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Message Publié : 02 Mai 2019 1:58 
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Grégoire de Tours
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J'ai commencé la lecture de "Les 100 mots de la Shoah" par Tal Bruttmann et Christophe Tarricone dans la collection "Que sais-je ?".

La Shoah occupe une place centrale dans nos sociétés, tant d'un point de vue médiatique que politique ou mémoriel. Il existe pourtant un gouffre entre la manière dont les historiens l’étudient et la manière dont le grand public en parle. L'objectif de ce livre est donc de définir avec la plus grande rigueur scientifique des termes et des notions qui, à bien des égards, sont « piégés ». Par exemple, qui sait que, depuis cinquante ans, les historiens utilisent l’expression « centre de mise à mort » plutôt que « camp d’extermination » ?


Camp d’extermination
Apparue durant la guerre, cette expression a rapidement fait souche. Pourtant, son usage est problématique. Tout d’abord elle est antinomique : accoler le mot « camp » – lieu où sont regroupées durablement des populations – à celui d’« extermination* », supposant une élimination immédiate, procède d’une contradiction. En outre, la notion de camp est impropre pour désigner les sites d’assassinat de masse, dont les structures sont parfois dispersées sur des kilomètres (Chelmno, Auschwitz*…). Quant au mot « extermination », largement utilisé par le pouvoir soviétique pour dénoncer les crimes nazis et dont l’usage s’est répandu, il pose également un problème, reléguant les victimes au rang d’« êtres nuisibles », comme le souligne Raul Hilberg. Ce dernier a proposé l’expression « centre de mise à mort* », qui qualifie plus justement la nature de ces lieux destinés à l’assassinat, au demeurant jamais nommé par les nazis, qu’il s’agisse de ceux de l’opération T4* ou de la « solution finale* ». Évitant ainsi la confusion avec camp de concentration*, autre type d’instrument utilisé par le IIIe Reich, « centre de mise à mort* » est désormais communément utilisé par les historiens.


Centre de mise à mort
Le processus de destruction des Juifs a été réalisé par deux méthodes, que distingue Raul Hilberg : d’une part, les groupes mobiles de tuerie ; d’autre part, les centres de mise à mort. L’apparition de ces sites ne procède pas d’une planification : elle est imputable à plusieurs initiatives durant l’automne 1941, lorsque les politiques antisémites connaissent une radicalisation, les opérations d’assassinat se multipliant à travers les territoires orientaux de l’Europe allemande.
Or, dans les territoires soviétiques, certaines unités des Einsatzgruppen* sont rapidement confrontées à des difficultés logistiques. Plutôt que de dépêcher des unités pour tuer les Juifs sur leur lieu de résidence, ils optent pour une autre méthode : faire affluer les populations juives régionales vers un lieu où elles sont éliminées dès leur arrivée. C’est particulièrement le cas dans les pays Baltes, où plusieurs sites sont ouverts. Parallèlement à Lodz (dans le Warthegau) et dans le Gouvernement général*, les hiérarques nazis locaux, prenant prétexte de déportations* de Juifs vers leurs territoires, lancent, avec l’accord de Hitler* et de Himmler*, des politiques d’élimination de ceux qui sont jugés inaptes au travail. Pour ce faire, Berlin préconise la création de centres d’assassinat identiques à ceux qui ont été utilisés lors de l’opération T4*, dont les victimes ont été tuées dans des chambres à gaz*. Une demi-douzaine de centres de mise à mort fonctionne ainsi avant même le déclenchement de la « solution finale* ». D’autres sont érigés une fois celle-ci débutée. Tous ces sites ont en commun d’être voués à la destruction de populations régionales. Leur emplacement est choisi en raison de la proximité de voies ferroviaires et routières permettant l’acheminement des victimes. Enfin, ils se réduisent à un ensemble sommaire de structures : bâtiments pour les gardes, entrepôts, fosses pour l’enfouissement des victimes, et parfois chambres à gaz*.
D’un point de vue typologique, trois catégories peuvent être distinguées. Les centres de mise à mort improvisés, installés au gré de structures préexistantes, comme Ponar*, le fort IX de Kaunas ou encore Chelmno, dont les structures s’étirent sur une dizaine de kilomètres. Ceux qui sont planifiés, érigés sur la base d’un projet : Belzec* et ses déclinaisons que sont Treblinka* et Sobibor. Enfin, le centre de mise à mort rationalisé, Auschwitz*, le seul à fonctionner sans discontinuer de 1941 à 1944, perfectionné sans cesse en raison d’une spécificité : il est le site auquel est assignée la mission d’assassiner les Juifs d’Europe. Si, en 1942, Auschwitz* est improvisé, les structures du centre de mise à mort s’étalant sur plus de 2 kilomètres avec la Judenrampe (« quai aux Juifs »), les Bunkers (des fermes transformées en chambre à gaz*) et les entrepôts de stockage des biens appartenant aux Juifs, il est planifié à partir de 1943, quand des chambres à gaz* sont construites et couplées à des crématoires. Le fonctionnement est rationalisé jusqu’au printemps 1944, l’ensemble des structures à Birkenau étant concentré dans un périmètre restreint (le quai de débarquement au plus près des quatre « crématoires » et d’un nouveau secteur de stockage et de tri des biens). Si chacun des centres de mise à mort a des spécificités propres, utilisant notamment différentes techniques (gaz d’échappement, Zyklon B, fusillades), tous ont une même finalité : l’assassinat des Juifs. C’est cette finalité – et non la technique par laquelle est réalisé l’assassinat – qui définit le centre de mise à mort.


