Ce fil avait bien commencé.
Je m'étais même dit, tiens pour une fois, voilà un débat de haute tenue sur un sujet pareil.
Et paf, ça n'a pas loupé, nous voilà repartis sur les vieux clichés, les idées reçues et entretenues, les vieux mensonges propagés par Vichy au procès de Riom (Rions !), avec l’expression de notre nombrilisme si caractéristique.
Donc on va se répéter, mais tant pis. Notez que je ne prétends pas détenir la Vérité, mais enfin, j’essaye d’être factuel en m’appuyant sur des travaux parus sur les dix dernières années, voire plus.
1 -
La doctrine militaire française, construite à partir des années 20, est défensive.Une doctrine défensive ce n'est pas simplement une attitude mentale.
C'est construire tout ce qui concourt à cette doctrine.
Donc on citera pêle-mêle :
- les fortifications (une Ligne Maginot conçue pour être un barrage frontière de l'Allemagne et de la Suisse afin de déporter les combats – et les destructions – hors des frontières)
- une arme blindée de soutien (à faible autonomie, à vitesse réduite, à effectif en tourelle réduit, mais à armement relativement puissant)
Ca na sert donc à rien- une infanterie formée au terrassement
(oui) et à la défensive
(non) appuyée par une artillerie puissante
- un système logistique à faible autonomie reposant sur le chemin de fer
- une doctrine d'emploi basée sur la contre-attaque tactique, etc.
Comme je l'ai dit plus haut, voir le document suivant.Et on comprend bien qu'une telle stratégie ne se change pas en six mois, après la défaite de la Pologne. Un char conçu pour rouler à 20 km/h avec 50 km d'autonomie, voire moins en tout-terrain, ne va pas magiquement doubler ou tripler ses caractéristiques.
2 -
Pourquoi une doctrine défensive ?C'est une réaction directe au traumatisme des saignées de la guerre précédente.
"Plus jamais ça" est le leitmotiv de l'entre-deux-guerres, ne l'oubliez pas.
Le monde politique français dans son ensemble atteint un consensus généralisé sur cette question, parce que cette stratégie est perçue comme la moins coûteuse en vies humaines dans le cas d'un nouveau conflit. Nouveau conflit qui apparaît vite comme inévitable.
Dans la population française, il aurait semblé inconcevable d'opérer des actions offensives, vues comme hyper coûteuses en vies humaines. C'est une des raisons de la passivité française à la réoccupation allemande de la Rhénanie.
3 -
Pourquoi ne pas avoir changé de doctrine ?Le tournant, c'est la guerre d'Espagne de 1936. La révélation n'est pas le rôle du char, mais surtout celui, totalement imprévu de l'avion d’appui au sol. Lorsqu'il est combiné à un assaut d'infanterie, appuyé de chars, l'avion a un effet dévastateur, tous les observateurs militaires de l'époque l'ont relaté. Ce fut la confirmation avec la campagne de Pologne.
L’avion amène donc un effet de rupture démoralisante, qui permet l’exploitation par des unités mobiles. Ceci a été perçu par tout le monde en 36. Car la question n’était pas de savoir comment exploiter, mais plutôt de savoir comment obtenir la rupture de fronts retranchés.
D'où la relance de programmes d'armement et la reconception des doctrines militaires
dans le monde entier, et pas seulement en France. Car le monde avait pris modèle sur la France et sa doctrine défensive. Cela impliquait de changer intégralement la conception des armements lourds, de changer les programmes industriels, de changer les mentalités aussi. Quand la guerre éclate en 1939, le changement s’est initié depuis deux ans seulement. C’était trop tôt malgré l’énergie déployée par Paul Reynaud à partir de 1938.
On prévoyait, en France, d'atteindre le niveau requis pour une doctrine opérationnelle offensive seulement à partir de 1942, notamment pour la fourniture d'artillerie antichar et anti aérienne à des niveaux massifs, plus une aviation capable d’appuyer efficacement l’infanterie. En attendant, tout reposait sur la diplomatie. Et c’est donc à reculons, en toute connaissance de cause, que la France s’engage dans la guerre le 3 septembre 1939, en sachant qu’elle n’est pas prête.
4 -
Toutes les armées alliées du monde ont dû faire face à une stratégie allemande imparableOui imparable.
Je sais que je vais en faire sursauter plus d’un, mais il en est ainsi.
Sous les conditions suivantes :
- surprise
- moyens minimums
(ce ne serait pas plutôt maximum?) en hommes, matériels et logistiques au point de rupture
- suprématie aérienne
du à l'imbécilité des généraux (on utilise les nouveaux appareils pour l'instruction et les vieux au combat; et on laisse des escadrilles en AFN et dans le sud car la guerre va durer longtemps, et l'inertie des politiques qui ont lancé un programme d'armement trop tardif aucune offensive allemande de type stratégique ou opérationnelle n'a pu être contrée par aucun belligérant quel qu'il soit pendant toute la durée de la guerre
(sauf la Russie, mais il vrai que l'effort allemand était réparti sur un plus large front).
Pourquoi ?
Parce que la doctrine militaire allemande, magistralement outillée, a revisité le principe du "coup massif" ou Schwehrpunkt, cher à Napoléon (qui se disait "rapide comme l'éclair" dans les bulletins de la Grande armée).Ce qu'on a appelé après-coup le Blitzkrieg, n'est en fait qu'un nouvel usage de vieux principes de dynamique stratégique et de manœuvre existant déjà dans l'antiquité (voir la bataille de Cannes remportée par Hannibal en 216 avant JC)
Quel est le rapport entre une doctrine stratégique et une manœuvre tactique, splendide il est vrai.
