Il y a des réponses à cela, et assez simples à accepter pour peu que l'on comprenne bien le fonctionnement itératif d'une décision sur un champ de bataille.
La véritable "révolution" introduite par les Allemands n'est pas dans le domaine de la mécanisation, ni même dans l'utilisation de la troisième dimension ou de la radio. Dans tous ces domaines, ils sont largement en retard sur la France en 1918, et ultérieurement sur d'autres pays comme l'URSS (qui dispose de la première unité parachutiste de l'Histoire dès 1932, ou encore qui est très en avance en terme de mécanisation dès la première moitié des années trente). Elle est bien d'ordre tactique, et réside dans leurs propres enseignements des années 1917 et 1918, enseignements complètement occultés en France et au Royaume-Uni (et donc dans les autres pays) mais intensivement étudiés et exploités en Allemagne.
En effet, la "méthode" française ayant montré sa supériorité en 1918, il paraissait inutile de chercher à profiter du retour d'expérience allemand, le Reich ayant échoué entre mars et juillet 1918 à imposer sa manière de faire la guerre comme victorieuse. Cette "méthode" française s'était nourrie des expériences amères des années 1914-1917. La supériorité de la défense, grâce à l'artillerie et aux mitrailleuses adossées à un système défensif élaboré reposant sur les réseaux de barbelés, les mines, les tranchées, avait nécessité une adaptation profonde des structures militaires de 1914. Ainsi, là où une section emmenée par un lieutenant ou une compagnie par un capitaine devaient avant 1914 réussir à s'emparer d'une ligne de tranchées ennemies après une brève préparation et grâce au choc et aux forces morales, il apparut que c'était devenu impossible. Il fallait fournir au lieutenant ou au capitaine un appui d'artillerie très méthodique via un ou plusieurs officiers de liaison, un appui génie pour brécher les obstacles ennemis, des "nettoyeurs de tranchée" pour précéder l'attaque, des chars pour l'accompagner, des détachements de liaison pour assurer la coordination avec les voisins et ceux qui suivent, etc., etc. Il apparut que le lieutenant ou le capitaine n'étaient pas capables, seuls, de gérer au feu une telle complexité. Comme dans toute structure hiérarchisée et pyramidale, c'est l'échelon supérieur qui récupéra ces attributions. Le commandant du bataillon ou le colonel commandant le régiment. Mais eux non plus n'avaient pas les moyens de commander un panel d'appuis aussi étendus et divers. Ce fut donc le général commandant la brigade, celui commandant la division, voire celui du corps d'armée ou de l'armée pour les appuis les plus spécifiques ou les plus lourds, qui se chargea de la déconfliction. A partir du niveau du régiment (colonel) et au-dessus, l'avantage était que l'officier commandant pouvait s'appuyer sur un état-major nombreux, des moyens de communication en quantité et en qualité. Cela permettait en effet de dominer la complexité très importante exigée par une simple attaque localisée. La qualité de travail des états-majors français fut grandement améliorée, leur travail devint une mécanique de précision très enviée (notamment par les Américains) qui s'étendait sur l'ensemble des questions tactiques ou opératives, du combat à la logistique en passant par le renseignement, la météorologie, la troisième dimension, etc. Le problème était qu'un tel travail exigeait des délais conséquents, et pour une attaque programmée à J+5 pour s'emparer d'une simple position allemande, là où en 1914 on aurait attendu la veille pour débuter les préparations, en 1918 on avait besoin de la moindre minute pour planifier les tirs auprès du régiment d'artillerie divisionnaire, mais aussi de l'artillerie lourde de corps d'armée, des deux batteries destinées aux tirs fumigènes et chimiques, du groupement de chars pour que sa mise en place sur la ligne de débouché soit le plus discrète possible, au dernier moment, avec le bataillon réservé pour qu'il fournisse un élément de renseignement destiné à faire un coup de main l'avant-veille, et pour coordonner la montée de ses renforts, avec le bataillon attaquant pour qu'il envoie des estafettes destinées à guider les réserves dans le dédale des tranchées, avec le bataillon du génie pour qu'il fournisse des lance-flammes et des outils de bréchage, avec la compagnie de transmissions pour qu'elle déploie un réseau filaire dans l'heure qui suit le début de l'attaque, avec l'aviation pour qu'elle fournisse du renseignement et assurer la supériorité aérienne au moment de l'attaque, etc, etc.
En 1940, l'armée française, en dépit d'améliorations notables dans le domaine des délais, est toujours organisée sur un tel schéma directeur. La moindre action un peu significative exige des délais conséquents pour qu'on s'assure que tous les appuis et les unités encadrantes soient efficaces dans leur action.
