La Belgique et la Ligne Maginot, bouc-émissaires ?Nous voilà encore assez en marge du sujet original, bien que relié toutefois (prolongation de la Ligne Maginot devant la frontière belge). Je m'en excuse auprès des modérateurs qui peuvent toujours déplacer le sujet s'il est trop en décalage.
Il semble que nous examinions l'ensemble des mythes liés à la défaite 1940. Donc après "La Ligne Maginot n'a servi à rien" et les "mythes du Blitzkrieg", voici : "La Belgique, cause de la défaite de mai-juin 40".
Et à lire certaines contributions, le sujet reste quelque peu épidermique.
1 - Le contexte des relations internationales des années 30 entre la Belgique et le reste du monde.La position particulièrement centrale du pays, à la fois route d'invasion ancestrale vers le nord de la France et menace directe sur l'Angleterre via Anvers, en fait un enjeu stratégique de taille pour les Alliés. Et tout est fait pour entretenir les meilleures relations possibles.
La Belgique est neutre militairement depuis sa création en 1830 et adopte le concept de neutralité armée à la fin du XIXe siècle. Mais elle est liée par un traité d'alliance avec le Royaume Uni. En cas d'agression du territoire belge, l'Angleterre s'engage à intervenir.
D'autre part, La Belgique est aussi liée via divers traités avec la France, dont l'accord de 1920 destiné à préparer une réaction coordonnée à une invasion allemande éventuelle. La France doit apporter sa protection en cas de cette violation du territoire belge.
Les relations avec l'Allemagne sont tendues, essentiellement en souvenir du traumatisme engendré par l'occupation allemande de la Première Guerre mondiale et les massacres de l'été 1914 (qui avaient aussi touché les départements français limitrophes). La résistance belge à l'invasion allemande d'août 1914 avait été bien plus acharnée que prévu, notamment devant Liège, ce qui avait excédé les Allemands. Ils s'en étaient pris aux populations civiles, massivement fusillées pour faits (totalement faux) de "franc tireur".
S'en était suivie une indignation internationale et l'un des slogans ayant servi au recrutement américain en 1917 avait été "
Remember Belgium". Le traumatisme avait été profond et perdurait plus de vingt ans après ces horreurs.
2 - La prolongation de la Ligne Maginot jusqu'à la mer et l'attitude belgeL'accusation portée contre la Belgique à propos de la non-prolongation de la Ligne Maginot face à la frontière belge est un bobard lancé à l'occasion du procès de Riom en 1942. On se souvient que ce procès était destiné à condamner la IIIe République comme responsable de la défaite.
On accusait ici le Roi des Belges d'avoir fait pression pour que la LM ne soit pas prolongé en face des frontières sud du royaume.
Cette accusation, et d'autres, avaient été relayées par la presse de la collaboration et n'ont jamais été véritablement démenties depuis. Il faut lire des ouvrages érudits et détaillés pour y comprendre la réalité des choses : que tout cela n'est que mensonge. Mais rien dans la littérature destinée au grand public.
Cela dit le sujet est en fait composé de deux points indépendants que l'on va étudier rapidement.
La France n'a jamais eu l'intention de prolonger la Ligne Maginot au delà de Montmedy
Ceci pour des question économiques et stratégiques.
D'une part, l'objet de la LM a toujours été de protéger la frontière entre la France et l'Allemagne, d'abord, et avec l'Italie, accessoirement.
D'autre part, l'objectif était bien de canaliser l'offensive allemande éventuelle vers la Belgique afin de porter la guerre hors des frontières françaises.
Aussi, toutes les études stratégiques et opérationnelles, dont une étude majeure de 1923 (Rapport n° 27 de la commission de Défense du territoire) montrent qu'un engagement des forces françaises en Belgique est la meilleure solution militaire. Les lignes de défenses y étant meilleures et beaucoup raccourcies.
Enfin, prolonger la LM devant la frontière belge aurait eu pour conséquence de potentiellement porter les combats dans les régions industrielles du Nord, et placer cette région essentielle sous les feux de l'artillerie lourde, ce que la France voulait à tout prix éviter.
On a dit après coup, dès le procès de Riom, que c'est faute d'attribution budgétaire et à la demande de la Belgique que la prolongation n'avait pas été réalisée.
La réalité des faits montre que tout simplement, il s'agit d'un faux procès, qu'il s'agit de dénoncer encore 68 ans après !
La Belgique a, au contraire, demandé que la Ligne Maginot soit prolongée du fait de sa neutralité.
La Belgique avait demandé à être traitée au même titre que la Suisse, elle aussi neutre, devant laquelle des ouvrages de la LM avaient été construits.
Cette demande avait été faite dès le milieu des années 1920 et renouvelée jusqu'en 1936. Sans succès évidemment.
Il ne m'a pas été possible de reconstituer la genèse de ce mensonge concernant la Belgique. Peut-être quelqu'un a-t-il des informations qui complèteront cette contribution.
