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Message Publié : 24 Avr 2012 13:23 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 16:55
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Stéphane Courtois et François Delpla ont défendu des thèses opposées sur la peronnalité et le parcours de Raymond Aubrac sous la forme d'interviews reproduits sur le site "secretdefense". Quelques extraits :

1 - Delpla, plutôt favorable à Aubrac :

Raymond Aubrac était-il un agent communiste comme le dit Stéphane Courtois ?
Sûrement pas comme il le dit, c'est-à-dire avec un seul et même engagement depuis ses années d'étudiant avant guerre jusqu'en 199. Lorsque j'ai connu Aubrac, à la fin des années 1980, il était ardemment pro-européen, par crainte que l'Allemagne ne réclame un jour ses provinces perdues en Pologne. D'autre part, Aubrac a fait l'effort de clarifier la question de ses rapports avec le mouvement communiste, à la fin de ses mémoires. Je comprends et même j'attends qu'un historien ne prenne pas cela pour argent comptant, mais Courtois a le plus grand tort de n'en tenir aucun compte - à se demander s'il a lu ces pages.

Quels étaient alors ses rapports exacts avec le PCF ?
Dans les années trente, il fréquente une sorte d'école de formation marxiste pour étudiants parisiens de haut niveau et ne semble pas avoir d'engagement militant; rien en tout cas qui l'empêche de postuler pour une bourse aux Etats-Unis, en 1937; ni de faire la Préparation militaire supérieure, à une époque de fichage intense des "rouges" dans l'armée puis de faire son service militaire comme officier dans le génie. Pendant la guerre, beaucoup de communistes désireux de "faire quelque chose" malgré le pacte germano-soviétique contribuent à former les mouvements Combat, Libération, Franc-Tireur, etc. Quand le Parti reprend lui-même le combat, il leur dit de rester en place. Les cas les plus connus sont Pierre Hervé à Libé-sud et Marcel Degliame à Combat. Pour Aubrac, il n'ya pas trace d'inféodation partisane quand il est à Libé-Sud.

Pourquoi, à la Libération, de Gaulle lui a-t-il retiré son poste de Commissaire de la République à Marseille ?

Parce qu'il passait pour trop proche du PCF assurément. Mais là aussi l'historien doit faire attention ! Il a eu des audaces qu'on peut trouver sympathiques et qui n'étaient peut-être pas trop dans la ligne du Parti de l'époque, en matière de gestion des usines en déshérence notamment. Et de Gaulle a surtout sanctionné un rapport de forces local : les socialistes, Gaston Defferre en tête, avaient efficacement savonné la planche en faisant apparaître un Aubrac contesté et dépassé, notamment sur les questions de ravitaillement, résolues en un tournemain après son départ. Certains ont fait apparaître Raymond Aubrac, dans les questions d'épuration, comme un Robespierre bis, alors qu'il n'y a pas eu plus de condamnations à mort qu'ailleurs - et qu'il s'en explique aussi dans ses mémoires comme quelqu'un qui n'a rien à cacher -et que personne n'a démenti.

Que sait-on de l'épisode de ses évasions à Lyon durant l'occupation ?
Rien que d'honorable. Le récit fameux de son épouse Lucie peut être corrigé sur des détails mais n'a été contredit par aucun témoin ni aucune archive sur l'essentiel - alors qu'il a été au contraire abondamment recoupé.

Raymond Aubrac n'était Compagnon de la Libération. Pourquoi ?
Il n'est pas le seul ! Beaucoup de facteurs ont pu jouer. Mais on comprend bien avec quelle arrière-pensée certains posent la question dans son cas.


2 - Courtois, très hostile :

Qui était vraiment Raymond Aubrac ?
Un agent soviétique, mais pas au sens où il aurait travaillé pour les services d'espionnage de l'Union soviétique. Il était plutôt un membre important du réseau communiste international, un sous-marin communiste si l'on veut ; en tout cas, beaucoup plus qu'un agent d'influence. Un homme comme lui avait évidemment un correspondant à Moscou.

