MIGINIAC a écrit :
je me posais la question de savoir si le cas de Mandel peut-être compris à la lumière des travaux de I.Kershaw? Peut-on au travers de cet exemple dépasser le clivage Intentionnalistes/Fonctionnalistes?
Ce clivage n'existe pas... mais je viens seulement d'en prendre conscience ! A la faveur précisément des polémiques de bas étage sur mon livre et notamment de celle qu'a initiée David Valence dans le texte reproduit ci-dessus.
Les fonctionnalistes (ou structuralistes) existent ou du moins ont existé, s'avouant tels. Les intentionnalistes, nenni ! C'est un mot forgé (ou plus exactement importé dans ce champ) par un fonctionnaliste anglais, Timothy Mason, au début des années 80. En faire une réalité, c'est tout à fait comme si, depuis une certaine campagne électorale, on n'appelait plus que "racaille" les jeunes des banlieues françaises pauvres.
"Dépasser le clivage" ou ce qu'on a décrit comme tel, je veux bien mais à condition qu'on prenne bien conscience de l'erreur radicale du fonctionnalisme et qu'on en tire les leçons. Cette école, attentive aux causes immédiates et locales, a, heureusement, trouvé du neuf dans ce domaine et du vrai. Tout n'est donc pas à jeter. Mais il urge de prendre conscience que le nazisme est une dictature, et pas des plus bêtes (comme le sont souvent celles de type stalinien). Si le chef semble se désintéresser d'une question, c'est qu'elle est subalterne -et alors il sait très bien déléguer. Ou bien, et tout particulièrement si des Juifs sont concernés, c'est qu'il s'y intéresse, sans s'être fait remarquer jusqu'à nos jours, et alors, historien, en chasse !
Kershaw ne m'a jamais séduit avec sa formule passe-partout "travailler en direction du Führer", qui brouille plus qu'elle n'éclaire. Puisque la question centrale est : il est sur le coup, le Führer, ou il délègue ?
Pour en revenir à Mandel, je ne crois pas une seconde que cet artisan juif du traité de Versailles puisse mourir de mort violente sur un territoire contrôlé par Hitler, et de la main de gens qui lui sont tout dévoués, sans qu'il en ait décidé. La meilleure comparaison me paraît être l'incendie du Reichstag (auto-inflammable ou peu s'en faut pour une majorité encore écrasante d' d'historiens professionnels !). Sauf que pour le Reichstag la démonstration reste indirecte (il avait tout loisir d'organiser et d'effacer les traces, il ne réagit pas du tout comme devrait le faire un dictateur réellement surpris par un attentat au coeur de sa capitale, notamment en se rendant sur les lieux avant toute fouille, etc.) tandis que pour Mandel il y a un débat documenté entre diverses autorités allemandes et un télégramme du 28 mai 44 disant que le Führer a tranché. Il est vrai qu'il concerne à la fois Mandel, Blum et Reynaud, tous trois à remettre à Vichy sous haute surveillance (c'est-à-dire milicienne) pour qu'ils soient fusillés en représailles des exécutions d'Alger. Ensuite, la livraison et la mort du seul Mandel sont à interpréter... et on ne voit pas de quoi il pourrait s'agir d'autre que d'un chantage pour faire marcher droit Pétain et Laval : en cas de désobéissance et plus encore de démission, vous signez l'arrêt de mort de Blum, au moins (votre vieux pote à tous les deux, qui plus est, alors que Mandel ne l'était que de Laval, qui seul s'émeut de son sort).