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En 1914,tous les pays d'Europe étaient des monarchies ,à part la France et la Suisse.En 1918..
Ecoutons Yves-Marie Adeline*, présenter ce qu'il était des différents régimes européens avant 1914 :
L' Europe d’avant 1914 est plus cohérente qu’elle ne le sera après la guerre, parce que, en dépit de ses divisions religieuses déjà anciennes, une écrasante majorité d’Européens conçoivent des valeurs politiques, économiques et sociales très proches d’un pays à l’autre. On a beaucoup parlé de la IIIe République française comme d’un modèle très différent de ses voisins, mais cette différence est exagérée, et ce n’est pas pour rien que les attentats anarchistes l’ont frappée comme les autres. Ce qui compte vraiment, là encore, ce ne sont pas les fantasmes, mais seulement l’observation de la vie quotidienne.
Il est bien vrai que le système républicain est alors très minoritaire en Europe. Il gouverne la Suisse, mais c’est là-bas une tradition pluriséculaire, et la Suisse est un petit pays, et le régime républicain n’y est pas révolutionnaire. Le Portugal a vu son roi Charles 1er assassiné par des républicains en 1908, puis son fils Manuel II renversé en 1910 et la république proclamée. Toutefois le changement de régime n’entraîne aucune révolution sociale comme dans la France de 1789-1799, encore moins comme la connaîtra la Russie. Le pays conserve ses structures sociales, ses hiérarchies traditionnelles. Comme dans la IIIe République française, la franc-maçonnerie portugaise s’enorgueillit de tenir le pouvoir, mais cela ne change pas grand’chose pour la société. C’est d’ailleurs l’échec économique et social de cette république qui favorisera quinze ans plus tard l’arrivée au pouvoir de Salazar .
Avec la France, voilà en Europe les trois républiques (on épargnera au lecteur le rappel de l’existence d’une cité-république de Saint-Marin, héritage des anciens Etats aristocratiques de la péninsule italienne) tandis que l’ensemble du continent est monarchique.
Au demeurant, ces monarchies ne sauraient être comparées à celles du XVIIIe siècle : l’Angleterre a depuis longtemps adopté un régime parlementaire, et tous les autres Etats ont traversé les turbulences libérales du siècle qui vient de s’écouler, en particulier les révolutions de 1848. Partout les parlements jouent un rôle important : même la Russie, de tradition autocratique, est devenue une monarchie constitutionnelle après la Révolution de 1905, consécutive à sa défaite contre le Japon. Dans toutes ces monarchies, le poids des parlementaires, qui prétendent parler au nom de l’opinion publique, va se révéler très lourd quand la crise de l’été 14 éclatera.
Mais lorsque ces monarchies se seront effondrées, des commentateurs idéologues redessineront le portrait d’une coalition franco-anglo-belgo-américaine, supposée représenter la pure démocratie, opposée aux empires centraux supposés représenter la féodalité, la monarchie absolue etc. C’est une illusion : le roi des Belges, qui préside le conseil des ministres et commande les armées, n’a pas moins de pouvoir que le Kaiser ou le Tsar. L’
Angleterre, même si le fonctionnement de son Etat est plus anciennement démocratique, pratique le
suffrage censitaire , comme en Hongrie et en Prusse – et aussi des pays aujourd’hui réputés progressistes :
la Suède, les Pays-Bas… - contrairement au reste de l’Allemagne, à l’Autriche, et depuis 1905 à la Russie , qui ont adopté comme la France le suffrage universel. En outre, elle reste un pays dominé par sa noblesse. D’ailleurs aujourd’hui encore, un siècle plus tard, celle-ci conserve la main sur la propriété foncière et immobilière.
En revanche, en 1914, ce n’est pas forcément vrai dans les autres monarchies. C’est vrai en Hongrie, pour des raisons autant sociales qu’historiques : ce sont les seigneurs du pays qui ont obtenu de l’Autriche l’indépendance de la Hongrie et la création d’une double-monarchie ; ainsi, comme pour les seigneurs médiévaux anglais de la Grande Charte, le parlement est largement une chambre de seigneurs - outre le fait que le suffrage universel mettrait fin à la domination des Hongrois sur les Slaves et les Roumains du royaume. Mais ce n’est pas vrai en Autriche. C’est plus vrai en Prusse, où les Junkers jouent un rôle important, que dans le reste de l’Allemagne. En fait, il est généralement plus avantageux d’être né dans l’aristocratie anglaise, beaucoup plus riche que l’allemande ou l’autrichienne, que dans une autre aristocratie. Dans l’Angleterre de cette époque, on a donné ses épaulettes d’officier à un étudiant médiocre, qui ne les méritait pas au vu de son niveau scolaire, mais qui est le petit-fils du duc de Marlborough : il est impensable, il serait « shocking » de les lui refuser. On a d’ailleurs raison, c’est le système scolaire qui est aveugle : il s’appelle Winston Churchill (1874-1965). On ne voit pas non plus que la cour de Buckingham soit moins brillante que celles de Vienne ou de Berlin. Ce qui est vrai, c’est que le roi d’Angleterre règne et ne gouverne pas, contrairement à la plupart des autres souverains d’Europe, encore que ce soit presque la même chose pour le roi d’Italie.
* dans '1914, une tragédie Européenne' (Ellipses- 2011)