Mais Aubrac a toujours expliqué qu'il n'avait jamais été membre du PCF ?
(Rire). C'est exact, formellement, mais tout cela est cousu de fil rouge. Il faisait partie de ce qu'on appelle les "hors-cadres", des gens de haut niveau dont le PCF n'avait pas besoin qu'ils prennent leur carte. Ils leur étaient plus utile à l'extérieur. Aubrac était un ingénieur, sorti de l'Ecole des Ponts et Chaussées, et le PCF ne voulait pas le mettre en avant. Ce qui ne l'empêchait pas de participer à des réunions de cellules comme "observateur". Avant guerre, sa future épouse Lucie était elle-même communiste, proche d'André Marty - qui fut représentant du PCF au Komintern.

Ses biographes le présentent comme une sorte d'industriel à la tête d'une entreprise d'urbanisme. Qu'en est-il ?
La société qu'il dirigeait était le Berim - le Bureau d'études et de recherches pour l'industrie moderne. Placé sous la responsabilité de Jean Jérôme, l'und es hommes les plus importants et les plus secrets du PCF - cette société servait aussi de pompe à finances au Parti. C'est, par elle, que passait une partie des financements en provenance de l'Est - sous la forme de contrats plus ou moins bidons. Même chose avec les maires communistes.

On apprend qu'il était à Saïgon lors de l'arrivée des chars du Nord-Vietnam en 1975. Qu'y faisait-il ?
Aubrac a joué un rôle très particulier dans l'affaire du Vietnam. Lorsque le dirigeant communiste Hô Chi Minh vint en France en 1946, il fut hébergé par les Aubrac à la demande de Jacques Duclos. Puis il servit de contact entre l'appareil communiste international et Henry Kissinger lui-même. Du sérieux, on le voit.

Son rôle durant la Résistance a fait l'objet de polémiques. On se souvient d'un procès contre l'historien Gérard Chauvy et d'une table ronde organisée en 1997 par Libération. Qu'en pensez-vous ?
Pendant longtemps, Aubrac et son épouse Lucie ont raconté qu'il s'était évadé à la suite d'une opération de la Résistance. Or, Arthur Kriegel - qui a participé à cette action commando - assurait qu'Aubrac n'était pas là quand elle eut lieu. Puis Aubrac a reconnu dans la biographie "autorisée" que Pascal Convert lui a récemment consacrée qu'il ne s'était pas évadé, mais qu'il avait été libéré.
Un autre épisode pose problème. A la Libération, il est commissaire régional de la République à Marseille. Or De Gaulle va le virer sans ménagement et sans explication. A Marseille, il avait créé des CRS (Compagnies républicaines de sécurité) dont on découvrit plus tard qu'elles étaient entièrement infiltrées par le PCF.
Quant à la table ronde de Libération, une anecdote est significative : Aubrac s'est mis en colère au moment même où Daniel Cordier lui a demandé d'avouer enfin qu'il était communiste. Jusqu'au bout, il l'aura nié. C'était un gros poisson de l'appareil, très bien camouflé, en particulier derrière l'image de son épouse Lucie.


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Message Publié : 24 Avr 2012 14:54 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 16:55
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On trouve aussi ceci sur le site du ministère de l'intérieur :

"En novembre 1944, le gouvernement provisoire institue un ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme sous l’autorité de Raoul Dautry.Le 21 février 1945, le service du déminage est créé et dirigé par Raymond Aubrac. Le jeune résistant est nommé inspecteur général, responsable des opérations de déminage sur l'ensemble du pays. 3 200 volontaires français et 48 500 prisonniers de guerre allemands sont affectés à cette tâche colossale et à la fin de l’année 1947, les travaux de neutralisation des champs de mines connus et répertoriés sont considérés comme terminés. Près de 13 millions de mines et plus de 16 millions d’obus, bombes et autres munitions non explosées sont détruits.

