Son attitude est bien entendu en cause, puisqu'il avait de telles responsabilités qu'il ne saurait être innocent du résultat final. Mais de là à l'accuser lui, seul, de ce résultat ? Le contexte explique beaucoup de choses, et je considère que les militaires allemands ont surtout surfé sur une vague qui existait déjà et qui a été encouragé par le pouvoir civil en mettant en avant le "coup de poignard dans le dos". Plusieurs preuves à cela : - l'accord secret entre Ebert et l'Oberste Heeresleitung du 9 novembre 1918, où le pouvoir civil demande à l'état-major son appui pour limiter les effets de la révolution. - l'existence d'initiatives civiles facilement assimilables à des perturbations de l'effort de guerre indépendants des militaires : manifestations de janvier 1918, instauration sous la contrainte du cabinet libéral parlementaire (limité) de Max de Bade, révolution bien sûr. - l'accueil triomphal réservé aux troupes de retour au pays (arcs de triomphe, calicots "à nos héros", "aux vainqueurs", etc), y compris lors de la parade de Berlin du 11 décembre 1918, en présence du conseil des commissaires du peuple, Ebert en tête qui fait un discours occultant complètement toute mention de défaite. - la volonté des républicains modérés (Ebert, bien sûr, Noske, il ne pouvait en être autrement, mais aussi Scheidemann par exemple) de ménager l'armée pour mieux s'en servir contre le péril spartakiste (jugulé en janvier 1919), sécessionniste (en mai 1919) ou même extérieur (Etats baltes et provinces orientales du Reich, jusqu'en 1921). - l'enracinement profond des militaires dans la société allemande qui leur donne un poids démesuré, difficile à remettre en cause par les civils du jour au lendemain. Certes, les révolutionnaires ont largement sapé cet enracinement, mais ils sont en déroute à compter de janvier 1919 et l'armée apparaît, un peu paradoxalement, comme la seule à même de protéger les principales conquêtes de la Novemberrevolution : parlementarisme et paix. Tout en en exorcisant les excès : instabilité politique, bolchevisme comme mode de gouvernement, etc. Les milieux bourgeois notamment lui en savent gré, surtout qu'ils reprennent du poil de la bête après les élections générales du 19 janvier 1919 (où ils sont majoritaires, relativement), et qu'ils désapprouvent tous les nombreux excès de la révolution qu'ils n'ont jamais appelé de leurs voeux - facile donc de dire que c'est la faute des rouges et non de la figure paternelle et rassurante du maréchal von Hindenburg.
En gros, pas besoin de Ludendorff pour que le mythe du coup de poignard dans le dos prospère : tout le monde, en dehors des indépendants et des Spartakistes du KPD, avait intérêt à le propager, soit pour se défausser, soit pour flatter et rallier un instrument militaire nécessaire à l'accomplissement de buts politiques, soit par conviction profonde. Et les militaires pouvaient facilement pointer du doigt des évènements purement civils pour montrer que les germes de la défaite étaient civils et non militaires (cf. les quelques-uns que j'ai listés ci-dessus).
CNE503
_________________ "Sicut Aquila"/"Ils s'instruisent pour vaincre"/"Par l'exemple, le coeur et la raison"/"Labor Omnia Vincit"/"Ensemble en paix comme au combat"/"Si Vis Pacem Para Bellum"/"Passe toujours !"
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