Nous sommes actuellement le 29 Avr 2024 21:39

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 11 message(s) ] 
Auteur Message
Message Publié : 12 Mars 2006 20:17 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote

Inscription : 12 Mars 2006 19:59
Message(s) : 2
Bonjour, je suis nouveau sur ce forum impressionnant de par l'étendue hallucinante des connaissances de ses membres ! :o

Je m'interroge sur la brutalisation des enfants pendant la première guerre mondiale. Je me demande notamment quelle fut l'influence de la guerre sur leurs moeurs et leurs pensées, et comment leur était inculquée cette fameuse culture de guerre... La haine de l'Allemagne, l'amour des combats, le patriotisme leur étaient enseignés dès le plus jeune âge, à tel point que certains sont même partis sur le front, je crois.

Je suis sûr que vous pourrez me donner de plus amples informations sur ce sujet ! :)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 13:38 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
Message(s) : 172
Localisation : Besançon - Strasbourg
Cher(e) P-Y
Il semble que vous trouverez la lecture la plus synthétique et la plus récente dans l'ouvrage collectif l'Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la plume de Manon Pignot.
Je vous en donne ici un aperçu..

Introduction
L’enfance dans la guerre, essentiellement étudié dans une perspective « victimisante ». Il convient de d’étudier l’enfant non plus comme simple victime mais comme acteur à part entière du conflit.

Enfance et mobilisation.
Utilisation massive de l’enfant sans l’entreprise de mobilisation : c’est pour son fils, sa fille que l’on se bat.
Les lettres des soldats révèlent l’intériorisation profonde de cette notion. Ils font dire que les enfants sont la seule catégorie sociale dont ils ne peuvent douter, les seuls a avoir besoin d’être défendu.
Apparaît alors dans les représentations une connivence entre ces deux cibles privilégiées de la culture de guerre. Le Poilu lutte pour l’enfant qui lui porte une immense gratitude. Le thème est vite repris par la propagande qui en fit, surtout en France, un usage massif et récurrent.
L’enfant sert également a inciter aux restrictions, à l’investissement économique, à dénoncer les exactions de l’ennemi et même à culpabiliser les adultes. « Dady, what did you do during the Great War ? » interrogeait le jeune garçon d’une affiche de propagande anglaise.


Le discours spécifique à destination de l’enfance.
Pourquoi mobiliser l’enfance ? Pour justifier la guerre.
S’élabore une morale patriotique, où l’enfant devient « le petit soldat » participant à victoire. Cette culture n’apparaît pas ex-nihilo, l’esprit de l’après 1870 y imprime sa marque.
Volonté des autorités de signifier la guerre : d’un front idyllique comme des représentations tristement réalistes. L’ennemi doit être haï comme incarnation du mal.

Vaste entreprise de culpabilisation : le petit soldat de l’arrière doit se montrer digne du grand frère poilu. Ne portent-ils pas une responsabilité indirecte dans son sacrifice ? Nécessité pour l’enfant de se racheter. Les genres se distinguent : le garçon peut à son tour devenir soldat et venger les hommes morts pour sa défense. La fillette porte en elle une double culpabilité : celle de son âge et de son sexe. Elle peut toutefois servir. On lui demande d’être une « vraie petite femme », d’être adulte avant l’âge.

Le mythe de l’enfant héros, entre fiction et réalité offre un véritable modèle. Mais les transgressions qu’un tel comportement induit (de l’âge, de la géographie) rendent difficile une telle attitude. Tous les enfants sont pourtant des héros en puissance, la culpabilisation en sort confortée. Néanmoins, l’enfant peut-être utile à l’arrière.

La participation de l’enfant à la guerre se fait à différent degré selon les Etats. On notera la virulence du discours français quand l’Angleterre s’adresse d’abord aux groupes plus qu’aux individus, quand l’Allemagne ne donne à l’enfant qu’une place dans le cercle familial.


Les vecteurs de la culture de guerre enfantine.

L’enfant ne peut échapper, dans une guerre totale, à la violence ambiante. Ecole, famille, église, jeux, lectures... l’efficacité du message semblait reposer sur sa massivité.

