Cher(e) P-Y
Il semble que vous trouverez la lecture la plus synthétique et la plus récente dans l'ouvrage collectif l'Encyclopédie de la Grande Guerre, sous la plume de Manon Pignot.
Je vous en donne ici un aperçu..
Introduction
L’enfance dans la guerre, essentiellement étudié dans une perspective « victimisante ». Il convient de d’étudier l’enfant non plus comme simple victime mais comme acteur à part entière du conflit.
Enfance et mobilisation.
Utilisation massive de l’enfant sans l’entreprise de mobilisation : c’est pour son fils, sa fille que l’on se bat.
Les lettres des soldats révèlent l’intériorisation profonde de cette notion. Ils font dire que les enfants sont la seule catégorie sociale dont ils ne peuvent douter, les seuls a avoir besoin d’être défendu.
Apparaît alors dans les représentations une connivence entre ces deux cibles privilégiées de la culture de guerre. Le Poilu lutte pour l’enfant qui lui porte une immense gratitude. Le thème est vite repris par la propagande qui en fit, surtout en France, un usage massif et récurrent.
L’enfant sert également a inciter aux restrictions, à l’investissement économique, à dénoncer les exactions de l’ennemi et même à culpabiliser les adultes. « Dady, what did you do during the Great War ? » interrogeait le jeune garçon d’une affiche de propagande anglaise.
Le discours spécifique à destination de l’enfance.
Pourquoi mobiliser l’enfance ? Pour justifier la guerre.
S’élabore une morale patriotique, où l’enfant devient « le petit soldat » participant à victoire. Cette culture n’apparaît pas ex-nihilo, l’esprit de l’après 1870 y imprime sa marque.
Volonté des autorités de signifier la guerre : d’un front idyllique comme des représentations tristement réalistes. L’ennemi doit être haï comme incarnation du mal.
Vaste entreprise de culpabilisation : le petit soldat de l’arrière doit se montrer digne du grand frère poilu. Ne portent-ils pas une responsabilité indirecte dans son sacrifice ? Nécessité pour l’enfant de se racheter. Les genres se distinguent : le garçon peut à son tour devenir soldat et venger les hommes morts pour sa défense. La fillette porte en elle une double culpabilité : celle de son âge et de son sexe. Elle peut toutefois servir. On lui demande d’être une « vraie petite femme », d’être adulte avant l’âge.
Le mythe de l’enfant héros, entre fiction et réalité offre un véritable modèle. Mais les transgressions qu’un tel comportement induit (de l’âge, de la géographie) rendent difficile une telle attitude. Tous les enfants sont pourtant des héros en puissance, la culpabilisation en sort confortée. Néanmoins, l’enfant peut-être utile à l’arrière.
La participation de l’enfant à la guerre se fait à différent degré selon les Etats. On notera la virulence du discours français quand l’Angleterre s’adresse d’abord aux groupes plus qu’aux individus, quand l’Allemagne ne donne à l’enfant qu’une place dans le cercle familial.
Les vecteurs de la culture de guerre enfantine.
L’enfant ne peut échapper, dans une guerre totale, à la violence ambiante. Ecole, famille, église, jeux, lectures... l’efficacité du message semblait reposer sur sa massivité.
Deux grands vecteurs : l’Ecole et les loisirs : Ecole : Dès 1914 la guerre devient, par directive ministérielle, le substrat de tout enseignement. Des maths à la dictée tout est sujet à la guerre. En histoire le maître tend à prouver la nocivité viscérale de l’ennemi en une comparaison « classique » : les Huns et les Allemands. Le maître parti au front, remplacé par une femme, correspond fréquemment avec sa classe. La lecture de ses lettres devient l’objet d’un véritable recueillement. Les salles sont décorées aux couleurs nationales. C’est à l’école que sont organisées des quêtes à l’issue desquelles des médailles sont distribuées. C’est à l’école, enfin que les enfants écrivent aux hommes. Notons enfin un cas fréquemment l’adoption par une classe d’un filleul.
Loisirs : les jeux, les livres d’images, de coloriages... Militarisation des jouets. On offre des uniformes (celui du poilu pour le garçon ; celui de l’infirmière ou de la bavaroise pour la fillette). Le jeu et la lecture, échappatoire au monde adulte, sont entièrement contaminés par la réalité de la guerre.
Deux autres vecteurs plus diffus et moins systématique : l’Eglise où l’on rappel les valeurs de sacrifice et de martyre. La famille, essentiellement par le père au front qui, à son tour, culpabilise involontairement ses enfants et appelle à une responsabilisation précoce.
Des expériences enfantines de guerre.
UNE enfance ? Grande variation surtout si zones occupées ou non. Bouleversement de l’univers enfantin, les « cercles de l’enfance », de l’école à la famille, sont démantelés.
L’enfant, un triple statut :
Victime : directe ou indirecte. 1 100 000 orphelins de guerre en France en 1917, véritable figures incarnées du sacrifice collectif. Création des pupilles de la Nation (loi de juillet 17)
Acteur : Remplacer au travail les hommes partis. Les jeunes garçons se font tourneurs d’obus et les jeunes filles, parfois très jeune, incorporent les ouvroirs (reprise, charpie pour le front...) Absentéisme grandissant à l’école. Quelques cas d’enfants fugueurs partis rejoindre le front, mais ils ne dépassent que rarement le stade du désir. Autres formes de résistance plus symbolique : argot, dédain de l’ennemi, refus d’apprendre la langue de l’adversaire.
Témoin : Problème des sources (lettres et dessins) : faim, peur, angoisse, attente et, dans un même temps la « vie continue » jeu, école... Signe d’une intériorisation de la culture de guerre, on retrouve sous les topoï employés par la propagande sous le crayon enfantin. Intériorisation et auto-mobilisation. Mais la réception n’est pas uniforme. A la fin de la guerre on perçoit une saturation de l’enfant quant au discours guerrier qui donne parfois naissance à une certaine indifférence face au conflit. Apparaît même chez certains enfants un refus de la guerre. C’est le cas de Simone de Beauvoir né en 1908 qui comte dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée, le rejet d’une guerre qu’elle partageait, dans l’intimité du foyer, avec sa mère « qu’elle finisse vite ! ». Peut-on alors parler d’un échec de la culture de guerre ? sans doute pas. On peut toutefois se demander si l’autonomisation et la responsabilisation n’ont pas amené une émancipation de l’enfant.
Conclusion, d’une guerre à l’autre.
A la fin de la guerre, les enfants sont porteurs d’uen double tâche :
- porter la mémoire (décoration posthume, souvenir de guerre du père...) : responsabilisation enfantine du souvenir.
- porter le deuil. Cas fréquent d’enfants nés pendant ou après la guerre portant le prénom d’un proche tué au combat.
Les enfants de 1914 sont les adultes de 1940.
_________________ "... à cent lieues de la Bastille, à l'enseigne de la liberté."
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