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Dans les livres se conjuguent les faits et le rédactionnel. Si certains faits ne peuvent être discutés, on peut -par le biais du rédactionnel (choix des mots, des qualificatifs, ponctuation, citations etc.)- faire un portrait du personnage.
C'est bien le problème. De nombreux auteurs ne peuvent s'empêcher de laisser transpirer, pour ainsi dire, leurs avis. D'un autre côté une biographie un peu trop "neutre" est souvent taxée d'ennuyante.
(Si vous voulez une bonne biographie de Guillaume II, celle rédigée par C. Baechler est de qualité, mais quelque peu fade à lire).
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Bien sûr, la Bavière rejoindra le giron allemand mais pas suite à cette offre. Bien sûr le roi de Bavière sait ce qui attend son royaume mais son absence à Versailles montre tout de même que les bottes prussiennes dans la Galerie des Glaces ne l'enchantent guère. Bismarck devra se contenter d'une signature et au GD de Bade de proposer la couronne. Je pense que l'absence de trois rois fait un peu désordre dans le tableau.
Oui, mais l'essentiel est présent. Ils boudent sans doute par leur absence, mais ont bien confié la couronne du nouvel empire au roi de Prusse. C'est le plus important et quelle victoire pour Bismarck en si peu de temps ! N'oublions pas qu'après l'affaire des duchés, la Bavière et son voisin ont suivi l'exécution fédérale lancée par l'Autriche contre la Prusse. Leurs armées, alliées aux troupes autrichiennes, combattaient les Prussiens à Sadowa en 1866. Seulement quatre années après, les représentants de leurs Etats sont à Versailles, l'Empire allemand est proclamé...
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A la lecture de Bled, on voit une France qui semble perdre une partie de son territoire et développe à ce moment un désir de revanche (j'ai été étonnée de la lettre de Favre avec un rédactionnel très dix-sept cent quatre-vingt-treize). Peut-être qu'avant de s'aventurer dans un tel conflit, la France aurait dû envisager l'éventualité d'un échec.
Attention, Favre ne fait pas partie du personnel politique ou militaire qui a déclenché cette guerre. Le gouvernement de Défense nationale a tout de même continué ce conflit, seulement lorsqu'il a connu les exigences allemandes, cela dès la fin du mois de septembre 1870 - tout le monde les connaissait, mais sait-on jamais, les Républicains ont sans aucun doute pensé qu'ils seraient mieux traités que les bonapartistes. Rien de tout cela, nous le savons bien.
Favre est obligé d'invoquer ces "territoires éternels", l'âme de la France, pour espérer un sursaut du pays et sortir du dos de la Nation le glaive prussien déjà bien enfoncé... Dans l'esprit des Républicains, c'est 1793 le modèle : une jeune République assiégée par les monarchies européennes coalisées a pu retourner une situation désespérée. Sauf que, nous ne sommes plus en 1793 et que ce qu'il reste, le plus souvent, entre les mains du ministre Gambetta, ce sont des conscrits, formés à la hâte par un Chanzy, plus désespéré que confiant, sur les bords de la Loire.
L'épine dorsale de l'armée française a été vaincue à Sedan et encerclée à Metz. Sedan peut ainsi être qualifiée de "désastre", car l'Empereur est prisonnier, ainsi que son état-major et la moitié des soldats de métier de l'ex-armée impériale. Comment espérer retourner une situation à la limite du désespoir dans pareil contexte ? Un régime de pratiquement vingt ans s'écroule en quelques jours, comme un vulgaire château de cartes. C'est la soudaineté, alliée à la surprise des contemporains de ces événements, qui fait employer ce terme aux historiens. Il y a quelque chose d'irrationnel dans tout cela...
Malgré un certain panache et la volonté pratiquement messianique d'un Gambetta, les trois généraux de cette armée républicaine en haillons (Chanzy, Faidherbe et Bourbaki), ne parviendront pas à renverser la situation, malgré quelques succès locaux et très ponctuels.
En somme, Favre est bien là dans son rôle, il agite même le spectre des "francs-tireurs" devant Bismarck et si ce dernier s'entête, il lui promet une résistance à outrance. Ce sont plus des mots et un état d'esprit, qui ne correspondent que de manière très éloignée aux faits, qu'une véritable réalité. La rhétorique de cet avocat est quelque peu décalée, mais il faut bien y croire encore et ne pas se laisser manger tout cru au bout d'à peine deux mois de combats... Il en faut plus pour effrayer le "Chancelier de fer", qui pour le coup aurait été bien moins timoré à ce sujet que Moltke (étrange, non ?).
Le ton du discours de Favre ne me semble donc pas inopportun, encore moins son usage de certains mots. Ils correspondent à ceux des désespérés qui veulent encore renverser le cours d'événements bien connus.
"L'année terrible" reste fascinante à étudier et son récit ne laisse personne insensible.
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Avant d'être chancelier, Bismarck a eu une vie politique
Certes, mais il ne vous aura pas échappé qu'à partir de 1862, il se met à dos quasiment toute la classe politique prussienne. C'est à partir de cette date que les prises de position et choix de Bismarck sont intéressants pour notre discussion.
