Dans "Maus", dernière page du premier tome, Vladek Spiegelman, déporté en mars 1944, déclare très explicitement : "On savait ce qui allait se passer, qu'ils allaient nous gazer et nous jeter dans les fours. Tous on savait, et on était là."
Quant à Primo Levi, déporté presque au même moment, il semble avoir eu une idée plus vague, mais avoir cependant su quelque chose de "trains de la mort" (et ajoute "mais cette fois, c'est nous qui sommes dedans").

Dans le journal de Klemperer, il est clair que les Juifs de la région de Dresde savent dès le milieu de 1942 que c'est la mort qui les attend en cas d'arrestation et de déportation. Mais ils ne se doutent pas du moyen de mise à mort, ils ne peuvent pas imaginer le système mis en place par les SS.

Eternelle question... "Comme du bétail à l'abattoir"...
Cependant, on a des témoignages très fiables comme quoi, à partir de début 44 au moins, les Juifs savaient ce qui les attendaient.
Alors...
D'une part ils ne se sont pas tous laissés "gentiment embarquer", loin de là.
- Toujours dans Maus, la belle-soeur du survivant se suicide avec tous les enfants qu'elle avait près d'elle.
- Il y a la révolte du ghetto de Varsovie, celle qui a eu lieu à Auschwitz...
- Dans "Des hommes ordinaires", de C.Browning, on évoque souvent des Juifs qui se cachent et parfois s'aménagent des abris souterrains dans la forêt quand arrive le temps des rafles...
D'autre part, l'extermination se déclenche somme toute très brutalement. Dans la préface au livre de Browning : "à la mi-mars 1942, 75 à 80% des victimes de la Shoah étaient en vie; moins d'un an plus tard, la proportion s'inversait." Ce n'est que le reflet statistique de la brutalité des "liquidations", où l'on passait de ces ghettos où les Juifs - dans des conditions effroyables - pouvaient tout de même cultiver l'espoir de survivre, de tenir jusqu'à ce que la guerre prenne fin, à la déportation et au massacre intégral qui ne laisse aucune chance à quiconque.
De plus, comme le rappelle Primo Levi en annexe à son livre, lorsque l'évidence de la Solution finale paraît, les Juifs ont été rendus terriblement vulnérables : parqués - virtuellement encerclés d'avance - et affaiblis par des années de privations, de vie traquée...

Et puis, il subsistait toujours l'espoir de survivre, même dans ces camps avec ce qu'on en disait - cf le neveu de Vladek Spiegelman de Maus, les compagnons d'infortune de Levi qui se sont livrés "pour échapper au cauchemar d'une vie errante"...

Donc, gentiment non... tous n'ont pas pris la route, et ceux qui l'ont prise, n'avaient plus guère d'alternative - à part celle de recevoir tout de suite la balle d'un SS. Le piège avait été diaboliquement ficelé