Pierma a écrit :
J'ai tout de même un peu de mal avec ce débat :
- d'un côté, Alain Michel explique que si 75% des juifs de France ont survécu c'est grâce au refus (au moins jusqu'en 43) de Vichy de livrer des juifs français. Les sauveteurs, la complicité active d'une partie non négligeable de la population, ou au minimum sa volonté de ne pas "voir" les Juifs et finalement le faible taux de dénonciations, Alain Michel ne connaît pas.
Comment osez-vous dire « Alain Michel ne connaît pas » ? Est-ce que vous avez lu l'ouvrage d'Alain Michel ?
L'action de la population et des Eglises n'est pas niée par AM. Elle a contribué (modestement) au résultat observé (75% des Juifs).
Vichy n'est pas le seul artisan de la survie des Juifs en France. Faut-il opposer l'action de sauvetage des Juifs par la population à l'action du gouvernement français ? Selon Michel (2012, p. 337) il ne faut pas raisonner ainsi car « il n'y a pas coupure totale entre d'une part le sauvetage et d'autre part l'action de Vichy.»
Je pense que Michel partage ma conviction que l'action de la population, si elle avait été le seul facteur de protection des Juifs, n'aurait pas permis à soixante-quinze pour cent des personnes visées d'échapper à la mort. La proportion aurait été moindre.
Pierma a écrit :
Même le titre de ce fil, "Comment 75% des Juifs de France ont échappé à la mort" fait disparaître l'épouvantable hécatombe des Juifs étrangers, coincés dans un France devenue un piège mortel, et en but à une "chasse aux rats" sans rémission, puisque Vichy est allé jusqu'à déporter - et là hors de la présence de toute casquette allemande - des Juifs étrangers raflés en zone non occupée, livrés au nazis pour faire nombre, alors qu'ils pouvaient se croire en sécurité, les malheureux.
Le titre du fil n'a pas été choisi au hasard. C'est le sous-titre de l'ouvrage publié par Semelin en 2013.
Persécutions et entraides dans la France occupée. Comment 75% des juifs en France ont échappé à la mort, Les Arènes, Seuil, 2013, 900 p.
Pierma a écrit :
Oui et c'est ce qui me gêne dans le raisonnement d'Alain Michel : en réalité Vichy a bien alimenté la machine à broyer nazie. Que cela donne un répit aux Juifs français, et qu'on débouche au final sur une statistique favorable (tout bonnement parce que les Juifs français étaient largement plus nombreux) ne fait pas d'eux des bienfaiteurs.
Alain Michel n'a jamais dit que Bousquet et Laval étaient des « bienfaiteurs ». L'ouvrage d'AM est sous-titré "enquête sur le paradoxe français". Cette idée qu'il existe un paradoxe ne doit pas être négligée.
Pierma a écrit :
Je veux dire qu'on peut faire le constat numérique final, qui est mathématiquement logique, sans y voir un "sauvetage par Vichy de 75% des Juifs de France".
Croyez-vous que le constat numérique final soit mathématiquement logique ? Jacques Semelin (2013) et Alain Michel (2012) sont d'accord sur un point : le ratio de 75% est étonnant. Il est difficile à expliquer. C'est une « énigme française ». Semelin évoque une « multiplicité de facteurs ». La solidarité est un facteur important. Michel considère que l'action du gouvernement français fut déterminante.
Je n'ai pas lu livre le plus récent de JS. J'ai lu celui qui est publié en 2013.
Je cite les deux premiers paragraphe de la quatrième de couverture :
Près de quatre-vingt mille juifs (français et étrangers) demeurant en France en 1940 ont été tués par les nazis durant les années d’Occupation. Cette tragédie est désormais établie et documentée. Leur histoire en appelle cependant une autre, trop peu étudiée par les historiens, et que l’auteur de ce livre prend à bras-le-corps. Puisque environ trois cent trente mille juifs vivaient alors dans notre pays, cela signifie que 75% d’entre eux ont pu échapper à l’extermination. Pour les juifs français, cette proportion avoisine les 90%. Par comparaison, la Belgique n’a compté que 55% de survivants et les Pays-Bas 20%.
Comment comprendre cette singularité du cas français, puisque la volonté nazie de détruire les juifs est partout semblable et que Vichy collabore à leur déportation ? Cette question était encore un « point aveugle » dans l’historiographie de la Shoah. Certains ont même parlé d’une « énigme française ».Le troisième paragraphe met l'accent sur la "solidarité".