cush a écrit :
Pour ce qui est de la pseudo civilisation supérieure, les Japonais n'ont pas le monopole de cette tare (il suffit de reprendre les discours colonialistes de la première moitié du XXeme siècle).
Les Japonais n'ont bien sûr pas le monopole du sentiment de supériorité et nous avons tous en mémoire le discours de Jules Ferry sur le devoir d'apporter la civilisation aux races inférieures. Mais, en Allemagne et au Japon, on peut constater une agressivité et un fanatisme à des niveaux qui n'ont pas été atteint ailleurs.
cush a écrit :
Les Japonais tablent sur un effondrement moral de leur adversaire et ils se trompent, c'est exact mais les Français qui ont tenu 4 ans en 1914 se sont effondrés en 15 jours 25 ans plus tard...
Oui, mais il aurait été illusoire pour les Japonais d'espérer infliger une telle défaite aux Etats-Unis. L'alternative en France était soit une capitulation et la France sous administration militaire allemande soit la solution de l'armistice qui a été conclu.
cush a écrit :
Il ne faut pas comprendre la victoire du Japon sur la Chine en termes européens mais asiatiques. La Chine, quel que soit son état de décrépitude est, et de toute éternité, la Puissance (régionale à minima). Une victoire sur la Chine est donc bien plus qu'une victoire militaire: c'est une victoire morale, c'est l'émancipation du petit poucet.
C'est juste, je n'avais pas pensé à cela.
cush a écrit :
La Russie de 1905 n'est pas à des années lumières des Etats Unis de l'époque. Le Japon se modernise à partir des années 1870 et 35 ans plus tard, il affronte l'une des plus formidables puissances mondiales et la vainc sans (presque) coup férir... Aujourd'hui, il est évident que la flotte de la Baltique n'avait aucune chance mais à l'époque elle représente un formidable outil de combat (11 cuirassés russes contre 4 japonais, à l'époque où le cuirassé est le roi des océans, ça n'est pas rien...). Preuve que les capacités industrielles, militaires ou humaines ne constituent pas des obstacles insurmontables.
La Russie se modernisait certes, mais elle avait un très gros retard à rattraper. C'était un pays immense, mais ce n'était pas encore une puissance formidable. Il ne suffit pas de compter le nombre des cuirassés. Il faut aussi considérer la modernité de leurs équipements, l'entraînement et la formation des personnels, les capacités logistiques, et aussi la situation politique et sociale. La tentative de révolution et la défaite contre le Japon ont mis en évidence autant la fragilité de la Russie que la puissance du Japon. La Russie n'est devenue véritablement une grande puissance que dans les années 1930. Quant aux Etats-Unis, ils étaient déjà en 1914 la première puissance économique et industrielle mondiale. On ne le sait pas assez.
cush a écrit :
Les USA de 1941 ne sont pas la Russie de 1905, soit. Je le sais, vous le savez et il ne vient à personne l'idée de prétendre le contraire. Mais en 1941, Goebbels lui même se leurre sur les capacités des USA, et il n'est pas le seul (voir les réflexions de Darlan et de certains autres...). Pour mémoire, en 1918, l'armée américaine est équipée de matériel français... A la vérité, tout comme personne n'avait imaginé le formidable effort industriel des Soviétiques avant Babarossa, personne n'avait une idée exacte du potentiel des Etats-Unis en 1940.
Goebbels était aveuglé par ses préjugés et le reste du monde un peu aussi. La planification soviétique a été, dans ses débuts tout au moins, beaucoup plus performante qu'on ne le croit mais on n'a pas voulu le voir. L'armée américaine était équipée de matériel français du fait de l'isolement américain qui lui avait fait adopter un dispositif de défense minimal. Elle n'avait pas d'industrie d'armement capable d'équiper une armée d'un million d'hommes. Mais il ne faut pas se leurrer. Les capacités de production de l'industrie américaine étaient les premières au monde.
cush a écrit :
Les Japonais ont eu le sentiment, à tort ou à raison (souvent à tort, je suis d'accord avec vous) de n'être pris par les Américains (et les Européens) que comme un pays de deuxième classe (restriction sur l'immigration, traités commerciaux fluctuant au gré des bonnes fortunes économiques, traités navals "injustes"...). Le Japon pensait avoir acquis ses "titres de noblesse" en 1914 en se rangeant aux coté des Alliés mais à la fin de la guerre, ils ont le sentiment de n'avoir été que des Alliés de deuxième ordre, de ceux qu'on utilise puis qu'on jette lorsque le besoin n'est plus là. Ce n'est pas une question de lucidité ou d'objectivité mais d'impression, de sentiment.
