C.Douville a écrit :
L'excuse annoncée par Kluck lui-même sur le manque de munitions ne tient pas une minute : 80 000 français sont tombés à la première Marne en quatre jours de combats seulement (pour 120 000 soldats allemands), hors l'essentiel des pertes dans ce conflit sont dues à l'artillerie comme on le sait, cela veux dire que les allemands ont consommé énormément de munitions dans la bataille. C'est l'exemple malheureusement trop répandue des "excuses" de mauvaise foi que l'on retrouve trop souvent lorsque les allemands perdent une ou des batailles (on a finalement le même soucis avec Falkenyn qui nous pond sa "saignée à blanc", genre de mensonges débités pour effacer la stérilité extrême de ses tentatives de percées à Verdun en 1916). Seul le Kronprinz de Prusse semble plus poussé à dire la vérité dans ses mémoires, fait trop rare pour ne pas être signalé...
Il est possible que pour une fois ce soit la vérité et ce ne serait pas à sa décharge. Mais, lisez mon argumentaire avant de réagir.
A force de lire les posts de CNE 503, et de lire les articles de Guerre & Histoire, je pense avoir compris la différence entre les méthodes allemandes et ce qu'on nomme maintenant "l'art opératif". En fait, comme a dit je ne sais plus qui : "Quand l'amateur parle de stratégie, le professionnel admira la logistique". Et il est possible qu'ils aient eu un très gros problème logistique.
Ualque part, la stratégie allemande a toujours favorisé l'approche stratégique de la guerre. C'est pour cela que les généraux allemands ont tellement de latitude de manœuvre : ils vont chercher le point faible de l'adversaire et ils vont chercher la victoire. L'art opératif ne cherche pas à gagner la bataille, mais à gagner la guerre. La différence est d'importance. Si en 1914, il y avait eu un échelon allemand qui aurait eu cette vision en tête, il aurait ralenti l'avance, il aurait ordonné aux armées de ne pas se laisser développer une brèche entre elles.
Il faut se rappeler d'une autre spécificité de la guerre moderne. Contrairement à une certaine vision romantique, le corps à corps, le combat entre hommes est quelque chose de marginal. 1 ou 2% de la mortalité globale de la guerre. Les balles, c'est à peu de chose près le même rapport. 80 ou 85 % des morts et des blessés ? Les obus, les canons; l'artillerie en général. On pourrait résumer la guerre moderne en la capacité d'une armée d'envoyer le plus de métal possible sur les soldats d'en face. Le pays qui réussi à donner le maximum de moyens d'artillerie à ses armées, celui-là va gagner la guerre. Toute la gestion "industrielle" sert à trouver les moyens de produire le plus de canons, le plus de projectiles et à amener tout cela sur le front. Verdun tient grâce à la "Voie Sacrée". Le général Nivelle se rend compte que plus il concentre de canons, plus ses soldats tiennent et plus ils peuvent avancer. C'est ce constat qui le mènera aux massacres du Chemin des Dames ... Pourtant, ce sera le clef, lorsqu'on trouvera les moyens de mettre des canons sur roue.
Et, on revient au plan Schiefflen. Il faut se rappeler que la logistique de l'armée allemande à ce moment-là repose beaucoup sur les hommes et les chevaux. Le plan Schiefflen consiste en gros à lancer des soldats, avec leur barda sur le dos, le plus loin possible dans la profondeur du dispositif français. A un moment, les armées allemandes vont dépasser le point d'avancée qui correspond aux capacités logistiques de leur armée. L'armée allemande avait des moyens d'artillerie qui lui permettait d'écraser l'armée française. Globalement, son artillerie portait 4 km plus loin que l'artillerie française. Les premières phases de l'avance allemande en 14 sont marquées par cette meilleure efficacité. Les allemands gagnent parce qu'ils écrasent les français sous leurs obus. Et puis, ils vont trop loin ...
Et là, ils n'ont plus cette supériorité et les franco-anglais en profitent.
Von Kluck a fait une grossière erreur, mais c'est une erreur qui est dans le droit fil de l'optique allemande de comment doit se comporter un général. Son erreur est de s'être mis dans une situation où les carences de sa logistique ne lui permettaient plus de conserver son avantage. Si quelqu'un avait tenu compte du fait qu'il fallait gagner la guerre, ce quelqu'un aurait freiné les généraux allemands pour qu'ils aient toujours assez d'obus à balancer sur la gueule des français. Mais non, on les laisse caracoler à leur guise, poursuivre l'ennemi et laisser une grosse brêche se créer entre 2 armées.
Il n'a plus assez d'obus, à mes yeux, ce n'est pas une excuse, c'est une accusation et c'est contre lui, puisqu'il est le général, donc le responsable. C'était à lui de prendre les dispositions pour continuer à avoir assez de métal à balancer sur les français. Les généraux allemands feront plusieurs fois de telles erreurs.