Auschwitz
La centralité qu’occupe Auschwitz au cœur des représentations touchant tant à la violence concentrationnaire qu’à la Shoah* peut être résumée en deux chiffres : 1,3 million de victimes ont été acheminées là, dont 1,1 million y sont mortes. Pourtant, le site est d’une complexité rare, sans équivalent dans l’Europe nazie, et de multiples politiques s’y entrecroisent en de multiples lieux.
C’est d’abord une ville, au cœur d’un immense projet de développement devant symboliser la reconquête allemande de l’Est. C’est aussi un camp de concentration*, ouvert au printemps 1940 afin de servir à la mise au pas de la population polonaise. Arrimé à la ville, il est un réservoir de main-d’œuvre mis à la disposition des projets de développements, non seulement urbains mais également industriels, le site devant accueillir les fleurons de l’économie allemande. C’est également un centre de mise à mort*, développé en marge du camp de concentration, d’abord destiné aux Juifs de Silésie, puis au printemps 1942 à la destruction des Juifs extérieurs au Lebensraum*.
L’interaction permanente de ces trois axes nourrit la croissance d’Auschwitz, dont les missions se multiplient. Les SS* développent ainsi une zone agricole, créent des centres de recherches agronomiques et médicales, les détenus étant utilisés comme matériau humain. Le KL, instrument de répression antipolonais (au moins 140 000 entre 1940 et 1945, dont la moitié meurt), devient également instrument de la répression antitchèque, camp pour prisonniers de guerre soviétiques ou encore pour les Tsiganes* (23 000, dont 21 000 morts)… Au printemps 1942, un deuxième camp, mis en chantier à la fin de l’année 1941, est ouvert, Birkenau, dont les plans prévoient une capacité de 200 000 détenus. Plus tard, ce sera Monowitz, ou Auschwitz III, dont les 15 000 détenus sont destinés à la Buna, l’immense usine de IG Farben, ainsi qu’une noria de sous-camps couplés à des usines ou à des mines, constituant une véritable constellation. Au total, 200 000 personnes sont acheminées à destination du complexe concentrationnaire, qui ne cesse de grandir.
Mais le KL Auschwitz, à la différence des autres camps de concentration, accueille également en masse une autre catégorie de détenus : les Juifs. En raison des besoins de main-d’œuvre colossaux engendrés par ce site, qui est un chantier permanent, les SS* introduisent une spécificité propre au centre de mise à mort* d’Auschwitz : la « sélection ». Parmi le 1,1 million de Juifs acheminés de toute l’Europe à destination de celui-ci, près de 900 000 sont immédiatement tués. Environ 200 000 sont extraits du processus d’assassinat et, temporairement épargnés, « entrent au camp » auquel ils n’étaient pas initialement destinés, constituant 50 % des effectifs. Cette dimension fait d’Auschwitz un lieu à part dans la « solution finale* » : centre de mise à mort dont le rôle ne cesse de prendre de l’importance, au point de devenir, à partir de l’été 1943, l’épicentre du processus de destruction, il est également, du fait de la « sélection », le lieu d’où quelques dizaines de milliers de Juifs ont survécu.