Dans son ouvrage Où la mémoire s’attarde, Raymond Aubrac témoigne :

« Rentrant un jour du conseil des ministres, Raoul Dautry réunit ses directeurs et les commissaires présents à Paris. « nous avons, nous dit-il, une nouvelle tâche. Les militaires veulent être déchargés de la responsabilité du déminage (…). Il faudra à la cadence actuelle, dix ans et une centaine de milliards, disent-ils. Tous leurs moyens sont consacrés à la poursuite de la guerre. Or l’enlèvement des mines est, nous le savons bien, un préalable à la reconstruction. J’ai donc accepté cette responsabilité. Qui de vous, messieurs, est volontaire pour s’en occuper ? »
Un grand silence répondit au ministre. Le déminage faisait peur. Il ne se passait pas un jour sans que l’on apprenne par la presse que les mines avait fait de nouvelles victimes, souvent des enfants. Et nos propres activités militaires ne nous avaient guère accoutumés à ces engins.

« Bien dit le ministre. Je vois. Qui d’entre vous est officier du Génie ? » Nous levâmes tous la main puisque nous étions tous officiers de réserve dans cette arme. « Alors, demanda Raoul Dautry, qui est le plus jeune ? » Cette fois je fus le seul à lever la main. C’est ainsi que le sort me désigna »."


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Message Publié : 24 Avr 2012 16:27 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 16:02
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Si Comme le pense Courtois qui est un remarquable fouilleur d'archives, Aubrac a profité de ses fonctions de commissaire à Marseille pour faire le jeu du PC qui à l'époque est suspecté de chercher à prendre le pouvoir, l'affaire est assez grave.
Elle explique que de Gaulle lui retire si vite ses fonctions et qu'on le nomme à un poste technique mineur pour qu'il ne nuise pas au régime en place.
Je ne vois pas pourquoi Aubrac ne veut pas reconnaitre ses liens avec le PC, ce n'était pas si honteux à l'époque et dire qu'on a été communiste pendant la guerre en faisant de la résistance, est assez courant, banal. il lui suffisait de dire oui j'ai été proche du PC sans adhérer mais m'en suis détaché quand j'ai appris qui était Staline par exemple.
Beaucoup d'autres ont été plus clair: Gide, Malraux, le jeune Chirac ....

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 24 Avr 2012 16:50 
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Jean Froissart
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Inscription : 19 Fév 2011 18:03
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Ne rien lâcher. Cela accréditerait la thèse d'un gros poisson rompu au combat de l'ombre. Ce que dit Courtois, en somme.

Remarque: selon Benfredj, l'avocat de Frenay, il en est de même pour Jean Moulin. Benfredj tient Moulin pour un communiste de l'ombre.
Frenay lui disait ne pas comprendre ce qui pouvait empêcher de dire que Moulin aurait eu une sympathie communiste. Rien de déshonorant!

Sauf si l'on est non pas un sympathisant, non pas un militant, mais un agent subversif. Dans ce cas, garder sa couverture jusqu'au bout, c'est accomplir sa mission.

Je précise que je n'ai moi-même pas d'opinion sur le sujet, je n'en sais pas assez. Un seul élément me viendrait à l'esprit: Daniel Cordier a pris Frenay en grippe à partir de l'époque où l'on a commencé à entendre ça et là que Moulin avait été communiste (années 80?)


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Message Publié : 24 Avr 2012 20:15 
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Georges Duby
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Le nombre d'intellectuels qui ont été communistes est considérable, ils expliquent qu'ils ont lâché le parti à tel moment et sont plutot fiers de leur parcours.

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Message Publié : 25 Avr 2012 7:58 
Citer :
il lui suffisait de dire oui j'ai été proche du PC sans adhérer mais m'en suis détaché quand j'ai appris qui était Staline par exemple.

C'est ce qu'il a dit! Mais beaucoup ne l'on pas cru, semble-t-il...


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Message Publié : 25 Avr 2012 9:54 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 16:02
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Peut-être parce qu'il semblait avoir été très impliqué dans la machine du PC au sommet, à Marseille, comme dirigeant d'une société d'import-export avec l'URSS finançant le PCF, en accueillant chez lui Ho Chi Minh.
Il fallait rompre spectaculairement, reconnaitre son rôle et ne pas se contenter d'un petit "je n'ai jamais été membre du parti" qui a finalement choqué.
Ceci dit, Aubrac a été fidèle au communisme. C'est à son honneur mais qu'il ne fasse pas comme s'il n'avait jamais été un collaborateur de haut niveau du communisme international. C'est celà qui a déçu certains.
Quoiqu'il en soit il reste une grande figure de la Résistance et mérite d' être considéré à cet égard.

