Duc de Raguse a écrit :
Ainsi, après une dilution du centre-gauche (il a perdu son utilité initiale), il faut rebattre les cartes entre tous ces "ex-radicaux". Gambetta demeure quelque peu inclassable (capable de rallier modérés, ex-monarchistes et radicaux dans son grand ministère éphémère) et meurt rapidement.Les modérés sont autour de Ferry au milieu des années 1880 et les "radicaux" autour de Floquet. Clemenceau en demeure proche, mais conserve son indépendance avec ses amis, c'est pour cela qu'on parle parfois de "radicaux-socialistes", ce qui me semble impropre. Au sein de ces "radicaux", on ne peut parler de réelle unité : cette vie politique est avant tout affaire d'hommes, de réseaux (coteries et clientèle ?) et d'influence que de réels partis politiques. En somme, comme vous l'aviez bien compris la terminologie "radical" ne veut pas dire grand chose (si ce n'est qu'on se trouve le plus à "gauche" de la Chambre) et évolue fortement entre 1870 et 1890.
Pour revenir sur cette évolution chronologique du terme de "radical", j'ajouterais quelques mots au propos très clair du Duc de Raguse que :
- (i) En 1870-1871, les "radicaux" désignent ceux qui ont refusé la paix de Francfort, quarante-huitards (Ledru-Rollin, Blanc, Quinet) comme jeunes députés (Clemenceau, Gambetta). Ils sont radicaux par leur opposition à Thiers et à l'idée d'une défaite. Il y a une certaine perméabilité entre ce groupe et les défenseurs de la Commune (Delescluze) ou tout du moins les modérés (Clemenceau, Floquet), qui défendent l'idée d'une médiation entre Paris et Versailles en ces temps agités ;
- (ii) A partir de 1872, les "radicaux" se rassemblent sous la bannière des ennemis des républicains dits opportunistes, ceux qui sont partisans d'une République pas-à-pas. Les radicaux dénoncent la compromission de Gambetta et prônent une réalisation immédiate du programme républicain : séparation de l'Eglise et de l'Etat, enseignement public, gratuit et laïc, règlementation du travail, accompagnement social, etc. La divergence entre Clemenceau et Ferry trouve ces racines dans ces compromis. Aux municipales de 1874, la rupture est consommée et en 1875, les républicains opportunistes et les républicains radicaux se déchirent ;
- (iii) Les législatives de 1876 cristallisent le débat. Désormais, les "radicaux" sont des anti-gambettistes notoires. Clemenceau, Floquet, Brisson dénoncent quotidiennement la trop grande prudence de Gambetta et appellent à des réformes rapides. Les radicaux sont les défenseurs de la République laïque et sociale. En janvier 1880, Clemenceau a d'ailleurs officialisé sa rupture avec Gambetta (à la suite d'une affaire de rendez-vous manqué), à l'occasion d'un rassemblement dans ses terres parisiennes ;
- (iv) Les législatives de 1881 voient finalement émerger la nouvelle appellation de "radicaux-socialistes". En juin 1876, sous la précédente mandature, un groupe parlementaire de "l'extrême-gauche" s'est constitué chez Louis Blanc. Lockroy, Raspail, Clemenceau font partie de cette petite formation ; d'ailleurs aux législatives de 1881, certains des comités de soutien de Clemenceau portent cette appellation radical-socialiste ;
- (v) Enfin, sous la mandature de 1881, la Chambre compte des "radicaux clemencistes" (Clemenceau, Pelletan, Barodet, Blanc), qui forment un groupe à part, refusant la double appartenance avec le groupe des républicains opportunistes, et des "radicaux modérés" (Floquet, Brisson, Allain-Targé), réunis au sein de la Gauche radicale, qui partagent les mêmes idées mais acceptent de travailler avec les républicains opportunistes. En novembre 1881, Allain-Targé est d'ailleurs Ministre des Finances de Gambetta.