Belzec
À l’automne 1941, les opérations d’assassinat contre les populations juives se multiplient. Elles sont alors de dimensions régionales, et avec des visées différentes. Si en URSS* l’assassinat est généralisé, ailleurs ce sont des politiques de décimation qui sont à l’œuvre. C’est dans ce cadre que s’inscrit la construction de Belzec. En octobre 1941, les autorités du Gouvernement général*, avec l’accord de Berlin, décident de procéder à l’élimination des Juifs jugés inaptes au travail. Pour ce faire, un centre de mise à mort* est créé à Belzec, village situé sur la ligne ferroviaire reliant Lublin à Lvov. Mais alors que les autres centres de mise à mort, tel Chelmno, créé au même moment, sont organisés autour de structures préexistantes, Belzec fait l’objet d’une planification.
Il est construit dans un périmètre délimité regroupant l’ensemble des structures, réparties dans trois espaces. Le premier est la zone d’arrivée des convois*, avec un bâtiment réservé au déshabillage des déportés, et des entrepôts. Le deuxième, dévolu à l’assassinat, est constitué d’un bâtiment abritant des chambres à gaz* alimentées par un gaz d’échappement produit par un moteur, ainsi que des fosses destinées à recevoir les cadavres des victimes. La troisième partie, quant à elle, est réservée à l’administration SS*. Toutes les opérations se déroulent dans un quadrilatère de 275 mètres de côté.
Commencés en novembre, les travaux s’achèvent en mars 1942. Une dizaine de SS, épaulés par une centaine de gardes ukrainiens ou baltes, font fonctionner le site. Quelques centaines de prisonniers Juifs sont chargés des travaux d’entretien, et doivent vider les chambres à gaz avant d’enfouir les corps. Mais entre-temps, les objectifs nazis se sont transformés : c’est désormais l’assassinat généralisé des Juifs qui doit être réalisé. En conséquence, les capacités homicides des chambres à gaz sont accrues : elles sont portées à un total de 2 000 personnes. En août 1942, Belzec, dans le cadre de l’opération Reinhard*, devient le centre de mise à mort* des Juifs des districts de Galicie et Cracovie et, dans une moindre mesure de Lublin. Lorsque, le 11 décembre 1942, a lieu le dernier gazage, près de 450 000 personnes ont été assassinées à Belzec. Dès lors, seule y est menée la crémation des corps, commencée quelque temps auparavant. Elle s’achève à l’été 1943 et le site est alors démantelé et arasé. Une ferme y est installée. On ne compte qu’une poignée d’évadés de Belzec, dont la plupart n’ont pas survécu à la guerre.


Treblinka
Des trois centres de mise à mort* planifiés de l’aktion Reinhard*, Treblinka est le plus important par la mission qui lui est assignée : la destruction des Juifs des districts de Varsovie* et de Radom. Mis en chantier en avril 1942, le site reçoit le 23 juillet les premiers convois* du ghetto* de Varsovie. À la mi-septembre, 350 000 personnes ont été assassinées et, à la fin de 1942, plus de 700 000. Si l’assassinat se poursuit en 1943 – notamment avec près de 100 000 Juifs du district Bialystok –, le site accusant un bilan de 900 000 victimes, l’essentiel de l’activité y est consacré à l’exhumation et à la crémation des corps, jusque-là enfouis. Les détenus juifs maintenus en vie auxquels est confiée cette tâche se révoltent le 2 août 1943. Quelque 300 hommes réussissent alors à fuir, mais seule une soixantaine survit jusqu’à la fin de la guerre, les autres étant tués par les SS* ou parfois par des Polonais. Dès 1944, le témoignage* de l’un de ces rescapés, Yankiel Wiernik, est publié clandestinement en Pologne*, puis aux États-Unis.