A contrario, l'armée allemande a exploré à fond la voie qu'elle avait ouverte dès 1916-1917, celle de la Stosstrupptaktik, de l'"esprit de Riga". Contrairement aux Français qui désubsidiarisent le combat en le confiant aux échelons supérieurs à des fins de cohérence et d'efficacité, les Allemands cherchent à tout prix à le subsidiariser. C'est pour cela qu'ils mettent en place les Sturmtruppen qui, contrairement à ce qu'on pense, ne sont pas des troupes de choc destinées à ouvrir des brèches, mais des unités d'instruction pour la mise au point de tactiques et de matériels au niveau du groupe de combat ou de la section, ultérieurement de la compagnie. Ecoles de combat, ces Sturmtruppen testent, expérimentent, puis instruisent et entraînent. Ce n'est qu'après avoir servi d'écoles de combat (Kampfschulen) par lesquelles transitent une bonne partie de l'armée impériale qu'elles deviennent des unités de choc qui précèdent les formations plus classiques*. Les exigences du combat moderne sont ressenties de la même manière dans l'armée allemande que dans la française, mais la première cherche à améliorer le niveau de ses cadres de contact plutôt que de parier sur la déconfliction des officiers supérieurs ou généraux appuyés sur leur état-major (bien entendu, ce processus est aussi à l'oeuvre dans l'armée allemande). En conséquence, l'Oberleutnant ou le Hauptmann allemand, en 1918, se trouve placé à la tête d'une unité interarmes très complexe à commander, mais qui lui permet de disposer immédiatement d'un panel de matériels et de compétences absolument sans commune mesure avec son homologue français. Il monte son attaque lui-même, déploie sa section de canons d'infanterie là où il le souhaite, insère les lance-flammes avec telle Handgranatentrupp plutôt que telle autre, réalise les plans de feux de ses mitrailleuses lui-même, etc, etc. Cette subsidiarité du commandement tactique permet une flexibilité sur le champ de bataille, une rapidité d'exécution, tout à fait dans l'esprit de l'Offizierkorps. Mais le défaut est celui de cette qualité : il faut des chefs d'un métal tout à fait extraordinaire pour commander un tel ensemble interarmes efficacement, sous le feu et la pression de l'exigence de la mission, et des subordonnés parfaitement rodés à leurs tâches, ayant confiance dans leurs supérieurs et dans leur capacité à réaliser la mission. Et au moindre grain de sable (blessure du chef, perte de liaison, par exemple), cette belle mécanique s'effondre. Elle ne résistera ainsi pas aux pertes des actions offensives extrêmement brutales du printemps 1918.
En 1918, on a une méthode française qui a vaincu, et une méthode allemande qui a échoué. Mais cette dernière avait suffisamment réussi (à Riga en septembre 1917, lors de "Michael" en mars 1918 et de "Georgette" en mai 1918) pour qu'elle reste digne d'intérêt pour ceux qui lui avaient donné naissance. Les conséquences du Diktat de Versailles, qui faisait de l'armée allemande une pépinière de cadres de très haut niveau, dominés par la caste extrêmement professionnelle et efficace du corps des officiers d'état-major, ne fit qu'accentuer ce tropisme. Ne restait qu'à l'adapter aux évolutions technologiques qui allaient parfaitement dans leur sens (généralisation du cheval-vapeur, troisième dimension). Et s'opposaient à la méthode française, victime de la lenteur nécessaire d'un processus itératif méthodique mais long.
Contrairement à ce que l'on croit, ce ne sont pas les chars allemands qui font la plus grosse différence en 1940. Ni la Luftwaffe. Ni un matériel de meilleure qualité. Ce qui fait la différence, c'est la capacité à l'autonomie du chef tactique bénéficiant de l'ensemble des appuis nécessaires à la réalisation de sa mission et des moyens de liaison pour les commander efficacement, sa capacité à décider sous la pression sans perte de temps, de s'adapter à l'évolution très rapide de la situation sur le champ de bataille en sachant que le voisin ou le camarade de derrière ira dans le sens de ses décisions parce qu'il y a une rare cohérence de vue et d'esprit dans cette caste. Les moyens techniques qui sont devenus l'emblème du Blitzkrieg ne sont que les auxiliaires subordonnés à cette faculté.
Alors quand on me dit le Blitzkrieg, un mythe convenu, je rigole. Oh, certes, le Blitzkrieg n'est pas ce qu'on en a fait, du moins c'est bien plus complexe que cela. Mais les Allemands ont brisé une méthode pourtant éprouvée de décision sur le champ de bataille, la française, en imposant la leur reposant sur la subsidiarité du commandement, l'intégration interarmes jusque dans les niveaux tactiques les plus basiques, et la volonté, en permanence, de donner du rythme à la manoeuvre. C'est cela, la véritable révolution dans les affaires militaires, mais il est bien rare que cela soit relevé tant... les mythes ont la vie dure et les commentateurs ignorent généralement tout des exigences du chef sur le champ de bataille ou du travail d'état-major.
Désolé d'avoir été un peu long mais le sujet est pour le moins complexe !
* Pour le coup, les Allemands procèderont exactement de la même manière en 1943-1944 en mettant en place des "écoles de combat divisionnaires" (Divisionskampfschulen) au sein de "bataillons d'instruction de campagne" (Feldausbildungs-Bataillone) qui agiront de la même manière pour améliorer le niveau des unités. Ils utilisaient des méthodes d'instruction et d'entraînement aujourd'hui encore parfaitement valables et utilisées par les armées les plus en pointe en matière de réflexion tactique et leurs unités les plus efficaces, forces spéciales notamment (par exemple le procédé du Rehearsal qui a été mis au point par... Les Allemands en 1917-1918).
CEN EMB
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