Ce qui est peut-être le plus effrayant, entre le 11 avril et la nuit du 14 au 15, c'est que, forcément, il ne se passe rien.
Forcément ...
C'est la traversée normale d'un Liner, à une époque d'ailleurs ou les usages sociaux, de type anglais et victorien, font que l'on se couche tôt.
Non, on ne dansait pas à bord du Titanic dans la nuit du naufrage : les dancings sur les paquebots apparaîtront dans les années 1920. En 1912, on dîne assez tôt et on va se coucher en cabine vers 10h00 du soir.
Restent quelques noctambules, buveurs ou joueurs de cartes, qui s'attardent aux bars des première et deuxième classe.
Dans l'après-midi du 14 avril, alors que la traversée n'est plus loin de s'achever, les deux opérateurs Marconi reçoivent plusieurs messages d'autres navires informant tout le monde de la présence d'icebergs dans la zone d'approche de New York.
L'information n'est pas neutre en soi : jusqu'à nos jours, aucune présence d'iceberg n'a plus jamais été repérée autant au sud.
Elle n'est pas cependant gravissime, loin de là. Le commandant Smith, informé, donne l'ordre de redoubler de vigilence en vigie (car le navire est équipé d'un mât avec une vigie).
C'est à ce moment qu'a lieu l'échange de messages entre le Titanic, Le Californian, et les Etats-Unis.
Ayant déjà réceptionné plusieurs messages d'informations de présence de glaces, le Titanic transmet en même temps ses propres messages. Il le fait en passant par la station TSF canadienne de Cape Race.
Sa ligne est alors saturée par un nouvel appel. Agaçé, l'un des deux opérateurs Marconi envoie alors bouler son collègue de l'autre bateau par un "shut up (ta gueule) je suis en communication avec Cape Race". Cet épisode en fait mineur fera croire, mal relaté et mal compris, ensuite, que la passerelle aurait méprisé les avertissements qui lui avaient été adressée.
C'est l'opérateur du cargo mixte "Californian" qui vient ainsi d'essayer d'entrer en contact. Il est crevé, seul pour sa part car les équipes de deux opérateurs sont réservées aux très grands navires. Il a complètement oublié de précéder son message du code de priorité M.S.G. En fait, il a même oublié d'attendre l'accusé de réception du Titanic lors de sa demande de contact, et a commencé à envoyer :"Dites donc, mon vieux, nous sommes arrêtés et entourés de glaces ..."
Impossible pour l'opérateur du Titanic de repérer le caractère d'urgence de ce message.
L'information de présence de glaces dérivantes est remontée en passerelle dans le milieu de l'après-midi, et Smith a donné les ordres nécessaires.
Quoi faire d'autre ? Le bateau ne va pas à toute vitesse - il ne le pourrait pas, ses machines sont en rodage - et braquer la barre plein sud n'aurait aucun sens : pour éviter quoi ?
Ordre est donner en passerelle d'être très vigilent, et prêt à réagir à tout moment.
Une autre légende doit ici être dénoncée, celle selon laquelle le navire aurait foncé à toute vitesse au milieu des glaces dérivantes, au mépris de toute sécurité (certains diront même "parce que le capitaine voulait remporter le célèbre ruban bleu", qui couronnait le Liner le plus rapide). Rien n'est plus faux, et d'ailleurs les superviseurs de Harland et Wolff n'auraient jamais laissé faire un tel geste, susceptible de gravement endommager des machines neuves, particulièrement les arbres d'entraînement des trois hélices, qui doivent "prendre leur place" dans leurs berceaux.
Quand au commandant Smith, c'est le commandant de Liner le plus chevronné de toute l'Atlantique Nord, et le Titanic lui a été confié pour cette raison : on ne laisse pas un irresponsable aux commandes de l'objet le plus cher de toute une flotte !
Le Titanic va à bonne allure car il a un horaire à respecter (après tout ces Liners sont les autobus de l'atlantique) mais il reste largement moins rapide que les Mauretania et Lusitania de la Cunard, qui atteignent les 30 noeuds.
Enfin, l'étude rapide des différents vainqueurs du ruban bleu fait apparaître que certains navires ont attendu plus de dix ans après leur lancement pour s'y essayer. Les vainqueurs du ruban ont tous, toujours, été des bâtiments "rassis" et à la fiabilité longuement éprouvée.
Petit pépin quand même, on ne retrouve pas les jumelles à longue portée destinée à la vigie : on a dû les oublier à Southampton.
_________________ "Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".
Yves Modéran
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