Les traités inégaux avaient été annulés dès 1899. Ensuite, après la 1e guerre mondiale, le Japon devint un des quatre membres permanents du Conseil de la SDN. Il avait bien acquis ses lettres de noblesse. Les choses se sont gâtées un peu plus tard avec l'invasion de la Mandchourie. Je suis convaincu que les rancoeurs sont nées avec la montée du militarisme, ce qui était une façon de la justifier.
cush a écrit :
Le but n'était certainement pas de créer une "sphère de coprospérité" mais bien un empire colonial permettant au Japon une autosuffisance alimentaire et énergétique tout en assurant à son industrie des débouchés stables.. Le rêve de tout colonisateur. Le principe n'est pas joli (et nous savons qu'il est à la fois illusoire et dangereux) et félicitations à la Suisse pour avoir évité cet écueil (en même temps, vu leurs façades maritimes...). Ce n'est pas le cas du Japon, dont acte. Ni de l'Angleterre, de la France, de l'Allemagne, des Pays bas, de l'Italie... Un samurai des années 40 est bien plus souvent un fonctionnaire qu'un guerrier... La caste est influente certes, mais pas forcément dans le sens que vous imaginez. Je reprends le terme de "sphère de coprospérité" parce que c'est le terme officiel, une terminologie à la Orwell.
Il n'y avait plus à proprement parler de samurai en 1940 puisque les castes et les privilèges avaient été supprimées. Mais l'esprit était resté. Au moment du coup de force de 1853, le Japon était un pays sans armée dirigé à tous les niveaux de responsabilité par des militaires qui n'exerçaient plus que des fonctions civiles tout en pratiquant cependant les arts martiaux et en suivant un code d'honneur très martial lui aussi. Lors des grandes réformes de l'ère Meiji, ils fournirent les premiers cadres de l'armée, des administrations et des entreprises privées. Le système des castes ayant été aboli, tous les emplois étant désormais ouverts à tous, ceux qui accédaient à un certain niveau de responsabilité se sont sentis investis des devoirs propres à l'aristocratie à laquelle, d'une certaine façon, ils accédaient : les sans-culotte devenaient aristocrates. L'esprit des samurai se diffusant dans le peuple, la démocratie qui s'installe peu à peu est une démocratie à la prussienne, ce qui comporte quelques dangers.
cush a écrit :
Je n'ai pas les chiffres de production du sud est asiatique dans la première moitié du XXeme ni ceux de la consommation du Japon. Je vais regarder tout ça (à moins que vous les ayez). Il me semble que les ressources en question suffisaient plus que largement à assurer les approvisionnements du Japon?
Le chiffre de 80% en provenance des Etats-Unis est donné par Ian Kershaw dans :
Choix fatidiques – Dix décisions qui ont changé le monde, 1940-1941.La production de l'Indonésie en 1940 est donnée dans cet article :
http://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1987_num_33_1_2334, 8,42Mt, soit moins que la consommation de l'ensemble de l'Asie : 12 Mt.
Mais elle avait baissé en 1942 du fait du sabordage des installations : 2,2 Mt
Les productions des différents pays sont données dans celui-ci :
http://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1940_num_4_4_5930Je ne connais pas les besoins du Japon.
cush a écrit :
Si vous considérez les options du point de vue japonais, vous vous apercevrez que le calcul est beaucoup moins irrationnel qu'on l'imagine 70 ans plus tard: en 1941, les USA disposent de 7 porte avions dont un de peu d'utilité (le Ranger) et deux de taille moyenne (les Hornet et Wasp). En face, la Kido Butaï aligne une force surentraînée dont les pilotes ont l'expérience de la guerre. Comme signalé dans un post précédent, le Pacifique est vaste: si l'on élimine les PA, aucune intervention possible pour les Américains pendant plus d'une année (le PA de nouvelle génération et les "Independance" ne sortiront des chantiers que début 1943). Une période assez longue pour établir ce fameux cercle défensif et entraîner les USA dans une guerre de longue haleine dont on peut espérer que le peuple se désintéressera puis se fatiguera assez vite. Mais en 1941, imaginer que l'US Navy disposera de 26 portes avions d'escadre et de 71 autres d'escorte en 1945, je pense que même Nimitz n'en était pas capable.
Si on élimine les PA... Mais ils n'étaient pas à Pearl Harbour et l'Etat-major devait le savoir.
Penser que les Américains se fatigueront. Il fallait alors se limiter à l'Indochine et aux Indes Orientales devenues res nullia du fait des défaites françaises et néerlandaises. En attaquant Pearl Harbour, on a attaqué le territoire américain. De plus, l'Australie a été menacée. C'était trop.
Au total, à la fin de la guerre, la marine américaine disposait de 95 porte-avions. Je ne sais pas si Nimitz l'avait prévu, mais les planificateurs connaissant les paramètres de l'économie américaines auraient dit que c'était possible. Si Konoe et Yamato n'étaient pas favorables à une guerre contre les Etats-Unis, c'est qu'ils avaient une vue juste de leurs capacités.
A l'inverse le Japon était déjà entré dans une économie de guerre qui ne pouvait faire plus. 50% du budget était alloué aux dépenses militaires. L'industrie de l'armement tournait au maximum de ses capacités. Les pertes prévisibles dans un conflit intense ne pourraient être compensées et le rapport des forces ne pourraient que s'aggraver.