Bonjour,
calade a écrit :
Un événement en particulier a coûté à Raymond Aubrac sa place de Commissaire à Marseille, c'est l'explosion du château de la Simone à Pertuis le 25 novembre 1944.
Ceci mériterait d’être sourcé en détail.
Au sujet de Monsieur Raymond Aubrac, un récent hommage rendu par François Delpla :
Citer :
Il n’a pas tout à fait tenu jusqu’au centenaire de la mort de Jean Jaurès, le 31 juillet 2014, qui aurait été aussi le sien.
Ses quatre-vingt-dix-sept années auront été des mieux remplies . Son action de résistant, la plus connue, gagne à être éclairée en amont et en aval.
En septembre 1939, c’est un ingénieur de vingt-cinq ans issu de l’école des Ponts et chaussées, marxisant, en partie formé aux Etats-Unis, atterré par le pacte germano-soviétique, et venant d’entreprendre avec une demoiselle Lucie Bernard une idylle passionnée, qui part pour la guerre en entendant lutter contre le fascisme en général et le nazisme en particulier.
Fait prisonnier puis évadé, déjà, avec l’aide de sa femme (épousée en décembre 1939 à la faveur d’une permission), il s’installe à Lyon puis après avoir conversé, notamment, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, devient au début de 1941 co-fondateur du mouvement de résistance Libération-Sud. En 1942-43, il épaule Jean Moulin dans sa besogne unificatrice et parcourt la zone sud comme inspecteur de l’Armée secrète. C’est pourquoi il est convoqué pour le 21 juin 1943 à la réunion de Caluire, où Jean Moulin compte réorganiser le commandement de cette armée, décapitée par l’arrestation du général Delestraint. Klaus Barbie, chef de la Gestapo lyonnaise, met fin à la réunion avant même qu’elle ait commencé, en faisant irruption dans la villa du docteur Dugoujon.
Lucie, qui a déjà contribué à tirer son époux d’une prison française au mois de mai précédent, n’entend pas se le laisser arracher et fait irruption dans le bureau de Barbie qui, soufflé par tant d’audace, se montre brutal mais croit suffisamment en son histoire de fille-mère abandonnée pour ne pas la soupçonner d’autres péchés. Elle revient à la charge à la fois en étudiant les points faibles de l’ennemi (elle repère des cadres corruptibles), et en intéressant à la libération de Raymond des dirigeants locaux et nationaux de la Résistance, tant et si bien que, le 21 octobre, enceinte de cinq mois, elle participe au sein d’un groupe franc à l’attaque du fourgon qui ramène Raymond (et une quinzaine d’autres résistants) en prison après la signature d’un faux contrat de mariage dans les bureaux de la Gestapo. C’est là l’un des plus fructueux exploits de l’armée résistante contre celle des occupants. Elle fait quelque temps de Lucie, exfiltrée par avion avec sa famille vers Londres en février 1944 à la veille de l’accouchement, une favorite des médias anglo-saxons.
Raymond Aubrac est nommé, par de Gaulle, commissaire de la République pour tous les départements méditerranéens libérés à partir du 15 août , et y règne pendant un semestre, à trente ans tout juste, depuis la préfecture de Marseille. Ce n’est pas seulement le dernier compagnon de Jean Moulin qui vient de disparaître, mais aussi un reconstructeur de la France, en charge des questions les plus délicates comme celle de l’épuration. Un peu plus tard, il s’occupera, au ministère de la Reconstruction, d’une autre activité essentielle, le déminage (et fera bénéficier de son expérience, plus tard, aussi bien les Vietnamiens que les Kosovars).
Puis c’est le retour à un relatif anonymat, pour elle et pour lui. Lucie redevient, avec passion, professeur d’histoire (et ne parle quasiment jamais de sa guerre à ses élèves), tandis que Raymond court le monde, devenant notamment, à l’ONU, un cadre de la FAO et un spécialiste du sous-développement. Pour tous deux comme pour beaucoup, l’année 1956 marque un éloignement du mouvement communiste (dans lequel ni l’un ni l’autre n’étaient encartés), ce qui n’empêche pas (mais favorise sans doute au contraire) un rôle discret de médiateur de Raymond dans la guerre du Vietnam.
Ils finissent, dans les années 80, par être rattrapés par leur passé résistant. L’arrestation et le transfert de Bolivie en France, en 1983, de Klaus Barbie, qui prend pour avocat Jacques Vergès, déterminent ce nouveau tournant de leur vie. En panne d’arguments de défense, Vergès choisit l’attaque, et insinue que l’évasion du 21 octobre 1943 avait été arrangée avec l’ennemi (alors que dans de nombreuses dépositions et déclarations antérieures à sa rencontre avec Vergès, Barbie n’avait jamais mentionné ni Raymond ni Lucie, qu’il avait sans doute oubliés l’un et l’autre ; du reste il n’était pas à Lyon, mais détaché en Italie, au moment de l’évasion d’octobre). Voilà qui amène Lucie à raconter son exploit dans un livre, Ils partiront dans l’ivresse , qui fait pendant vingt ans un barrage efficace à la calomnie. Mais Vergès a fait signer par Barbie, peu avant sa mort en 1991, un pseudo-« testament » accusant nommément Lucie de lui avoir téléphoné le rendez-vous de Caluire ! Un historien amateur lyonnais, auteur d’ouvrages honnêtes sur la résistance locale, Gérard Chauvy, débauché par un éditeur peu scrupuleux, donne soudain en 1997 une virginité aux élucubrations de Vergès qui n’avaient déclenché que des rires en 1991, et « le doute », s’étalant notamment dans une publicité à la Une du Monde, envahit les esprits légers –qui ne sont pas toujours les moins nombreux.
Pour les avoir fréquentés de loin en loin (car nous étions tous très occupés), mais régulièrement, depuis une vingtaine d’années, je peux dire que ce que j’admire le plus dans leur parcours est la résistance à la calomnie. Ils l’ont assumée comme une partie intégrante de leur engagement et de leur devoir.
Resté seul en 2007, Raymond redoubla d’ardeur, se rendant à toute invitation d’enseignant du primaire à l’Université, inaugurant partout en France des voies ou des établissements qu’on baptisait du nom de Lucie, sans oublier de prendre position dans les combats du jour. Notre dernière rencontre, moins d’une semaine avant sa mort, avait été consacrée à l’élection présidentielle et à son rejet du candidat sortant.
Publie dans le numéro 2 du magazine
Dernière Guerre Mondiale.
(
http://derniereguerremondiale.net/indexDGM.php )