Jean-Marc Labat a écrit :
J'ai du mal à croire à une victoire allemande sur le front de l'est pour plusieurs raisons.
1) La première est la faiblesse de l'armée allemande. Il semble paradoxal d'affirmer que la Wehrmacht n'était pas moderne et c'est pourtant le cas. Il y a 2 armées allemandes, celles des Panzerdivisionen et des troupes motorisées qui font le gros du travail et une foultitude de divisions que ne renierait pas l'armée française de 1940, avançant pedibus cum jambis et avec des caissons hippomobiles. La supériorité tactique des Etats-Majors allemands assurèrent pendant longtemps la victoire. Mais l'URSS étant un pays immense, elle pouvait échanger du temps contre des territoires et apprendre , à ses dépens, certes, mais apprendre quand même, l'art de manoeuver de grandes concentrations de troupes.
Si l'on doit considérer que l'Armée allemande de 1939/1943 n'était pas moderne (...) alors l'Armée rouge était moyennageuse. On peut tout aussi bien parler des chars soviétiques envoyés d'urgence au front... sans munitions !!! De l'artillerie soviétique hippotractée (les Allemands avaient déjà inventé les chasseurs de chars et les canons d'assaut), des avions nombreux mais dépassés pour la plupart (que n'aurait d'ailleurs pas renié l'Armée de l'air française de 1929), des unités d'infanterie avec une arme pour 3, voire 4, des généraux et nombreux officiers soviétiques totalement incapables (triste héritage des purges staliniennes), de la médiocrité des services de secours de l'Armée Rouge, etc...
Et l'Armée Rouge n'en était pas vraiment à ses débuts, la guerre russo-finlandaise en 1940 lui avait déjà permis d'apprendre beaucoup de choses.
Quant aux transports de troupes allemands, beaucoup étaient motorisés et même souvent blindés et il serait faux de croire que la majorité de l'infanterie allemande était encore tirée par des chevaux pour suivre les blindés, même si ce type de transport fut également utilisé, et ce jusqu'en mai 45.
Les Panzerdivisionen et les divisions mécanisées allemandes représentaient quand même le fer de lance de la Wehrmacht, et les divisions d'infanterie et de grenadiers qui les accompagnaient (constituées de vétérans des campagnes de Pologne, de Norvège, de France et de SS fanatisés) n'avaient absolument rien à envier à celles d'une autre armée. Il est donc osé de les comparer à l'infanterie française qui de toute façon s'est faite honteusement essorée en 3 semaines par ces mêmes unités. L'infanterie allemande de 39/45 est d'ailleurs très souvent considérée comme la meilleure du monde durant toute la SMG, que ce soit en terme d'efficacité, de formation tactique, d'équipement ou de valeur combattante.
Des décennies de répétition font aujourd'hui que le repli de l'URSS était une décision stratégique sagement préparée à l'avance. Ce n'est pas le cas. La retraite générale, les défaites humiliantes et successives de l'Armée Rouge ont sérieusement miné le moral de la population et les Soviétiques abandonnant des territoires énormes aux Germains étaient sur le point de flancher, il fallu notamment que Staline mette en place la "défense active" dans l'urgence et soit forcé de modifier son discours en transformant la "défense du marxisme-léninisme contre les hordes fascistes" par "la Grande guerre patriotique", qui avait bien plus de signification aux yeux des Russes qui combattaient avant tout pour leur vie. Leur vie qui ne tenait déjà pas à grand chose sous le régime de leur propre pays.
Jean-Marc Labat a écrit :
Le deuxième fait est que la mobilisation industrielle de l'Allemagne reste faible à côté de pays comme la Grande-Bretagne ou l'URSS. Il faudra justement la défaite de Stalingrad et l'avènement de Speer pour que la production s'envole, mais trop tard. Je dois avoir quelques part le chiffre des envois de matériel des USA à l'URSS, que je pourrai vous donner si ça vous intéresse, mais c'est fort important. Et début 43, les Américains commencent à produire massivement.
La seule solution, à mon sens, pour gagner cette guerre, était d'armer, d'instruire les masses russes occupées contre le communisme dès l'été 41. En Ukraine, les Allemands ont été accueillis avec le pain et le sel. Mais le Slave étant un Untermensch, la solution n'a pas même été envisagée. Lorsque l'armée Vlassov a été crée, il était trop tard, le vent ne soufflait plus dans le bon sens.
