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À Tonnerre : je suis surpris que vous classiez les Croix de Feux parmi les ligues fascistes. Il me semble qu'il s'agissait d'un mouvement nationaliste et conservateur qui n'avait pas les caractéristiques du fascisme, et qui de plus n'était pas anti-parlementaire et voulait prendre le pouvoir par les urnes.
Cest la doxa généralement acceptéeen France et, comme initialement mon opinion sur les CDF était formée par des historiens français essentiellement, c'est ce que je pensais aussi. Mais ayant lu les travaux de Robert Soucy, de Sternhell et de divers historiens français qui ont pris leurs distances avec la thèse immunitariste, et ayant lu également des textes de La Rocque et la (volumineuse) biographie de Nobécourt qui lui est consacrée, je ne le pense plus.
Les faiblesses diverses de la thèse immunitariste, le caractère prédéterminé et circulaire de ses analyses et la nature des motivations qui les inspirent m'incite à penser que l'on ne peut à tout le moins considérer ce débat comme clos.
J'aimerais l'aborder mais c'est un débat complexe, et je n'ai pas le temps en ce moment.
Juste deux points très cursifs:
les immunitaristes (certains) basent leur thèse sur leur assertion qu'aucun pouvoir fasciste n'a jamais gouverné en France. Or Vichy, à la fin de la guerre, faisait une place de plus en plus large dans ses rangs à des éléments collaborationnistes parisiens, indéniablement fascistes. Vichy sur sa fin était au moins en train de se fasciser, avec le développement (la milice) d'un corps de police et de combat paramilitaire parallèle tendant à remplacer les corps ad hoc officiels.
Selon eux, si aucun gouvernement fasciste n'a jamais pris le pouvoir en France, c'est en soi la preuve qu'il n'y avait pas de mouvement fasciste puissant en France, juste quelques groupuscules plus ou moins confidentiels.
Or comme je l'ai souligné plus haut, le fait qu'un mouvement fasciste prenne ou ne prenne pas le pouvoir dans un pays a plus à voir avec l'état de crise, de désorganisation et de désarroi du pays qu'avec la puissance intrinsèque des mouvements en question. En termes clairs, dans l'approche immunitariste, la prise du pouvoir est le critère par excellence de la diffusion des idées fascistes dans un pays; je ne suis pas d'accord avec ce point de vue.
Et on sait que le mot fasciste résiste à toute définition stricte, c'est un des mots les plus vagues du vocabulaire historique, sans parler du vocabulaire courant. Le truc des immunitaristes est d'exiger, pour reconnaitre un mouvement français comme fasciste, qu'il soit en tout semblable aux mouvements italiens et nazis.
Sans tenir compte du fait que chaque fascisme s'exprime en se coulant dans le moules des divers particularismes nationaux--ce qui est bien normal, le fascisme n'est pas un universalisme.
Sans tenir compte non plus du fait qu'il existe d'énormes différences entre les deux grands fascismes "de pouvoir" et que le fonctionnement politique et économique de l'Italie mussolinienne (pas d'antisémitisme, société civile et corps constitués continuant à exister, limites sur les pouvoirs de BM révocable par le roi etc) a peu à voir avec celui de l'Allemagne nazie.
Les anti-immunautaristes font également remarquer, ce qui me semble correct, que Pétain (sauf les limites imposées par le bon vouloir de l'occupant) disposait des pouvoirs plus vastes et plus absolus que Mussolini. Et était plus proche que lui du nazisme à certains égards--notamment pour ce qui est de l'antisémitisme mais pas seulement.