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Ma question est celle des motivations de la guerre de Sécession.
On donne souvent comme le trait distinctif essentiel entre N et S l'attitude par rapport à l'esclavage, et l'abolition de l'esclavage comme le résultat le plus connu de cette guerre. J'ai du mal à croire que cette question de l'esclavage ait été le motif réel : on se donne le mal de faire la guerre en principe pour des causes plus concrètes et intéressées !
J'imagine donc que les causes réelles de la guerre étaient bien différentes. J'ai lu que c'était d'abord la conception de l'économie qui opposait N, industriel et protectionniste, à S, agricole et exportateur. Pourquoi la question de l'esclavage a-t-elle pris cette place? un drapeau noble et généreux pour les N? (j'ai lu aussi mais ça me paraît loufoque que les N pensaient pouvoir vendre des machines aux S en cas d'abolition de l' esclavage).
Jetez un oeil sur ce fil, il donne des réponses.
Certes, il y avait des différences économiques telles que vous les résumez entre Nord et Sud.
Mais les causes de cette guerre dépassent de beaucoup ce genre d'opposition étroitement économique entre libre-échangisme et protectionnisme--on ne fait généralement pas la guerre pour de telles raisons de tarifs douaniers.
Et je répète que les interprétations purement économiques des causes de cette guerre sont une théorie périmée, historiographiquement parlant, aux EU--c'est d'ailleurs curieux ce décalage chronologique entre la date d'apparition de certaines thèses aux EU et leur réception en France, ça doit venir des délais de traduction en Français d'ouvrages historiques de référence.
Le maintien de l'esclavage a bien été une des raisons essentielles de cette guerre mais POUR LE SUD. L'abolition de l'esclavage par contre, comme on l'a rappelé maintes fois, n'a pas été à l'origine de l'entrée en guerre du Nord.
Les esclaves représentaient, avec la terre, le principal capital des planteurs, classe certes minoritaire (environ 1/8 à 1/10ème de la population blanche selon les états) mais clairement dominante qui faisait toujours la pluie et le beau temps dans le Sud juste avant la guerre.
Etait considéré comme planteur tout individu possédant plus de 20 esclaves.
Au milieu du XIXème siècle, un esclave de qualité moyenne valait 1 200 $, soit 35 000 Euros actuels environ. Certains planteurs avaient plusieurs centaines d'esclaves, et leur prix de vente était généralement en augmentation; pourquoi auraient ils renoncé à cette considérable richesse?
Jefferson lui même, homme des Lumières mais propriétaire d'esclaves sur sa plantation de tabac de Monticello en Virginie, disait que sur la question de l'abolitionnisme, son sens moral se heurtait à ses intérêts. Et ses intérêts parlaient plus fort, puisqu'il n'a libéré aucun de ses esclaves, même pas sa concubine Sally Hemmings (sauf les enfants qu'il a eus avec elle).
Le gouvernement fédéral avait avancé des propositions d'indemnisation, mais elles ne pouvaient être à la hauteur du capital perdu par les planteurs, et ceux ci avaient refusé. Ils auraient sans doute refusé même si cette indemnisation avait compensé réellement leurs pertes.
En plus de la perte financière, l'abolition était aussi une perte de pouvoir politique: en vertu de la loi des 3/5èmes, chaque propriétaire d'esclaves votait pour les 3/5èmes du nombre d'esclaves qu'il possédait; ainsi un planteur possédant 100 esclaves possédait 61 votes, le sien propre et les 60 représentant les 3/5èmes de ses 100 esclaves. Ce système leur permettait de faire la loi au Congrès de leurs états.
Et les planteurs ne voulaient pas d'une population de noirs libres chez eux, incapables (selon eux) de s'assumer économiquement et de vivre de leur travail: l'abolition, pour eux, cela signifiait criminalité et délinquance en hausse, vagabondage, désordres, émeutes etc.
Enfin, le système planteur/esclavagiste n'était pas seulement une entité à but purement économique, contrairement à ce qui se passait dans les plantations des Antilles et au Brésil, où il s'agissait essentiellement de gagner beaucoup d'argent rapidement, où les planteurs résidaient peu sur les plantations et déléguaient le management à des intendants.
Les planteurs du Sud des EU résidaient sur la plantation, le plus souvent en assuraient eux mêmes le management, étaient Américains et avaient complètement coupé les liens avec la métropole, avaient des liens personnels avec les esclaves, étaient donc impliqués dans ce système corps et âme, et il durait depuis deux siècles et demi au moment de la guerre.
L'esclavage était donc plus qu'une source de revenus, c'était un mode de vie complet, une culture. Son abolition représentait, pour les planteurs, la destruction de leur statut de dominants, de leur identité même, largement définie par la possession de leurs esclaves, source de prestige et de poids social plus importante que leur terre.
L'abolition, pour eux, c'était la fin du monde, de leur monde, et la perte ainsi impliquée était multiforme: perte financière, perte de pouvoir socio-politique, perte identitaire.
Pour trouver un équivalent de l'arrachement total que cela représentait pour eux, je ne trouve que la perte de l'Algérie pour les Pieds-Noirs qui l'occupaient depuis deux siècles et avaient fini par s'en considérer comme davantage légitimes propriétaires que les Algériens eux mêmes.