J’ai évoqué plus haut Le mystère Mussolini (2021), de Maurizio Serra.
Livre étonnamment déséquilibré. Sur la politique économique du régime, il y a 5 lignes… Sur sa politique sociale, 5 lignes… Sur les années 22-24, presque rien… La lutte contre la mafia : dix lignes. Si je ne me trompe, sur la persécution de l’allemand dans le Haut-Adige : zéro. Quand il y a des montants monétaires, c’est dépourvu d’intérêt car l’auteur ne nous donne pas le montant du budget, ni celui du Pib. Ce qui intéresse l’auteur, c’est essentiellement la politique étrangère et la guerre. La persécution antisémite. La culture prend aussi une certaine place. Et il parle beaucoup de Mussolini, naturellement.
À part ça, c’est vivant, personnel, plutôt sympathique. Un ton de plaisanterie. « Ciano sensible à la diplomatie horizontale » [i. e. : avec services féminins inclus]. Le dernier secrétaire du PNF de Mussolini, Scorza ; « un dur au crâne rasé, comme son chef (sous lequel il n’y avait heureusement pas grand-chose »]. Exagérations continuelles (et quelquefois on mesure mal la part de plaisanterie) : « À ce stade [1938] Goering n’était plus qu’une épave dodue », Guillaume II « hystérique manchot ». Détails savoureux. Qui veut du salace est assez servi aussi… Beaucoup de souvenirs, d’évocations de personnages qu’il a connus, ses ascendants notamment. Émouvant quand il parle de la Résistance (dont son père a fait partie) et ses martyrs. Un trait très heureux : L’auteur évoque, au cours du livre, toutes les œuvres de fiction (livres et films) se rapportant à ce dont il parle, ainsi que nombre de mémoires. Nombreuses comparaisons avec la situation en France, de l’époque ou bien actuelle, pour mieux « faire voir ».
Quelques faits : . Le grand modèle de Mussolini : Napoléon (perçu part lui comme Italien, je suppose, au moins d’ethnie et de langue). . La presse du régime taisait les faits divers se produisant dans le pays (comme ce fut le cas aussi dans les pays communistes) mais (contrairement à ce qui s’est fait dans les pays communistes) relatait abondamment ceux se produisant à l’étranger : l’enlèvement du petit Lindbergh, l’affaire Stavisky… . Il y avait une École de mystique fasciste. (En fait, vouée au culte de Mussolini ; à part ça, qui fut particulièrement antisémite). . Le régime décourageait la consommation de café. . Dans les repas officiels, on servait le même type de menu que dans les cantines ouvrières (au contraire de ce qui se faisait en Union soviétique). L’auteur dit que c’était aussi celui de Mussolini lui-même, qui soumettait ainsi l’Italie au régime de son ulcère. Je trouve qu’il a un peu tort : ce menu ajoutait à celui de Mussolini des pâtes (à l’huile et à la sauce tomate). Il était assez diététique selon nos normes actuelles : blanc de poulet, poisson, légumes, tarte aux pommes (mais pain à volonté). . Dans les bordels, les clients qui demandaient des prestations spéciales (« perverses ») étaient persécutés par la police. En Ethiopie, importation de professionnelles italiennes pour les bordels, d’où les indigènes étaient exclues. . Mussolini n’avait pas d’intentions dynastiques et avait apprécié que ses fils épousent des femmes sans relief social, et aurait aimé la même chose pour son gendre. Mais Edda a voulu épouser Ciano, et finalement Mussolini l’a nommé ministre… . Rachele Mussolini finit sa vie en ouvrant une trattoria, où elle était aux fourneaux. . Un fils de Gramsci est devenu citoyen soviétique. Il ne parlait pas italien. . Dans la Garde impériale allemande, les grenadiers mesuraient un mètre quatre-vingt-dix de taille minimum. Guillaume II en avait nommé caporal d’honneur Victor-Emmanuel III (un mètre cinquante-trois). « VE n’oublia ni ne pardonna jamais cet affront ». [J’ai de la peine à croire qu’il ait s’agit d’un affront, donc d’un impair délibéré, comme le suggère l’auteur ; j’ai peine à croire à ce mètre quatre-vingt-dix dans (toute) la Garde impériale allemande ; et à vrai dire j’ai même peine à croire à ce souverain fait caporal d’honneur]. . Autre détail que j’ai peine à croire : les salons de l’ambassade italienne à Berlin étaient truffés de micros [allemands]. . Jusque vers 1960, l’exemplarité du sort final de Mussolini (l’exhibition de son cadavre et de quelques autres, pendus par les pieds) « sera revendiquée par la mémoire collective de la Résistance ». Claretta Petacci : « à l’époque, son sort n’émut personne ». Il s’agissait de dévaloriser le tyran fuyant avec sa maîtresse, abandonnant son épouse légitime et ses enfants. « Claretta devenait ainsi coupable par procuration, avec une forte empreinte machiste… » . La Volante rossa, organisation militaire clandestine du PCI, qui commit des exécutions jusqu’en 1948.