3 - Les relations militaires franco-belges des années 30, de la collaboration à la rupture.Des réunions d'Etat-Major ont lieu régulièrement entre la France et la Belgique. On y examine l'ensemble des projets et la situation militaire. Les raltions sont bonnes et les travaux sérieux augurent d'une bonne coordination entre les deux pays en cas de conflit.
Mais le tournant des relations internationales de cette période, c'est 1936. Outre la guerre civile espagnole et l'invasion italienne de l'Éthiopie,
la remilitarisation de la Rhénanie et l'absence de réaction française énergique, provoque une grave crise de confiance de la Belgique vis à vis de ses alliés et surtout de la France. Le discrédit international de la France à l'occasion du coup de poker hitlérien est total.
Dès lors, la Belgique dénonce l'accord de 1920 et décide d'adopter une stricte neutralité, renforçant ses défenses au sud du pays, dans le cas d'une invasion française de son territoire, non sollicitée.
Les liens militaires qui s'étaient officieusement tissés entre les deux pays se distendent, puis disparaissent totalement dès 1937. Il n'y a dès lors plus aucune coordination militaire entre les deux armées. Celles-ci ne reprendront qu'à partir du 2 septembre 1939, en secret et de manière trop partielles. La Belgique ne souhaitait pas donner à l'Allemagne un prétexte facile à la violation de ses frontières par l'Allemagne. Il apparaît que même si ces décisions ont pu poser des problèmes, elles ont été "montées en épingle" après coup. Mais une étude appronfodire des faits montre que l'impact sur le cours de la bataille a été en fait mineur.
4 - 2 septembre 1939 - juin 1940 : la criseLes relations franches et amicales connues jusqu'au milieu des années 30 ne reviendront pas avec le début de la guerre en 1939.
La Belgique, qui craint qu'une collaboration trop visible ne soit considéré par l'Allemagne comme un
casus belli, refuse une véritable coordination. Les relations sont donc froides et distantes, avec des échanges partiels et incomplets.
C'est donc une armée franco-britannique peu préparée qui entre en Belgique à sa demande à partir du 10 mai 1940, amenant son lot de mini-crises et de frustrations voire de désappointements réciproques qui vont trouver un paroxysme avec la capitulation belge du 28 mai 1940, perçue par le commandement français comme une quasi-trahison.
Cette frustration va dépasser l'échelle de la Seconde Guerre mondiale et perdurer dans les discours et les relations des faits jusqu'à aujourd'hui. Et on retrouve souvent ces références à un manque du côté de la Belgique, un manque fautif et cause de la défaite.
C'est bien évidemment un procès facile, et comme l'ont souligné certains intervenants, comme la recherche de bouc émissaires commodes pour rejeter ses propres fautes et insuffisances.
5 - Et si la Ligne Maginot avait été prolongée jusqu'à la mer ?Allons-y de notre
uchronie, c'est à la mode.
Ce n'est à mon sens, pas très compliqué. Toutes choses étant égales par ailleurs, la prolongation de la Ligne Maginot aurait amené évidemment un changement dans les plans d'opération allemands. C'est une évidence.
En connaissant ce prolongement, la manière de procéder, c'est à dire le dispositif d'attaque tactique aurait été modifié.
Je précise qu'imaginer une quelconque difficulté autour de la présence de fort de type Maginot au nord de Montmedy est tout à fait illusoire.
Aucune ligne défensive ne résiste à une offensive correctement dosée. L'exemple de la capture du fort d'Eben-Emael sur le Canal Albert, considéré comme une position absolument imprenable, a permis aux Allemands de déployer une somme d'ingéniosités provoquant le gain du secteur en juste quelques heures.
Rien n'interdit de penser qu'un assaut à grande échelle, organisé sur la Ligne Maginot, avec parachutistes, planeurs et sapeurs munis de charges creuses aurait permis la capture de suffisamment de positions fortifiées pour réaliser une brèche équivalente à celle créée dans les Ardennes.
Les Allemands en avaient à coup sûr les moyens.
En conclusion, on peut affirmer que le procès fait après-coup à la Belgique est inconsistant, et que l'issue des combats aurait été la même quelle qu'ait été sont attitude. Le problème n'est absolument pas lié à une attitude belge quelle qu'elle soit.
La recherche historique doit passer absolument le cap de la sélection des coupables et faire porter ses analyses sur les faits objectifs en relativisant et dépassionnant le débat.
Est-ce un vœu pieu ?
Sources :Henri Michel,
Le procès de Riom, Albin Michel, 407 pp., 1979
Bruno Chaix,
En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique, Economica, 350 pp., 2000
Levisse-Touzé
et al,
La campagne de 1940, collectif, 585 pp., 2001
Maurice Vaïsse et al,
Ardennes 1940, Collectif, Kronos, 1991