense privation, pour ne pas dire de disette. Les Prussiens, en effet, se voient servir des banquets pantagruéliques. [...] Restent la brutalité, la morgue de l'occupant. Les Prussiens admettent mal de ne pouvoir se faire comprendre. Ce qui accentue la rudesse des injonctions ; s'ensuivent des soufflets, des coups de plat de sabre, de crosse ou de bâton ; quand ce ne sont pas des jets de bouteille, en pleine figure. »
Ce n'est qu'en septembre que les alliés commencèrent à évacuer des territoires, dans l'optique de la signature du second traité de Paris, le 20 novembre 1815. Outre une indemnité de 700 millions, la France voit 150 000 hommes occuper ses forteresses du Nord et de l'Est pendant cinq ans. L'armée d'occupation est placée sous le commandement de Wellington, qui discute régulièrement avec les ambassadeurs parisiens des quatre puissances occupantes. Le gouvernement Richelieu réussit cependant à payer par anticipation les indemnités et obtient le départ des troupes étrangères en 1818.
Sources : André JARDIN, André-Jean TUDESCQ, La France des notables. 1.L'évolution générale 1815-1818, Seuil, 1973, pages 31-33, 55-59. Alain CORBIN, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Flammarion, 2002, pages 205-207.
_________________ « Le luxe [...] corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; [...] il ôte à l’État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion. »
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