L’auteur ne mentionne aucune inefficacité ou manque de courage des troupes italiennes en Espagne, sinon pour dénoncer une « légende » de la propagande adverse. Quant au comportement du soldat italien dans la dernière guerre, il règle la question avec une citation du « spécialiste » J. Gooch : « Que le soldat italien se soit battu, souvent dans des conditions défavorables, avec tant de ténacité et de hardiesse, a de quoi surprendre ». (Mussolini’s Wars (2020)). Les deux expressions qui reviennent le plus souvent : « avec distinction » et « acharné ». Sur les combats en Sicile : « la résistance à l’invasion fut incontestablement plus opiniâtre de la part des troupes allemandes, mieux encadrées et commandées, que du côté italien » [un certain euphémisme, je trouve…] ; « résistance par endroits farouche ». [Je n’y étais pas, bien entendu, mais je trouve ça, essentiellement, mensonger]. Pour les erreurs du commandement, il incrimine essentiellement Mussolini… mais aussi « les ordres trop audacieux d’officiers allemands, de Rommel en particulier ». Tout ça ne me paraît pas particulièrement sérieux…
L’auteur critique occasionnellement le machisme contemporain, par exemple un certain machisme antifasciste à l’encontre de Claretta Petacci. Lui-même ne me semble pas reculer devant le lieu commun germanophobe : « pitance tudesque », et encore « lourde pitance tudesque », « [Mussolini] peu attiré par ses charmes teutons ». (En général, l’auteur semble presque ignorer l’existence de l’adjectif « allemand » : il alterne « teuton », et « tudesque » (avec, parfois, un « germanique ») ; plaisanterie ? J’accorde qu’elle est excellente. Mais pourquoi pas quelques gaillards « yankee » ou « rosbif » ?).
En ce qui concerne les hiérarques, l’auteur a une sorte d’admiration pour Farinacci ou disons qu’il lui prête une exceptionnelle envergure (en en faisant par exemple un des trois « grands » du fascisme (avec Grandi et Bottai) hors Mussolini. [Tout ceci m’étonne].
D’occasionnelles erreurs : la Yougoslavie du Prince Paul qualifiée d’ « allié latin » de Hitler. Des licences, inattendues chez un historien : « Mussolini regarde par la fenêtre, l’œil torve » [comment l’auteur le sait-il, puisque Mussolini était seul ?]. « L’accent nasillard austro-bohémien » de Hitler. Nasillard ? Bohémien ?
L’auteur ne vomit pas du tout l’entrée en guerre de l’Italie en 1915. Cela me surprend. Je croyais que cette attitude était, dans l’Italie de nos jours, plus ou moins universelle. Il a des phrases comme « La couronne aurait pu se trouver à nouveau soudée avec les masses, comme au printemps 1915 ». « Les Italiens [en 1940] ne ’’sentaient’’ pas la nécessité, l’inéluctabilité du conflit, à la différence de 1915 ».[Cette inéluctabilité et nécessité, ni les giolittiens, ni les socialistes, ni les catholiques ne la sentaient. Ça représentait pas mal de monde... Quant au président du Conseil qui pensait que ce serait une guerre de six mois au plus, terminée avant l’hiver, son sentiment sur la nécessité de la guerre me paraît assez peu génial].
En somme, à mon avis un auteur qui a des talents et certaines connaissances, mais dont le livre est extrêmement lacunaire et essentiellement dispensable.
|