simaqian a écrit :
C'est aussi pour cela que "responsable mais pas coupable" est un sophisme sans aucun sens. La "culpabilité" est relative soit à un ordre social soit à un ordre "divin" ou "supra-humain", mais seule la "responsabilité" caractérise l'Homme: la "culpabilité" ou la non-culpabilité caractérise la manière dont l'Homme assume sa responsabilité face à sa société ou sa divinité.
Vous avez peut-être raison philosophiquement parlant. En termes d’analyse historique, j’en suis moins sûr.
Je m’explique :
Soit le cas d’un électeur allemand en 1932 qui vote NSDAP car il est convaincu qu’Hitler lui créera un emploi et saura laver l’humiliation de 1918 en étant plus ferme que ses prédécesseurs.
Par son vote, il est responsable du succès électoral d’Hitler et de son accession au pouvoir. Mais il n’est « coupable » de rien ; il ne commet nul délit, il ne fait qu’exercer son droit électoral.
Certes, il commet une faute politique ou morale : celle de voter pour un homme dont les discours sont déjà scandaleux et inquiétants. Mais du discours à l’acte, le pas n’a pas encore été franchi. Or on ne peut définir une culpabilité de fait sur une intention ou une parole, seulement sur l'acte, non ?
Naïf, notre électeur croit qu’Hindenburg, les autres partis, le réalisme politique sauront contrôler le nouveau chancelier. Il se trompe ; mais de quoi serait-il "coupable" à cet instant précis ?
Fort de son pouvoir, Hitler fait incendier le Reichstag, décréter l’état de siège, ouvrir Dachau, puis, 8 ans plus tard, met en œuvre la solution finale.
Dans la mesure où il n’a jamais donné mandat à Hitler pour agir ainsi et où il n’a en rien participé à leur exécution, notre électeur est-il « coupable » de ces crimes ? N’ont-ils pas été fait à son insu ?
Il est responsable d’avoir donné le moyen à Hitler (et à ses nombreux complices) de tuer, mais est-il « coupable » des crimes en série perpétrés en son nom, vraiment ?
Raisonnons par l’absurde :
Pourquoi notre électeur naïf et imprudent vote-t-il NSDAP ? N’est-ce pas parce qu’il essuie la misère d’une double crise morale et économique ? Or, qui est « responsable » de cet état de fait ? Les spéculateurs américains et les Français de 1918 intransigeants autant qu’aveugles ? Pas seulement, bien sûr ; mais un peu quand même…
Dès lors, si Français et Américains sont « responsables » du choix de notre électeur, donc de l’avènement du nazisme, dois-je les déclarer « coupables » des crimes contre l’humanité perpétrés par les nazis ?
Et on remonte jusqu’où, à ce petit jeu des responsabilités en chaînes ?
Non ! Si je conçois parfaitement que chaque homme doit assumer la responsabilité de ses actes et savoir reconnaître ses torts (j’ai mal voté), on ne peut pas l’accuser des crimes ou fautes commis par ceux qui se servent de ses erreurs. En cela, je fais une différence entre « responsabilité » et « culpabilité ». La première définit des relations de causes à effets et aide à comprendre comment un peuple que Victor Hugo admirait (« la sainte patrie de tous les penseurs. S’il n’était pas français, il voudrait être allemand » cf.
lettres à un ami, 1842) finit par produire Auschwitz. La seconde, en revanche, définit un jugement de valeur, elle prononce une sentence morale ou juridique sur la base d’une responsabilité directe et sans équivoque. Ce n’est pas la même chose.
Notre électeur a commis une erreur dans la mesure où il a facilité la réalisation d’un crime ; mais il n’a pas commis celui-ci.
cordialement