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Message Publié : 02 Mai 2019 2:43 
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Grégoire de Tours
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Jerôme a écrit :
On peut dire aussi que le nom d'Auschwitz a rejeté dans l'ombre d'autres camps, Treblinka, par exemple.


C'est vrai, le nom d'Auschwitz a rejeté dans l'ombre d'autres camps et d'autres « centres de mise à mort ». Sur le forum on peut apporter des précisions sur les autres camps et montrer leur importance dans l'histoire de l'Holocauste.


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Message Publié : 02 Mai 2019 5:41 
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Salluste
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On peut finasser sans limite sur la terminologie. Personnellement je reste assez hermétique aux arguments de T Bruttmann.
Au contraire la violence du terme "extermination" me semble intéressante pour rendre la réalité de ces crimes de masse. Il est de bon ton d'édulcorer. Et puis il reste aussi les cas mixtes comme le Struthof, camp de mise à mort ou d'extermination par le travail.
JD


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Message Publié : 02 Mai 2019 15:01 
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JARDIN DAVID a écrit :
Au contraire la violence du terme "extermination" me semble intéressante pour rendre la réalité de ces crimes de masse.

+1. Je souscris à cette opinion. Le mot est fort. Et ce n'est sans doute pas par hasard que le grand public, qui a compris ce qu'a été le projet nazi pour les Juifs, l'a adopté. Et je trouve que c'est une bonne chose.
De même le fait que le grand public ait surtout retenu Auschwitz ne me choque pas : c'est le pire abattoir humain qu'aient conçu les nazis, et si dans 50 ans ou 100 ans ce nom est encore dans les mémoires, l'essentiel de la compréhension du phénomène génocidaire nazi sera conservé.

Citer :
Il est de bon ton d'édulcorer.

De qui parlez-vous ? Pour qui est-ce de bon ton ?
(à part bien sûr les négagas, mais ceux là font plus qu'édulcorer : ils nient !)

Citer :
Et puis il reste aussi les cas mixtes comme le Struthof, camp de mise à mort ou d'extermination par le travail.
JD

Donc camp de mise à mort (des Juifs de France y ont été exterminés) ET camp d'extermination par le travail ?

Non vraiment j'ai du mal avec ce terme de "centre de mise à mort", parce que rien n'indique qu'il désigne un projet génocidaire. De plus là vous logez spontanément le mot "extermination", par le travail, certes, ce qui désigne les déportés résistants, mais du coup l'extermination a changé de cible !

Cet ergotage sur les termes est contre-productif, il introduit un mot banal ("centre de mise à mort" ? Si on devait lister tous ceux qui ont existé dans le monde au 20e siècle on n'en finirait pas.) à la place d'un mot chargé d'une signification claire.

Et là où ça devient fou, c'est là :
Citer :
il pose également un problème, reléguant les victimes au rang d’« êtres nuisibles », comme le souligne Raul Hilberg

C'est quoi, cette absurdité ? Les Juifs ont peur d'être considérés comme des êtres nuisibles ?
Si je suis bien, Hilberg craint que dans l'avenir ce terme pousse à justifier le génocide en donnant une image parasitaire des Juifs ? Là vraiment... D'une part je trouve qu'il devrait commencer par se calmer (tout va bien, Hitler est mort...) et surtout dans l'esprit du grand public c'est exactement le contraire qui se produit : le grand public a COMPRIS !

