MIGINIAC a écrit :
le télégramme Léquio
Qu'il soit le fruit d'une intoxication des services britanniques ou un véritable acte de trahison le télégramme Lequio est tout de même exceptionnel. On peut se demander si Kershaw a écrit son maître ouvrage en connaissant ce document? S'il ne connaît pas ce document êtes vous en mesure de dire que lui-même écrirait ce passage de la même manière? Pour résumer servons nous de références historiques sans en faire des dogmes indéboulonnables.
Le fait est là : en dix ans de forums, je n'ai jamais subi un tir de barrage réactionnaire, je dirai même intégriste, aussi nourri que celui qui déferle depuis quelques semaines à propos de mon affirmation que Hitler était au courant du vol de Hess. Et Miginiac m'aide à subodorer que Kershaw y est pour quelque chose.
Sur d'autres énigmes liées à la gestion nazie, comme l'incendie du Reichstag, Dunkerque etc., il est à la fois moins prolixe et moins carré. C'est peut-être pour cela que mes affirmations (l'incendie ordonné par Hitler et dirigé par Göring; l'arrêt devant Dunkerque dépourvu de la moindre cause militaire comme de tout souci de "ménager l'Angleterre", et entièrement motivé par l'espoir d'une paix immédiate et générale) provoquent moins de scandale. Dans le cas de Hess, IK développe une argumentation longue et originale, tout en prenant le soin d'examiner et de réfuter la thèse adverse. Cela a sans doute de quoi impressionner. Et, comme je le disais, mes contradicteurs le citent souvent, le paraphrasent, le recopient en boucle et s'entendent comme larrons en foire pour honorer leur saint, faisant choir le débat à un niveau très bas, par comparaison avec les autres fils des mêmes forums.
Au contraire de sa thèse, son argumentation, disais-je, est originale. La vision classique (dont je répète qu'elle ne procède nullement d'un "consensus des historiens" mais de leur carence générale à gratter sous la propagande de guerre anglaise comme allemande, qui convergeaient dans l'idée que Hess avait agi seul) se contentait de dire que Hess, plus ou moins déséquilibré et disgracié, voulait redorer son blason en faisant à Hitler le cadeau de la paix avec l'Angleterre avant Barbarossa. Il y a là un profond illogisme : si Hitler doit apprécier le geste, pourquoi donc prendre tant de soin pour lui en dissimuler la préparation ? Kershaw, le tout premier et c'est à son honneur, affronte cette difficulté, et propose une solution logique : Hitler ne voulait pas de la paix à ce moment, mais seulement après avoir vaincu l'URSS.
Le problème, c'est que cette logique concorde très peu avec les faits (Hitler craignait la guerre sur deux fronts et avait bien raison) et moins encore avec la démarche d'ensemble du nazisme (passionnément désireux d'une paix avec l'Angleterre, du moins après la chute de la France -car s'il l'avait signée avant, il n'aurait plus pu toucher un cheveu de celle-ci). Notre auteur, toujours aussi soucieux de logique, ajoute que si Hess provoquait l'ouverture d'une négociation cela risquerait d'imposer l'ajournement de Barbarossa. Mais ici le télégramme Lequio se révèle très utile, en montrant que ce sur quoi la partie allemande table, c'est l'existence à Londres d'un quasi-mûrissement du désir de paix et d'un ralbol en forme de "Churchill, dégage !", que l'irruption, discrète au début, de Hess, devrait amener à maturité complète. Et, évidemment, loin de comporter une interdiction d'attaquer à l'est, le traité laisserait dans ce domaine les mains libres à l'Allemagne. Certes Hess n'annonce pas Barbarossa comme une chose acquise ni n'en dévoile la date, parce qu'il n'a pas les bons interlocuteurs; mais il dit quand même à Kirkpatrick que, si l'Allemagne n'a aucune revendication envers le R-U, elle en a envers la Russie, qui devront être "satisfaites par la paix ou par la guerre".
Kershaw démontre donc par l'absurde, si on le lit attentivement et sans dévotion excessive, le contraire de sa thèse. Hitler serait évidemment, totalement, preneur de cette paix, laquelle serait hautement compatible avec Barbarossa. Il est donc complice de Hess dans l'organisation de cette difficile tentative de l'arracher (la paix) à la dernière minute.