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Maintenant concernant l'A-L., le rôle des militaires est évoqué
Personne n'affirme qu'ils n'ont aucun rôle dans cette affaire, mais nous nous interrogeons sur le fait qu'ils aient réussi à faire pression - ou non - sur le chancelier. Or, là rien, ou plutôt aucune trace dans les archives (françaises comme allemandes), qui nous confirment que l'idée d'annexion (pleine ou partielle) ait été imposé à Bismarck. Seule la partie francophone (avec Metz) aurait été réclamée avec véhémence par les officiers généraux de l'Etat-major, Moltke en tête. Mais Bismarck n'est pas un sot et n'aurait pu être hostile à cette demande (si tant est qu'il l'ait été !) ; lui qui craint déjà la revanche français dès 1873, alors même que le territoire français vient d'être évacué par l'armée allemande. Il teste d'ailleurs la réaction française dès 1875 et 1877, vend les crédits militaires supplémentaires au
Reichstag et parle d'une nécessaire guerre préventive contre la France en 1877. Là encore, il n'a nulle besoin de pressions pour manœuvrer et décider de la politique du
Reich, ou bien toute son œuvre n'aurait été que le résultat de pressions ?
De toute manière, depuis 1862 Bismarck développe une tactique rudimentaire, mais très efficace, pour placer Guillaume Ier à ses vues et balayer ainsi toute opposition : il menace de démissionner. A chaque reprise, Guillaume Ier suit son chancelier et lui donne raison contre une éventuelle opposition (agrariens, militaires, financiers, diplomates ou monarques étrangers).
A ce titre rien, mais alors rien de rien, n'a pu être imposé à Bismarck lorsqu'il fut chancelier de Prusse, de la Confédération d'Allemagne du Nord, puis d'Allemagne entre 1862 et 1890.
Il a cru pouvoir poursuivre cette tactique politique vieille comme le monde avec le petit-fils, Guillaume II, qui, pour le coup, a véritablement accepté sa démission. Pire, il a osé le remplacer !
Bismarck avait une très haute opinion de la mission qu'il avait accomplie pour les Allemands en général et la famille Hohenzollern en particulier. Pour lui, cette dernière lui devait tout. Guillaume Ier lui en manifestait une reconnaissance permanente et le laissait gouverner comme il l'entendait ; Guillaume II, quant à lui, estimait que son heure avait sonnée, l'unité avait été réalisée par une autre génération, et qu'il n'avait plus besoin du vieux magicien, devenu bien encombrant.
Pour terminer mon message je souhaite reproduire une lettre du marquis de Saint-Vallier, alors ambassadeur de France à Berlin, à son ministre de tutelle, Charles Freycinet, datée du 9 juin 1880.
Il venait de rencontrer Bismarck et avaient échangé autour des relations franco-allemandes dans un contexte d'intéressement des Français pour la Tunisie. Bismarck soutient alors la démarche française en déclarant ceci :
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" La France peut compter sur notre concours amical dans les notifications où ne se trouve pas un intérêt allemand contraire aux siens, c'est-à-dire que je suis et serai toujours prêt à appuyer et à seconder l'action de la politique française tant qu'elle ne se tournera pas vers ses anciennes provinces d'Alsace et de Lorraine ; je regarde comme un devoir de lui faciliter, autant qu'il peut dépendre de moi, la recherche de compensations et d'avantages dans des régions éloignées de celles où nous pourrions nous heurter. Dans l'Afrique septentrionale spécialement, je suis doublement favorable à l'extension de son influence ; en premier lieu par ce qu'elle y exerce une action civilisatrice qui doit appeler nos sympathies et surtout parce que je regarde ces contrées comme placées dans la sphère naturelle de son influence légitime."
"L'honnête courtier" allemand - et ce sera là toute sa politique à l'égard de la France entre la fin des années 1870 et 1890 - se déclare donc être un ami de la France, à condition qu'elle oublie définitivement ses anciennes provinces et pour l'y aider il est prêt à lui offrir toutes les colonies de la Terre !
En gros, occupons l'esprit d'une France, isolée en Europe, sur d'autres continents par le biais de la colonisation.
Ce n'est pas pour rien que l'idée de revanche est abandonnée de manière quasi officielle au début des années 1880 et que les cabinets Ferry ("Herr Ferry" selon Clemenceau...) qui vont suivre vont jeter les forces du pays vers la colonisation (il y a d'autres causes bien entendu, mais c'est assez révélateur tout de même).
Je trouve que pour quelqu'un qui a été "forcé", il joue très bien son jeu. Je ne parle pas du document cité plus haut, sur les discussions portant sur les préliminaires de paix en 1870-1871. Bismarck a vendu l'annexion à son roi, à l'armée et aux autres Etats allemands.
Personne n'a pu exercer la moindre pression sur un être de son envergure, son histoire politique le prouve bien.
Pendant 20 ans, il va ensuite défendre cette politique, sans jamais défaillir, même lorsque Ferry et ses successeurs ont tenté de proposer des colonies aux Allemandes en échange de la restitution de l'A.-L.
Non, impossible, cette annexion c'est la dot, pratiquement la nuit de noce de l'unité allemande, il est impossible de revenir dessus, même vingt après.