Et ces deux historiens qui affirment que TOUS les historiens utilisent désormais le terme de "centre de mise à mort"... Nous avons pas mal d'historiens sur Passion-Histoire, il y en a sur des forums spécialisés sur la SGM (le beige et le vert, typiquement) nous sommes nombreux à avoir pas mal lu sur ce sujet... Chacun réagira, mais pour ma part c'est la première fois que je tombe sur ce terme.

Bref ça me parait une fausse bonne idée. Contre-productive, je le redis.

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Message Publié : 02 Mai 2019 19:30 
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Verbiage "cosmétique" que tout ceci - qui fait faussement croire que la "recherche" avance.
Birkenau est aussi un "camp", qu'on le veuille ou non (rien que pour le transit minimum), qui assassine en masse.
Au passage, leur "définition" est contredite... par eux-mêmes... :-|

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Message Publié : 02 Mai 2019 21:24 
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Dans le cadre de la shoah, camps d'extermination et camps de concentration étaient tous les 2 des centres de mise à mort:
-mort immédiate dans les camps d'extermination,
-mort différée dans les camps de concentration.


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Message Publié : 03 Mai 2019 3:15 
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makno a écrit :
-mort différée dans les camps de concentration.

Je ne suis pas spécialiste, mais je pense que les Juifs n'étaient que rarement envoyés en camp de concentration, si ce n'est pour constituer la main d'oeuvre pour les différents besoins associés à un camp d'extermination. (Ce qui allait très au delà des Sonderkommandos. Je pense à l'évasion massive de Sobibor, où les Juifs du camp, mélangés à des prisonniers de guerre soviétiques, ont trouvé là l'aide de soldats expérimentés. Curieux mélange, mais la logistique du camp - habillement, ravitaillement, tri des effets pris sur les Juifs passant à la chambre à gaz, services divers aux SS - demandait des bras.)

Un autre exemple est donné plus haut, là où on l'attendrait le moins : à Auschwitz ! (Et donc la "mort différée" peut parfois laisser une chance, du même ordre que les KL destinés aux non Juifs. Mais celui-là figure malgré tout dans les plus durs, si on regarde le taux de survivants.)
Citer :
Mais le KL Auschwitz, à la différence des autres camps de concentration, accueille également en masse une autre catégorie de détenus : les Juifs. En raison des besoins de main-d’œuvre colossaux engendrés par ce site, qui est un chantier permanent, les SS* introduisent une spécificité propre au centre de mise à mort* d’Auschwitz : la « sélection ». Parmi le 1,1 million de Juifs acheminés de toute l’Europe à destination de celui-ci, près de 900 000 sont immédiatement tués. Environ 200 000 sont extraits du processus d’assassinat et, temporairement épargnés, « entrent au camp » auquel ils n’étaient pas initialement destinés, constituant 50 % des effectifs. Cette dimension fait d’Auschwitz un lieu à part dans la « solution finale* » : centre de mise à mort dont le rôle ne cesse de prendre de l’importance, au point de devenir, à partir de l’été 1943, l’épicentre du processus de destruction, il est également, du fait de la « sélection », le lieu d’où quelques dizaines de milliers de Juifs ont survécu.

Ce qui donne une moyenne de 18% de Juifs épargnés temporairement au moment de la sélection, mais on a vu que ça variait en permanence et pouvait même tomber pratiquement à zéro...

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Message Publié : 03 Mai 2019 8:51 
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Donc, c'est aussi un "camp de concentration"... CQFD.
:mrgreen:

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Message Publié : 06 Mai 2019 18:08 
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Grégoire de Tours
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Darwin1859 a écrit :
Jerôme a écrit :
On peut dire aussi que le nom d Auschwitz a rejeté dans l'ombre d'autres camps


Plus connu, oui, mais pour autant la formule "rejeté dans l'ombre" n'est sans doute pas exacte, pour qui est allé jusqu'au bac, notamment pour ce qui est des camps de concentration. Les noms évoquent quelque chose: Dachau, Buchenwald, ceux évoqués de Treblinka, etc, sont devenus autant de noms communs évocateurs. Auschwitz a la particularité d'être conservé, donc visité et photographié régulièrement.