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Message Publié : 29 Avr 2012 14:47 
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Plutarque
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Aprés tout , que les Aubrac aient été sympathisants du PC ou compagnons de route , là n'est pas le problème
Il y a quand même quelques zones obscures dans l' histoire des Aubrac , tel qu'il apparait lors de la table ronde de Liberation .....et qui poussent Cordier , secretaire de Jean Moulin , à s'interroger
Dans un interview à Olivier Wierviorka , Cordier s'explique :
http://www.liberation.fr/societe/010122 ... es-aubrac-
et conclut :
"En résumé, je ne pense pas que les Aubrac aient, sur l'année 1943, dit toute la vérité et ils doivent rendre des comptes ........ J'avoue ne pas comprendre les versions contradictoires de Raymond Aubrac et je ne m'en explique pas les motifs, en particulier pour la visite des Allemands au domicile des Samuel (les parents de R. Aubrac, morts en déportation) après son évasion. Connaissaient-ils donc sa véritable identité? "
De plus , quand on connaissait les moyens simples qu' avaient la Police de Vichy et la Gestapo pour reconnaitre les juifs , on est surpris que ces services , qui l'ont detenu plusieurs mois , n'aient pas été plus curieux !

Et comme le rappelait Courtois au " Camarade " Delpla : " l' Histoire rattrape toujours ses clients " :wink:


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Message Publié : 29 Avr 2012 16:41 
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Eginhard
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Inscription : 04 Juin 2008 21:24
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Un événement en particulier a coûté à Raymond Aubrac sa place de Commissaire à Marseille, c'est l'explosion du château de la Simone à Pertuis le 25 novembre 1944. Ce château accueillait des combattants des FFI et l'explosion provoque une 30aine de morts. Elle apparaît assez vite comme accidentelle mais des rumeurs se répandent : les FFI auraient été victimes de miliciens passés dans la clandestinité. L'émotion est telle que Raymond Aubrac doit consentir à une exécution publique, celle d'un chef milicien d'Avignon arrêté à la Libération. Il sait évidemment qu'il n'est pas coupable (il était en prison lors de l'explosion) mais devant le risque de voir des lynchages se produire, il juge cette solution moins calamiteuse. De Gaulle n'a évidemment pas du tout la même vision. Qu'un commissaire de la République accepte une exécution après un jugement devant une cour non légale et, surtout, qu'il n'ait pas transmis le dossier pour une grâce éventuelle le scandalise. Il envoie le lendemain de l'exécution aussitôt à Marseille le MRP Menthon (Garde des Sceaux) et le communiste Billoux (ministe de l'Economie). Menthon est effrayé par l'état de la justice en Provence, et Billoux reprend (discrètement) les choses en main d'une main de fer, mettant fin aux cours extrajudiciaires, et au pas le PCF de Marseille.
Bref, Aubrac passe moins pour un agent des rouges que pour un haut-fonctionnaire qui n'est pas à la hauteur de la situation. Mais il faut bien reconnaître qu'elle est extrêmement difficile et qu'il a fait face tant bien que mal durant la pire période de la Libération.

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Message Publié : 04 Mai 2012 15:02 
Bonjour,
calade a écrit :
Un événement en particulier a coûté à Raymond Aubrac sa place de Commissaire à Marseille, c'est l'explosion du château de la Simone à Pertuis le 25 novembre 1944.

Ceci mériterait d’être sourcé en détail.