Deux grands vecteurs : l’Ecole et les loisirs : Ecole : Dès 1914 la guerre devient, par directive ministérielle, le substrat de tout enseignement. Des maths à la dictée tout est sujet à la guerre. En histoire le maître tend à prouver la nocivité viscérale de l’ennemi en une comparaison « classique » : les Huns et les Allemands. Le maître parti au front, remplacé par une femme, correspond fréquemment avec sa classe. La lecture de ses lettres devient l’objet d’un véritable recueillement. Les salles sont décorées aux couleurs nationales. C’est à l’école que sont organisées des quêtes à l’issue desquelles des médailles sont distribuées. C’est à l’école, enfin que les enfants écrivent aux hommes. Notons enfin un cas fréquemment l’adoption par une classe d’un filleul.
Loisirs : les jeux, les livres d’images, de coloriages... Militarisation des jouets. On offre des uniformes (celui du poilu pour le garçon ; celui de l’infirmière ou de la bavaroise pour la fillette). Le jeu et la lecture, échappatoire au monde adulte, sont entièrement contaminés par la réalité de la guerre.

Deux autres vecteurs plus diffus et moins systématique : l’Eglise où l’on rappel les valeurs de sacrifice et de martyre. La famille, essentiellement par le père au front qui, à son tour, culpabilise involontairement ses enfants et appelle à une responsabilisation précoce.

Des expériences enfantines de guerre.
UNE enfance ? Grande variation surtout si zones occupées ou non. Bouleversement de l’univers enfantin, les « cercles de l’enfance », de l’école à la famille, sont démantelés.
L’enfant, un triple statut :
Victime : directe ou indirecte. 1 100 000 orphelins de guerre en France en 1917, véritable figures incarnées du sacrifice collectif. Création des pupilles de la Nation (loi de juillet 17)
Acteur : Remplacer au travail les hommes partis. Les jeunes garçons se font tourneurs d’obus et les jeunes filles, parfois très jeune, incorporent les ouvroirs (reprise, charpie pour le front...) Absentéisme grandissant à l’école. Quelques cas d’enfants fugueurs partis rejoindre le front, mais ils ne dépassent que rarement le stade du désir. Autres formes de résistance plus symbolique : argot, dédain de l’ennemi, refus d’apprendre la langue de l’adversaire.
Témoin : Problème des sources (lettres et dessins) : faim, peur, angoisse, attente et, dans un même temps la « vie continue » jeu, école... Signe d’une intériorisation de la culture de guerre, on retrouve sous les topoï employés par la propagande sous le crayon enfantin. Intériorisation et auto-mobilisation. Mais la réception n’est pas uniforme. A la fin de la guerre on perçoit une saturation de l’enfant quant au discours guerrier qui donne parfois naissance à une certaine indifférence face au conflit. Apparaît même chez certains enfants un refus de la guerre. C’est le cas de Simone de Beauvoir né en 1908 qui comte dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée, le rejet d’une guerre qu’elle partageait, dans l’intimité du foyer, avec sa mère « qu’elle finisse vite ! ». Peut-on alors parler d’un échec de la culture de guerre ? sans doute pas. On peut toutefois se demander si l’autonomisation et la responsabilisation n’ont pas amené une émancipation de l’enfant.


Conclusion, d’une guerre à l’autre.
A la fin de la guerre, les enfants sont porteurs d’uen double tâche :
- porter la mémoire (décoration posthume, souvenir de guerre du père...) : responsabilisation enfantine du souvenir.
- porter le deuil. Cas fréquent d’enfants nés pendant ou après la guerre portant le prénom d’un proche tué au combat.
Les enfants de 1914 sont les adultes de 1940.

_________________
"... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 13:57 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
Message(s) : 172
Localisation : Besançon - Strasbourg
NB : Ces notes sont dues en bonne partie au travail de l'ami "Fréron de la forêt" que je salue au passage.