Un mot sur la distinction camp d'extermination (Vernichtungslager, aussi appelés "camps de la mort" , Todeslager, dénomination des nazis), et camp de concentration (Konzentrationslager). La deuxième dénomination est un euphémisme voulu à l'époque, que certains pourraient encore mal interpréter de nos jours. Sans un minimum de culture et de bon sens, ils pourraient s'imaginer qu'il n'y a pas eu volonté d'exterminer les prisonniers des camps de concentration.

Quelle est la différence principale entre les "camps de concentration" et les "camps d'extermination" ? A partir de quelle date? A partir de combien de morts? A partir de combien de jours de survie en moyenne? Est-ce le mode d'exécution? Ce n'est pas une question de conception liée à la date, puisque pour revenir à la conférence de Wannsee, elle a lieu le 20 janvier 1942. Auschwitz, "camp d'extermination", a été construit en 1940, et les premiers assassinats en masse par chambre à gaz y ont été perpétrés en septembre 1941, soit avant Wannsee. Alors faut-il suivre la dénomination nazie "officielle" accolée à chaque établissement?

C'est aussi la question que se sont posés les juges de Nuremberg. A la libération des camps de concentration, la découverte effrayante par les soviétiques et les américains des corps affamés, des montagnes de cadavres morts d'épuisement, de coups, de torture, de maladie, d'exécution par balle, pendaison ou autre, et la découverte des fours crématoires, ont montré une machine de mort bien huilée. Ce sont plus de cent mille morts à Mauthausen. A partir de la "Solution finale", et même avant, beaucoup de camps pouvaient recevoir les deux dénominations. De facto, les juges de Nuremberg étaient perplexes quand aux deux termes, et les ont trouvés peu clairs. Ils ont donc posé la question aux intendants. Par exemple, ils ont demandé à Dieter Wisliceny, officier supérieur SS travaillant pour Eichmann, de nommer des camps d'extermination. Il a nommé Auschwitz et Majdanek. On lui a demandé ensuite, logiquement, alors "comment classez-vous les camps de Mauthausen, Dachau, et Buchenwald?", et il répond "C'étaient des camps de concentration normaux, du point de vue de notre administration." Il faut se représenter la "normalité" dont il parlait.

Merci Darwin d'avoir apporté cette importante contribution.



Darwin1859 a écrit :
Un mot sur la distinction camp d'extermination (Vernichtungslager, aussi appelés "camps de la mort" , Todeslager, dénomination des nazis), et camp de concentration (Konzentrationslager). La deuxième dénomination est un euphémisme voulu à l'époque, que certains pourraient encore mal interpréter de nos jours. Sans un minimum de culture et de bon sens, ils pourraient s'imaginer qu'il n'y a pas eu volonté d'exterminer les prisonniers des camps de concentration.

Sans un minimum de culture et de bon sens, ils pourraient s'imaginer qu'il n'y a pas eu volonté d'exterminer les prisonniers des camps de concentration.
Ils n'auraient pas tort, à mon humble avis, d'imaginer qu'il n'y a pas eu volonté d'exterminer les prisonniers des camps de concentration. Dans ces camps le taux de survie des prisonniers n'était pas négligeable. Pour réaliser ce que Raoul Hilber a nommé "la destruction des Juifs d'Europe" les nazis ont eu recours à des dispositifs qui ne sont pas des KL. Permettez-moi de citer un passage du petit livre "Les 100 mots de la Shoah" par Tal Bruttmann et Christophe Tarricone :
"Si le système concentrationnaire nazi a servi à de multiples politiques répressives, les plus meurtrières se déroulent en dehors de celui-ci, notamment les politiques d’assassinat. Ainsi, en ce qui concerne les Juifs, le système concentrationnaire ne joue qu’un rôle à la marge. Hormis de rares exceptions (comme lors du pogrom* du 9 novembre 1938), le sort des Juifs, au gré des politiques nazies, relève d’autres mécanismes. La seule exception réside dans le système qui prévaut à Auschwitz*, où, du fait des besoins en main-d’œuvre*, une « sélection » injecte dans le camp de concentration certains des Juifs acheminés à destination des centres de mise à mort*. C’est pourquoi Auschwitz* est le lieu par où les Juifs, dans l’immense majorité des cas, sont entrés dans le système concentrationnaire (environ 200 000 personnes). Ceux qui sont encore en vie, lorsque à l’été 1944, face à l’avancée de l’Armée rouge, débutent les transferts massifs vers d’autres camps, se retrouvent répartis dans l’ensemble du système concentrationnaire où ils seront, pour les survivants, découverts par les Alliés*. C’est à partir de cette découverte que s’est ancrée, au sortir de la guerre, la représentation liant les Juifs au système concentrationnaire."