Au sujet de Monsieur Raymond Aubrac, un récent hommage rendu par François Delpla :
Citer :
Il n’a pas tout à fait tenu jusqu’au centenaire de la mort de Jean Jaurès, le 31 juillet 2014, qui aurait été aussi le sien.
Ses quatre-vingt-dix-sept années auront été des mieux remplies . Son action de résistant, la plus connue, gagne à être éclairée en amont et en aval.
En septembre 1939, c’est un ingénieur de vingt-cinq ans issu de l’école des Ponts et chaussées, marxisant, en partie formé aux Etats-Unis, atterré par le pacte germano-soviétique, et venant d’entreprendre avec une demoiselle Lucie Bernard une idylle passionnée, qui part pour la guerre en entendant lutter contre le fascisme en général et le nazisme en particulier.
Fait prisonnier puis évadé, déjà, avec l’aide de sa femme (épousée en décembre 1939 à la faveur d’une permission), il s’installe à Lyon puis après avoir conversé, notamment, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, devient au début de 1941 co-fondateur du mouvement de résistance Libération-Sud. En 1942-43, il épaule Jean Moulin dans sa besogne unificatrice et parcourt la zone sud comme inspecteur de l’Armée secrète. C’est pourquoi il est convoqué pour le 21 juin 1943 à la réunion de Caluire, où Jean Moulin compte réorganiser le commandement de cette armée, décapitée par l’arrestation du général Delestraint. Klaus Barbie, chef de la Gestapo lyonnaise, met fin à la réunion avant même qu’elle ait commencé, en faisant irruption dans la villa du docteur Dugoujon.
Lucie, qui a déjà contribué à tirer son époux d’une prison française au mois de mai précédent, n’entend pas se le laisser arracher et fait irruption dans le bureau de Barbie qui, soufflé par tant d’audace, se montre brutal mais croit suffisamment en son histoire de fille-mère abandonnée pour ne pas la soupçonner d’autres péchés. Elle revient à la charge à la fois en étudiant les points faibles de l’ennemi (elle repère des cadres corruptibles), et en intéressant à la libération de Raymond des dirigeants locaux et nationaux de la Résistance, tant et si bien que, le 21 octobre, enceinte de cinq mois, elle participe au sein d’un groupe franc à l’attaque du fourgon qui ramène Raymond (et une quinzaine d’autres résistants) en prison après la signature d’un faux contrat de mariage dans les bureaux de la Gestapo. C’est là l’un des plus fructueux exploits de l’armée résistante contre celle des occupants. Elle fait quelque temps de Lucie, exfiltrée par avion avec sa famille vers Londres en février 1944 à la veille de l’accouchement, une favorite des médias anglo-saxons.
Raymond Aubrac est nommé, par de Gaulle, commissaire de la République pour tous les départements méditerranéens libérés à partir du 15 août , et y règne pendant un semestre, à trente ans tout juste, depuis la préfecture de Marseille. Ce n’est pas seulement le dernier compagnon de Jean Moulin qui vient de disparaître, mais aussi un reconstructeur de la France, en charge des questions les plus délicates comme celle de l’épuration. Un peu plus tard, il s’occupera, au ministère de la Reconstruction, d’une autre activité essentielle, le déminage (et fera bénéficier de son expérience, plus tard, aussi bien les Vietnamiens que les Kosovars).
Puis c’est le retour à un relatif anonymat, pour elle et pour lui. Lucie redevient, avec passion, professeur d’histoire (et ne parle quasiment jamais de sa guerre à ses élèves), tandis que Raymond court le monde, devenant notamment, à l’ONU, un cadre de la FAO et un spécialiste du sous-développement. Pour tous deux comme pour beaucoup, l’année 1956 marque un éloignement du mouvement communiste (dans lequel ni l’un ni l’autre n’étaient encartés), ce qui n’empêche pas (mais favorise sans doute au contraire) un rôle discret de médiateur de Raymond dans la guerre du Vietnam.
Ils finissent, dans les années 80, par être rattrapés par leur passé résistant. L’arrestation et le transfert de Bolivie en France, en 1983, de Klaus Barbie, qui prend pour avocat Jacques Vergès, déterminent ce nouveau tournant de leur vie. En panne d’arguments de défense, Vergès choisit l’attaque, et insinue que l’évasion du 21 octobre 1943 avait été arrangée avec l’ennemi (alors que dans de nombreuses dépositions et déclarations antérieures à sa rencontre avec Vergès, Barbie n’avait jamais mentionné ni Raymond ni Lucie, qu’il avait sans doute oubliés l’un et l’autre ; du reste il n’était pas à Lyon, mais détaché en Italie, au moment de l’évasion d’octobre). Voilà qui amène Lucie à raconter son exploit dans un livre, Ils partiront dans l’ivresse , qui fait pendant vingt ans un barrage efficace à la calomnie. Mais Vergès a fait signer par Barbie, peu avant sa mort en 1991, un pseudo-« testament » accusant nommément Lucie de lui avoir téléphoné le rendez-vous de Caluire ! Un historien amateur lyonnais, auteur d’ouvrages honnêtes sur la résistance locale, Gérard Chauvy, débauché par un éditeur peu scrupuleux, donne soudain en 1997 une virginité aux élucubrations de Vergès qui n’avaient déclenché que des rires en 1991, et « le doute », s’étalant notamment dans une publicité à la Une du Monde, envahit les esprits légers –qui ne sont pas toujours les moins nombreux.
Pour les avoir fréquentés de loin en loin (car nous étions tous très occupés), mais régulièrement, depuis une vingtaine d’années, je peux dire que ce que j’admire le plus dans leur parcours est la résistance à la calomnie. Ils l’ont assumée comme une partie intégrante de leur engagement et de leur devoir.
Resté seul en 2007, Raymond redoubla d’ardeur, se rendant à toute invitation d’enseignant du primaire à l’Université, inaugurant partout en France des voies ou des établissements qu’on baptisait du nom de Lucie, sans oublier de prendre position dans les combats du jour. Notre dernière rencontre, moins d’une semaine avant sa mort, avait été consacrée à l’élection présidentielle et à son rejet du candidat sortant.

