Elgor a écrit :
Ce que vous dites est plein de raison.Mais quand j'étais gamin (il y a longtemps
) J'entendais souvent les vieux qui avaient fait la PGM, qui parlaient des généraux qui étaient prodigues du sang de leur soldats. Et parmi tous les noms qu'il citaient, il y en avait 2 qui ressortaient. Joffre et Mangin. Bon ce n'est pas scientifique, néanmoins c'était ce qu'il ressentaient. Pour Joffre, il est évident que ses offensives sanglantes en champagne en 1915 l'ont desservi.
Elgor,
Avec un respect infini pour ce qu'ils ont vécu, je pars du principe que les témoins de l'époque n'ont que rarement la hauteur de vue et la science du temps qui passe d'un Marc Bloch, et qu'ils sont donc éminemment sujets à l'emphase volontaire ou involontaire, à la transmission d'informations qui n'étaient déjà que des ragots ou des on-dit à l'époque de leur diffusion sans se vérifier dans les faits, quand ce n'est pas à la distorsion des souvenirs.
Celui qui fait oeuvre d'historien se méfie donc nécessairement de ces avis qui sont ce qu'ils sont : des opinions humaines qui peuvent être autant vraies que fausses, reposer sur du factuel comme du subjectif, et sont donc obligatoirement questionnables.
En l'occurrence, Joffre a perdu beaucoup d'hommes lors de son "grignotage" de 1915, mais sait-on qu'il pouvait difficilement faire autrement compte tenu de la pression politique et diplomatique qui pesaient sur ses épaules pour soulager l'allié russe, celui qui lui avait permis de remporter sur le fil la décisive bataille de la Marne ? Eut-il maintenu l'armée française dans la prudente expectative que la raison exigeait, que l'empire russe se serait peut-être effondré dès 1915* !
Mangin était un "boucher", mais l'était-il autant quand en 1918 il était à la pointe des offensives alliées, bien plus efficaces et bien moins coûteuses en hommes que celles de nos alliés américains ? Je n'entends personne dire de Pershing que c'était un massacreur de ses propres hommes, pourtant...
Nivelle, qui était sûr de son fait, en avril 1917, en précipitant nos soldats sur les fortifications ennemies les plus solides, était-il saisi d'un démon le poussant à consommer ses soldats plus vite qu'il ne comptait les secondes ? Ou alors, grisé par un succès qui devait beaucoup au contexte stratégique et à l'usure allemande devant Verdun, grisé par les politiques et les généraux qui étaient certains d'avoir là la martingale militaire, ne pensait-il pas sincèrement que cette fois, c'était la bonne ?
Il est tellement facile de refaire le match. Mais à peu près aucun général de l'époque (et de toutes les époques, pour peu qu'il soit sain d'esprit**) n'envisage d'augmenter les pertes de ses propres soldats si cela ne correspond pas à un avantage militaire significatif. C'était aussi bien le cas pour Joffre que pour Mangin ou pour Nivelle et tant d'autres. On peut leur reprocher de s'être trompé, et c'est déjà bien assez. N'y ajoutons pas sans preuve directe celle de l'avoir fait sciemment, qui mérite un tout autre jugement que celui d'une erreur dans un art par essence très complexe...
* Je n'y crois guère, mais lui, le savait-il ? Et s'il ne s'en doutait pas, l'honneur de la France, la réciprocité que les Russes avaient mérité en sacrifiant deux de leurs plus belles armées, ne l'exigeaient-ils pas ?
** Deux belles exceptions, cyniques mais froidement réalistes : Bertrand du Guesclin quand il emmène les grandes compagnies en Espagne où elles sont exterminées à Najera en 1367 ; et Charles VII qui met sur pied deux armées d'"écorcheurs" qu'il envoie se faire massacrer en Lorraine et en Suisse. Mais ici, la raison d'Etat voulait que ces soldats disparaissent tant ils étaient facteurs de troubles et de pillages.
CEN EdG