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Message Publié : 06 Mai 2019 18:15 
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Grégoire de Tours
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makno a écrit :
Dans le cadre de la shoah, camps d'extermination et camps de concentration étaient tous les 2 des centres de mise à mort:

Attention à ne pas banaliser les camps d'extermination.
En minimisant la différence entre les camps de concentration (KL) et les camps d'extermination, on risque de banaliser ces derniers.



makno a écrit :
-mort différée dans les camps de concentration

Dans ces camps le taux de survie des prisonniers n'était pas négligeable.


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Message Publié : 06 Mai 2019 18:58 
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Arkoline a écrit :
makno a écrit :
-mort différée dans les camps de concentration

Dans ces camps le taux de survie des prisonniers n'était pas négligeable.

Oui, on est souvent surpris de trouver parmi les survivants des déportés (français, par exemple) courant 43, et même avant - qui ont tenu jusqu'à la libération.

(mais il peut y avoir eu aussi des Arbeitskommando dans certaines usines, même si l'on y crevait de faim, où le fait d'être abrité du froid, et avec une cadence "normale" fixée pour la production - à laquelle participaient aussi des ouvriers, et plus souvent des ouvrières allemand(e)s - qui augmentaient les chances de survie.

Je me souviens avoir lu un texte (proposé au Bac) de Robert Anselme, où il raconte l'espérance suscitée chez lui par le geste d'une ouvrière allemande qui lui a passé très discrètement une tranche de pain. (C'était évidemment interdit...)

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Message Publié : 06 Mai 2019 20:49 
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L'espérance de vie dépendait pour beaucoup de la nationalité. Des "aryens" ont passés plusieurs années en camps à Dachau par exemple. Il me semble que parmis les triangles verts allemands, le taux de mortalité était très bas... de l'autre côté de la hiérarchie raciale nazie, les Juifs et surtout les prisonniers de guerre soviétiques avaient une espérance de vie beaucoup plus courte.

Les détenus juifs décédés en camps de concentration ne représentent pas la majorité des victimes de la shoah et par nature la majorité des survivants de ceux qui tombèrententre les mains des nazis se trouvaient dans les camps de concentrations
Citer :
Ainsi, selon l’historien américain Raul Hilberg, 5 100 000 victimes juives sont mortes durant la Shoah. Il affine son calcul en détaillant comme suit la répartition des victimes :

Morts dans les ghettos : 800 000
Morts par exécutions (Einsatzgruppen) : 1 300 000
Morts dans les camps d’extermination : 2 700 000
Morts dans les camps de concentration : 300 000


Néanmoins, les camps de concentration furent un acteur de la Shoah, dans le cadre de l'extermination par le travail, et prévu comme tel à Wannsee:
Citer :
Au cours de la solution finale, les Juifs de l'est devront être mobilisés pour le travail avec l'encadrement voulu. En grandes colonnes de travailleurs, séparés par sexe, les Juifs aptes au travail seront amenés à construire des routes dans ces territoires, ce qui sans doute permettra une diminution naturelle substantielle de leur nombre.

Pour finir, il faudra appliquer un traitement approprié à la totalité de ceux qui resteront, car il s'agira évidemment des éléments les plus résistants, puisqu'issus d'une sélection naturelle, et qui seraient susceptibles d'être le germe d'une nouvelle souche juive, pour peu qu'on les laisse en liberté (voir l'expérience de l'histoire).


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Message Publié : 06 Mai 2019 21:22 
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Grégoire de Tours

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Arkoline a écrit :
il n'y a pas eu volonté d'exterminer les prisonniers des camps de concentration


Là nous avons un désaccord fondamental. Quel en était le but à terme, selon la thèse opposée? (Prison à vie, de bonnes conditions, libération à terme?) Les nazis ont simplement intensifié les moyens. Le passage du livre "Les 100 mots de la Shoah" de Tal Bruttmann et Christophe Tarricone n'infirme en rien ce fait. Par contre, l'univers concentrationnaire et le programme d'Hitler, apportent une confirmation éclatante que la mise à mort à plus ou moins court terme des juifs était le but recherché par l'internement en camp. Seuls les moyens ont varié (trains de déportations qui étaient aussi des trains de mise à mort par le froid notamment, divers modus operandi...)

Arkoline a écrit :
Attention à ne pas banaliser les camps d'extermination. En minimisant la différence entre les camps de concentration (KL) et les camps d'extermination, on risque de banaliser ces derniers


Evidemment cela retourne votre proposition: attention à ne pas banaliser les camps de concentration et ce qui s'y passait.

Il y avait bien une volonté de faire mourir les internés des camps de concentration, rapidement ou lentement, et effectivement on mourrait aussi en masse dans ces camps, et pas de manière "accidentelle". La dénutrition et les traitements réservés aux internés n'étaient pas des accidents, mais voulus et planifiés. D'autre part, la distinction est souvent spécieuse, les camps servant à la fois les deux fonctions, et, elle est basée sur une nomenclature allemande, dont on peut soupçonner l'hypocrisie de base (c'est un doux euphémisme). S'il y a une distinction, certes, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'intention de faire mourir les internés des camps de concentration.

Vous mentionnez un autre critère, les taux de survie, soit. Quels sont-ils? Je n'ai vu que des tableaux en nombre absolu de morts. A partir de quel taux de survie passe-t-on de l'un à l'autre?

Arkoline a écrit :
Raoul Hilber a nommé "la destruction des Juifs d'Europe"

Note: Raul Hilberg...

_________________
Image message du Loire au Dalgonar, oct. 1913


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Message Publié : 06 Mai 2019 21:50 
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Darwin1859 a écrit :
Evidemment cela retourne votre proposition: attention à ne pas banaliser les camps de concentration et ce qui s'y passait.

Quelqu'un oserait-il me soupçonner de banaliser les KL créés par les nazis ?



Darwin1859 a écrit :
Par contre, l'univers concentrationnaire et le programme d'Hitler, apportent une confirmation éclatante que la mise à mort à plus ou moins court terme des juifs était le but recherché par l'internement en camp. Seuls les moyens ont varié (trains de déportations qui étaient aussi des trains de mise à mort par le froid notamment, divers modus operandi...)

Vous avez peut-être lu ce message de Pierma : Je ne suis pas spécialiste, mais je pense que les Juifs n'étaient que rarement envoyés en camp de concentration, si ce n'est pour constituer la main d'oeuvre pour les différents besoins associés à un camp d'extermination.

Je comprends et j'approuve le post de Pierma.


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Message Publié : 06 Mai 2019 21:55 
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Darwin1859 a écrit :
Arkoline a écrit :
Raoul Hilber a nommé "la destruction des Juifs d'Europe"

Note: Raul Hilberg...


Dans la précipitation j'ai bousillé le nom de l'auteur de "la destruction des Juifs d'Europe".
Mais vous avez raison de penser que l'on ne doit pas agir dans la précipitation. Je ferai attention dorénavant.


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