Aussi grâce aux bombardiers en piqué, les Allemands ont réussi à obtenir la puissance de feu nécessaire pour faire sauter n'importe quel verrou
rapidement mais l'armée française n'avait pratiquement pas de DCA.
La percée sur la Meuse n'a pas été obtenue par les Panzer comme on le dit trop souvent.
C'est l'infanterie d'assaut, les sapeurs, mais surtout l'aviation d'appui tactique, les Stuka, qui ont emporté la décision, rapidement. Réduisant une à une les positions fortifiées sur le fleuve, et surtout les positions d'artillerie françaises, les avions nazis ont littéralement troué le front en provoquant la démoralisation parmi les troupes qui le défendait
(pas forcément, des unités bien encadrées, disciplinées se défendaient).
Et cette tactique a été employée systématiquement par les Allemands avec très grand succès jusqu'en 1943, jusqu'à ce que d'une part, leurs adversaires retournent cette stratégie à leur avantage, et que d'autre part, les Allemands perdent leurs atouts tactiques (supériorité aérienne, logistique, etc.)
En 1940, la France et ses alliés pensaient pouvoir juguler un coup de massue de forte ampleur, mais la rapidité d'action allemande sur la Meuse et la petite distance de deux cent cinquante km à parcourir jusqu'à la mer n'ont laissé aucune chance au commandement français.
Dix jour a suffi pour obtenir une victoire décisive, faute d'espace. On ne le dit jamais.
Devant une telle pression, ni les Britanniques en AFN (pardon?), ni les Russes, ni les Américains
(pardon?où cela) ni personne n'a été capable d'arrêter l'armée allemande dans ces conditions de toute la guerre. Le Russes s'en sont sortis grâce à leur immense espace, échangeant constamment du terrain contre les coups de boutoir des Panzer.
Évidemment, la France n'a pu employer une telle stratégie.
La victoire finale, en 1945, n'a été enfin obtenue que grâce à un combat d’usure sur le Front russe et une guerre contre l'outil industriel allemand mené au cœur du Reich, le privant des moyens logistiques (carburant) et industriels qui avaient permis ses succès.
5 –
Pourquoi est-il vain de comparer les armements respectifs pour expliquer la défaite ?Il s’agit de la sempiternelle comparaison entre le nombre de chars des belligérants, ou de leurs qualités et défauts. On croit pouvoir toujours expliquer la défaite avec des millimètres de blindage, ou un calibre de canon
(aligner des chars avec des canons incapables de percer le moindre blindage, ne disposant pas de radio et n'ayant pour ainsi dire aucune autonomie, cela n'aide pas).
Inutile !
Les russes se sont fait balayer en 41 alors qu’ils possédaient trois fois plus de chars que les Allemands (environ six mille), dont mille T34 et KV1, le premier étant le meilleur char de toute la guerre
(Voir ce document qui explique la doctrine russe et les raisons de la défaite). Cet exemple devrait à jamais éteindre ces discussions d’apothicaires que l’on nous ressert périodiquement ; mais non, on en reparle encore et toujours.
On a longtemps affirmé que si les Allemands avaient gagné en 1940, c’était à cause d’une supériorité numérique en blindés. On sait aujourd’hui que c’est faux. Les deux camps possédaient sensiblement le même nombre d’engins
(faux, lors de la campagne de France, les alliés alignent 4204 chars contre 2439 pour l'Allemagne.).
On a aussi comparé l’organisation respective de ces chars, en affirmant que les Allemands les avaient regroupés et pas les Français. Encore faux, en 1940, les Français possédaient le même nombre de grandes unités blindées si on compte les DCR (4)
incomplètes manquent de moyens , en particulier la 4ème de de Gaulle; de plus elles sont isolées (1ère en Belgique par exemple) alors que les divisions allemandes sont concentrées , les DLM (3) et les DLC (3)
chaque unité possédait moins de chats que que son homologue allemande.
Bref, ces discussions sont inutiles. La France aurait possédé deux fois plus de blindés que les Allemands, que le résultat aurait certainement été le même.
En conclusionLa défaite française de 1940 n'a donc rien d'exceptionnel dans le contexte militaire des années 40. La France, comme de nombreux autres pays, s’est heurtée à un redoutable adversaire qui a su optimiser ses ressources au maximum pour emporter la décision.
La France a perdu, comme les Britanniques, comme les Canadiens, les Américains, les Russes, les Belges, les Polonais
ce n'est pas compliqué avec une armée obsolète, etc.
Le plan français était bon, y compris la prise en compte de la Ligne Maginot dans le dispositif (les explications données au début de ce fil sont suffisantes pour ne pas y revenir).
Le plan allemand, et son exécution, lui était simplement supérieur.
C’est la seule explication valable à cette défaite.
Vous ne prenait pas en compte l'armement, le commandement, l'organisation exacte... La blietzkrieg marche contre un adversaire non préparé, disposant d'un armement inférieur, etc; dans le cas contraire, cela ne sert à rien et c'est une stratégie de court terme comme le montre la défaite finale des allemands@+
Sources :
- Gérard Saint-Martin -
L'arme blindée française tome 1 Mai-juin 1940 – Economica 1998
- KH Frieser –
Le mythe de la guerre éclair – Editions Belin 2003
- Collectif -
La Campagne de 1940 – Tallandier 2003
- Bruno Chaix -
En mai 1940, fallait-il entrer en Belgique ? – Economica 2002
- Patrick Facon –
L’armée de l’air dans la tourmente – Economica 2005
- Roger Bruge – Tous ses ouvrages sur la Ligne Maginot – Fayard – 1975 à 1980
- Lire aussi Marc Bloch -
L'étrange défaite - Folio, témoignage d'un historien, écrit en 1940.