Je reviens un instant sur deux éléments qui ont fait beaucoup jasé depuis cent ans.
- La fameuse question de la vitesse du Liner lors du choc
Alors que la Cunard, avec ses deux grands paquebots Mauretania et Lusitania, avait privilégié une grande vitesse (j'ai évoqué le chiffre de 30 noeuds, pour mémoire le Carpathia, à 17 noeuds, pulvérise ses propres records) la White Star, sur les conseils d'Harland et Wolff, décide de privilégier la sécurité et le luxe : tout est une question d'investissement.
En plus, les paquebots de la Cunard ne font pas l'unanimité, car non seulement leur vitesse les rend bruyants, mais surtout ils vibrent beaucoup, ce qui est très déplaisant quand on doit passer cinq jours en mer : la clientèle s'en plaint.
Lors de ses essais, l'Olympic en 1910 a réalisé un essai de vitesse l'amenant, machines neuves et non rodées, à 22 noeuds. C'est super, mais on sait que, même rodée, sa machinerie ne dépassera jamais de beaucoup les 25 noeuds. Lorsque dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 l'Olympic tentera désespérément de rejoindre son jumeau, il fera son score, à 25 noeuds précisément.
La machinerie du Titanic lui est exactement similaire avec ses 26 chambres de chauffe.
Le système de propulsion est constitué de deux larges hélices latérales. Elles peuvent être renforcées par une hélice centrale, qui est alors alimentée par un ingénieux système de dérivation d'énergie vers un énorme alternateur. Un intérêt secondaire de l'hélice centrale est que, lorsqu'elle est en fonctionnement, elle accélère un effet de cavitation sur le gigantesque gouvernail, et de ce fait l'effet de giration du navire.
Le soir du 14 avril, le commandant Smith a donné l'ordre depuis midi de mettre sous chauffe toutes les chaudières. Un essai de vitesse est prévu ... pour le lendemain.
Informé de la présence des glaces dérivantes, il a laissé comme instruction de continuer à la vitesse acquise de 21,5 noeuds, mais de descendre à 10 noeuds si la visibilité venait à diminuer, et de le prévenir alors.
Quand Murdoch prend la décision d'évitement, l'ordre de stopper les machines (avant l'ordre "machines arrière") fait évidemment qu'on coupe l'alternateur d'hélice centrale : l'effet de cavitation sur gouvernail, et donc d'accélération de la giration, est perdu.
En d'autres termes, et sans faire un topo de mécanique navale : si le Titanic était allé plus vite, il aurait viré plus rapidement ...
- L'absence de jumelles en vigie
La c'est plus grave, et carrément stupide. Elles n'ont pas été oubliées à Southampton.
La veille du départ d'Angleterre, il est décidé que le capitaine Wilde, second sur l'Olympic, monte à bord du titanic pour faire profiter l'équipage d'une année d'expérience sur un bateau similaire.
Le tableau des officiers est alors bouleversé. Tous sont rétrogradés, et le dernier du tableau, le lieutenant David Blair, est mis à terre. Or c'est lui qui avait la responsabilité de la vigie. Dans l'affolement du départ et de cet ordre de dernière minute, il quitte le Titanic, navré de rater la traversée inaugurale, en oubliant deux choses.
Il garde sur lui la clé de l'armoire de téléphone avec la vigie, ce qui n'est pas grave puisqu'un double existe et sera employé.
Mais, beaucoup plus grave, il n'a pas le temps de prévenir ses camarades qu'il a mis en sécurité, dans sa cabine et par peur d'un vol, les fameuses jumelles qui auraient permis aux matelots de vigie de repérer l'iceberg à plus de trois milles nautiques ...
_________________ "Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".
Yves Modéran
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