Chloé Bourgeois a écrit :
Se pose également la question de savoir si le concept de "génocide de classe" tel qu'introduit dans le Livre noir du communisme (et, me semble-t-il, vivement critiqué à l'époque ?) a vraiment du sens.
Effectivement, c'est ce qui fait suite aux débats sur les travaux de Ernst Nolte, entre autres.
Dans une conception plus large on parle outre-Rhin de l'
Historikerstreit - la/les "querelle(s) des historiens", qui secoua le monde des historiens et philosophes allemands dans les années 1980, pour s'étendre ensuite à l'Europe et au monde - au sujet des liens entre le nazisme et le bolchevisme. Pour Nolte, le nazisme serait une réaction politique, sociale et culturelle à la révolution d'octobre 1917 en Russie et à la propagation du communisme en Europe.
Personnellement, j'ai un peu de mal avec cette théorie, même si elle dispose de points de comparaison sur les totalitarismes bien intéressants et que, chronologiquement, certains faits peuvent la faire "tenir".
L'article de Courtois que vous citez illustre bien le parcours de cet historien maoïste à ses débuts, qui brûle ses idoles de jeunesse - avec de nombreux autres : Furet ayant également réalisé cela, un peu autrement il est vrai et plus tôt - après la chute du bloc soviétique et du communisme en général dans les années 1990. Sauf que là, il va plus loin en estimant que Staline a aussi commis un "génocide de classe", comme Hitler un "génocide de race".
Cette approche me parait fausse pour plusieurs points, trois au moins peuvent être retenus :
1° Certes le koulak, comme le juif, a pu avoir le statut d'ennemi politique n°1 dans l'URSS de Staline dont il fallait se débarrasser à tout prix en raison de finalités idéologiques. Mais à ce qu'il me semble il n'était pas question de faire disparaitre toute sa famille et de l'éradiquer de l'humanité. Il me semble également que le statut de koulak était avant tout économique et social et qu'une fois exproprié, il le perdait. Ce n'est pas le cas pour les nazis dans leur approche et définition de l'appartenance au judaïsme.
2° Il n'y avait pas de réelle planification de cette entreprise de manière systématique dans toute l'URSS.
3° Le Goulag n'est pas un camp d'extermination.
Bref, encore une manipulation du concept de "génocide" opérée de manière très discutable.
Chloé Bourgeois a écrit :
"orchestrée par Staline, puisqu'au fond il se méfiait de l'Ukraine, raison pour laquelle, d'ailleurs, il aurait pris soin d'éliminer, dans les années précédentes, une partie de l'intelligentsia ukrainienne qui aurait été en mesure d'organiser une rébellion plus efficace".
Cela est plutôt représentatif de la manifestation d'un pouvoir coercitif au sein d'un régime totalitaire s'établissant, qui prétend fabriquer une nouvelle société : soit on converti l'ancienne élite à la nouvelle société (les bolcheviks ont bien réussi avec la plupart des cadres de l'armée tsariste pour former l'Armée rouge), soit on l'élimine. Etant donné qu'une partie importante de l'élite cosaque ukrainienne a plutôt combattu les forces bolchéviques entre 1918 et 1920, il parait logique qu'elle ait été pourchassée par la suite par le pouvoir central soviétique (cela a débuté déjà à l'époque de Lénine).
De toute manière les purges orchestrées par la suite par Staline (jusqu'à sa fin) illustrent bien qu'il s'embarrassait peu de détails liés à l'origine culturelle des suppliciés : tous ceux qui pouvaient lui donner la moindre ombre possible "disparaissaient" mystérieusement, ukrainiens ou pas.
Quoiqu'il en soit, si cet élément devait illustrer une hypothétique préméditation aux famines soviétiques - dont celle en Ukraine plus précisément (puisque c'est une des régions les plus touchées) - je ne le pense pas. Un Tauger la réfute en tout cas.
J'ajoute, en citant Sémelin, que l'inflation de l'utilisation du concept de génocide depuis les années 1990 a fait réfléchir historiens et philosophes sur l'utilisation de ce terme :
Citer :
"Au milieu des années 1990 le développement d'un corpus croissant de travaux sur des cas de génocides autres que la Shoah et d'études comparatives et transnationales du génocide comme phénomène historique général s'observe. Toutes ces nouvelles études durent s'attaquer à la définition du génocide telle que l'établissait la Convention des Nations unies et toutes se montrèrent très critiques à son encontre. […] Certains remirent en cause l'utilité même du terme génocide dans les recherches académiques.
Jacques Sémelin, entre autres, soutient que les chercheurs ne devraient pas se laisser orienter dans leurs travaux par un terme qui est le produit de négociation et de compromis politiques. Il soutient en outre que le terme "massacres"* fournit un cadre plus utile parce qu'il permet aux chercheurs de saisir une vaste gamme de violences sans s'enfermer dans des restrictions de la définition des Nations unies."
* Sémelin J., Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, 2005