Publie dans le numéro 2 du magazine Dernière Guerre Mondiale.
( http://derniereguerremondiale.net/indexDGM.php )


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Message Publié : 05 Mai 2012 18:55 
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Eginhard
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Pour les sources, il faut commencer par le colloque La Libération de la France, Editions du CNRS, 1974, et notamment le témoignage de François de Menthon qui évoque l'épuration à Marseille. Sinon, il existe sur le net des dossiers sur l'explosion de la Simone comme celui-ci :
http://www.pertuisien.fr/imeven/La_Simo ... uisien.pdf

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Message Publié : 07 Mai 2012 11:53 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

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Message(s) : 2202
Vézère a écrit :
Benfredj tient Moulin pour un communiste de l'ombre.Daniel Cordier a pris Frenay en grippe à partir de l'époque où l'on a commencé à entendre ça et là que Moulin avait été communiste (années 80?)

Frenay publie ses Mémoires en 73 (la nuit finira) et je crois qu'il parle de Moulin crypto communiste vers 77/78 (avec un autre livre, à vérifier)

_________________
il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 12 Mai 2012 14:00 
Bonjour,
calade a écrit :
Pour les sources, il faut commencer par le colloque La Libération de la France, Editions du CNRS, 1974, et notamment le témoignage de François de Menthon qui évoque l'épuration à Marseille. Sinon, il existe sur le net des dossiers sur l'explosion de la Simone comme celui-ci :
http://www.pertuisien.fr/imeven/La_Simo ... uisien.pdf

Triste incident, mais je ne vois pas trop ce que Raymond Aubrac a a voir avec ça ?


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Message Publié : 12 Mai 2012 16:24 
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Eginhard
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Inscription : 04 Juin 2008 21:24
Message(s) : 749
Il était commissaire de la République à Marseille et il s'est laissé débordé. C'est l'exécution du milicien avignonais qui est ici en cause, évidemment pas l'explosion du château de la Simone. Cette exécution est inacceptable pour de Gaulle car elle s'est faite sans que le condamné, par une cour non légale de surcroît, puisse faire appel. Entraver le droit de grâce du chef du GPRF est un casus belli pour de Gaulle, et Aubrac est remercié deux mois plus tard. Aubrac a permis un retour relatif au calme en "sacrifiant" celui qui était toutefois un responsable de la milice mais du point de vue de Paris, il a perdu toute fiabilité. C'est le communiste Billoux qui, par un voyage éclair à Marseille, rétablit l'ordre via le PCF local, dans une stricte orthodoxie gaulliste.

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Message Publié : 13 Mai 2012 4:22 
Bonjour,

Votre interprétation est tout a fait nouvelle, du moins pour moi.
Elle n'est pas exprimée dans le document en ligne que vous avez cité et, a ma connaissance, Billoux n'en n'a jamais parlé.
Pensez-vous que François de Menthon n'a eu aucun rôle dans cette affaire ?


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