Ce qui advint était donc inéluctable.
Recruter parmis les peuples slaves aurait constitué à coup sûr un avantage certain dont les Allemands n'ont pas vraiment profité, mais ce n'était pas absolument primordial pour gagner la guerre. La solution a tout de même été envisagée dès le début des hostilités, et avant que n'existe l'Armée Vlassov, mais appliquée à petite échelle et sans un enthousiasme excessif de la part des officiers allemands. Les opposants au régime communiste ne manquaient pas et les recrues étaient relativement nombreuses au début de la guerre, notamment chez les Ukrainiens. Mais ils réalisèrent un peu plus tard la véritable nature des SS et même parfois de simples soldats de la Wehrmacht en territoire occupé et beaucoup rejoignirent finalement les partisans.
Concernant la mobilisation industrielle, il apparaît en fait que dans de nombreux de domaines l'effort industriel allemand surpassait, parfois même avec une marge élevée, celui des Soviétiques. Ce qui reste étonnant vu la taille de l'Union Soviétique comparé à l'Allemagne, même avec les territoires qu'elle avait acquis. L'industrie soviétique s'était délocalisée au-delà de l'Oural mais la perte de l'Ukraine menaçait grandement de famine toute l'URSS, y compris les ouvriers qui faisaient marcher l'industrie soviétique (les morts dus à la famine se comptèrent d'ailleurs par millions). Cependant, l'aide occidentale via l'Arctique fut déterminante et favorisa énormément les conditions de production.
Avec la défense du Caucase, l'aide occidentale est effectivement le facteur capital qui permis la résistance puis la contre-offensive soviétique sur le front, comme le montrent les chiffres que vous donnez plus haut. Mais il faut aussi prendre en compte qu'en cas de défaite russe dans le sud-est, la progression allemande sur tout le front continuait et, laissant Leningrad assiégée et asphyxier, aurait pu couper définitivement la péninsule de Kola, menacée également par les Finlandais, et donc Mourmansk du reste de la Russie.(D'ailleurs, une offensive finlandaise pour prendre la péninsule de Kola avait déjà eu lieu en 1941. Assez mal préparée et trop en avance, l'opération ne fut pas une réussite, les Finlandais furent obligés de reculer en attendant le gros des forces de l'Axe). Or c'est de Mourmansk, le seul port soviétique en Arctique utilisable par toutes les saisons, qu'arrivait la majeure partie du ravitaillement occidental et les Allemands le savaient.
En septembre 1942, l'Allemagne contrôlait entre autres 75% du coke, 63% du charbon, 50% du fer et 22% de l'acier soviétiques. Elle avait également pris l'Ukraine, importante région agricole, mais aussi industrielle et minière avec le bassin de Donetz. Et une victoire à Stalingrad signifiait que les Allemands s'emparaient du Caucase et mettaient finalement la main sur 3/4 (voire plus) des capacités pétrolières de l'URSS, excusez du peu. La logique industrielle des guerres modernes me fait au contraire penser que l'Allemagne avait toutes ses chances jusqu'en novembre 1942.
Privés de l'Ukraine (grenier à blé de l'URSS), des sites pétroliers vitaux du Nord-Caucase, et surtout de l'approvisionnement massif et indispensable en provenance des USA, l'URSS aurait vraiment été à bout. D'autant plus que le nombre effarant de victimes mais aussi de prisonniers aux mains des Allemands ajouté à la perte de territoires énormes représentaient une conduite désastreuse de la guerre qui ne permettait plus de justifier la brutalité et la domination du parti et des commissaires politiques sur les soldats et le peuple russe, qui n'auraient pas supporté plus longtemps le régime inhumain auquel ils étaient soumis.
Tout ça dépendait de la victoire allemande dans le sud-est, il y a des "si" et des "au cas où" mais ça reste très probable. C'est pourquoi la résistance soviétique commença véritablement à se durcir lorsque les Allemands approchèrent des montagnes du Caucase, Staline et la Stavka avaient compris que c'est là-bas qu'ils devaient absolument arrêter les Allemands.
La Bataille de Stalingrad est justement considérée comme étant le tournant de toute la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est qu'après Stalingrad que la victoire allemande n'était plus possible, mais pas avant.
Ce qui advint n'était donc pas inéluctable.