_________________
"... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 14:34 
Hors-ligne
Polybe
Polybe

Inscription : 13 Fév 2005 22:12
Message(s) : 96
C'est surtout à l'école qu'il y a vraiment une éducation anti allemand, patriote, glorification du soldat. C'est vraiment dans les cahiers que tu trouveras la brutalité de certains messages passés par les instituteurs, une fois j'ai lu une dictée, les gamins qui devaient recopier devaient avoir une dizaine d'année, on leur dicte l'histoire d'un soldat un allemand qui assassine un enfant en le torturant, on va même dans les détails de la torture, c'est ahurissant, maintenant c'est difficile à dire si c'était généralisé, mais il est clair que c'est l'école qui a vraiment transmis ce patriotisme pour que les enfants le retransmettent à leur famille adulte. Les enfants sont aussi sollicités pour l'effort de guerre, on voit des photographies qui vont servir aussi à la propagande de guerre, des enfants de quatre cinq ans qui faisaient des charpies pour les blessés. Il y a aussi les cartes postales où on montre des bébés en petit soldat, pour montrer qu'il ya la relève. Il y a une imagerie de l'enfant de guerre. Vraiment ce qui montre la militarisation et le patriotisme inculqués aux enfants, c'est l'école et l'éducation qui est vraiment révélateur.
Pour Simone de Beauvoir là je ne suis pas sûre qu'elle est très représentative, n'oublions pas qu'elle écrit mémoire d'une jeune fille rangée à un âge mûre, et on connait ses idées pacifiques par la suite, et sa lutte contre la torture. Autre chose il me semble que le rapport du soldat et de sa famille est à minimiser sur le fait qu'il grandit l'esprit patriote, parce que qu'il y a beaucoup de censures dans la correspondance, même si le soldat se bat pour sa famille sa terre, son bataillon, dans la correspondance il n'y a pas de message pour l'enfant soldat, au contraire il y a une volonté de protéger les siens de l'horreur, parce que à cette guerre il y a eu un choc véritable d'un nouveau genre de guerre. On parle d'avantage de la famille, du travail, des nouvelles, mais on évite vraiment de décrire la souffrance réelle, il y a des sous entendus, il y a parfois des choses plus explicites mais on voit à qui s'adresse ces informations, en général ce sont les parents, l'épouse ...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 15:19 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
Message(s) : 172
Localisation : Besançon - Strasbourg
Un très bon lien sur la question
http://www.historial.org/fr/index_2.htm
Si la correspondance des Poilus ne joue pas un rôle direct dans la "brutalisation" des enfants dans la Grande guerre - et d'ailleurs je ne sais pas si la notion qui par ailleurs ne fait pas consensus, est adaptée dans le cas français - le deuil de guerre a sûrement eu un impact énorme. On pense aux travaux de Jean-Jacques Becker qui signale des compositions de jeunes français, et en particulier l'exemple d'une rédaction de 1917, évoquant un funèbre réveillon suite à la nouvelle de la disparition d'un cousin. Le travail de l'enfant se conclut sur cette phrase : "J'aurai toujours de la haine pour ces maudits Allemands." D'où, comme le souligne encore Siriane, le vecteur école. Mais la "culture de guerre"est une notion qui fait appelle à tous les éléments sociétaux, comme le montre par exemple la formidable adaptation de l'industrie du jouet.

_________________
"... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 16:40 
Hors-ligne
Polybe
Polybe

Inscription : 13 Fév 2005 22:12
Message(s) : 96
C'est vrai, et il faut remarquer ce que tu as souligné, il me semble dans un précédent messages, les différences géographiques il est évident qu'un enfant d'Alsace lorraine a aussi un rapport particulier à la guerre, ou des enfants qui font partie de la population où il y a eu affrontement, il y a eu des zones géographiques qui ont été touché physiquement par la guerre, c'est peut être évident mais il est vraisemblable que là c'est vraiment des particularismes à toute les échelles de la société.
Aussi je voulais ajouter pour les écoles, il ne faut pas sous estimer la mentalité des instituteurs, qui sont d'abord des individus, on sait qu’il y avait des pacifistes, même si ce n'était pas courant, et c'est très possible qu'il y ait eu des instituteurs proches de la pensée pacifiste qui n'ont pas participé à la militarisation de l'éducation scolaire.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 16:58 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque

Inscription : 23 Nov 2005 13:19
Message(s) : 172
Localisation : Besançon - Strasbourg
Une remarque sur l'utilisation du concept de "brutalisation".
L'ouvage de George Mosse, Fallen Soldiers (Reshaping the Memory of the World Wars, 1990, traduction française sous le titre De la Grande Guerre au totalitarisme, 1999), donna naissance au concept de brutalization que l'on traduit soit par "brutalisation", soit encore par "ensauvagement". Mais ce concept est souvent employé à tort comme le remarquait son auteur et comme l'a souligné Antoine Prost à l'endroit de plusieurs articles. (Omer Bartov a lui aussi fait un usage très opératoire de ce concept dans ses travaux sur l'armée d'Hitler).
Dans l'ouvrage précédemment cité de Mosse, le concept décrit l'expérience guerrière des soldats allemands vaincus - expérience qui investi ensuite le champ politique sous la République de Weimar - et non celle des populations civiles, à la différence du concept de trivialization qui s'applique à la banalisation de l'expérience de guerre, tant dans la société combattante que civile et à l'encadrement de cette dernière. Il semble donc préférable de ne pas parler de "brutalisation" des enfants dans la Grande Guerre à moins de faire référence au sens premier du terme. Méfiance donc !

_________________
"... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 13 Mars 2006 17:13 
Hors-ligne
Polybe
Polybe

Inscription : 13 Fév 2005 22:12
Message(s) : 96
Tout dépend du document que tu as entre tes mains, après le problème avec l'histoire c'est qu'il faut faire une synthèse de tes résultats, c'est vrai qu'on ne parle pas de brutalisation pour la population civile, il n'empêche que le retour des poilus a été brutal dans l'image et dans le rapport des anciens combattants avec la population de l'arrière.
Il y a eu vraiment traumatisme, mais traumatisme ne veut pas dire brutalisation. Mais il y a eu vraiment le choc après avoir fait un bilan des pertes humaines, de la vision des gueules cassées, bien sur des vies ravagées par des maladies mentales ... je pense qu'il y a eu un tabou et un effroi qui a duré et les enfants ont grandi avec, de près ou de loin.
La vision de la guerre c'est la gueule cassée, les ravages de la guerre c'est un père destructuré qui n'arrive pas à se réinsérer dans la société. Il y a eu des violences après guerre dans des milieux fermés familiaux surtout, et c'est difficile d'évaluer quantitativement.
En fait les populations civiles ont surtout été touchées après guerre, quand on s'est rendu compte, quand on a eu conscience de la rupture entre le front et l'arrière, et qu'on a donné une image à la guerre. Et les enfants sont dedans et ces enfants même ont participé par la suite au courant pacifiste qui a grandi par la suite...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 15 Mars 2006 18:06 
Hors-ligne
Tite-Live
Tite-Live

Inscription : 09 Août 2005 12:49
Message(s) : 335
Je pense qu'en plus de la "trivialisation" ou éventuellement "brutalisation" de la guerre, il y a eu aussi, et particulièrement dans le monde rural, l'"exploitation" des enfants pour remplacer les hommes partis au front.
J'avais vu l'interview d'une femme née vers 1906 en milieux rural, qui se souvenait de la période 1915-1918 comme d'un "bagne" où on lui avait imposé une participation aux travaux agricoles digne d'un autre temps...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 15 Mars 2006 18:14 
Hors-ligne
Polybe
Polybe

Inscription : 13 Fév 2005 22:12
Message(s) : 96
bien vu on avait omis de parler de la vie dans les campagnes et du manque de main d'oeuvre, je voulais savoir si il y a eu aussi "exploitation" de jeunes adolescents dans les usines, et si la législation du travail a été retouché pour l'âge des salariés...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 21 Mars 2006 19:37 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote

Inscription : 12 Mars 2006 19:59
Message(s) : 2
Merci beaucoup, je comprends mieux... Je vais tout lire au plus vite et je vous poserai d'autres questions si besoin. :wink:


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 11 message(s) ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 20 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB