Jerôme a écrit :
Weygand est l'une des rares personnalités courageuses qu'on trouve du côté de Vichy. Clairement hostile à l'Allemagne, il a pourtant fait l'objet d'un traitement constamment défavorable par De Gaulle après guerre. Pourquoi ?
J'ai rencontré deux explications possibles de cette rancune du Général : Weygand aurait été un ardent partisan de l'armistice en juin 1940. Ou bien Weygand aurait eu une attitude très ferme et un peu mesquine face à la "dissidence" gaulliste de 1940 à 1942. Il aurait notamment traité de Gaulle d' "ex colonel" !
Ces hypothèses sont elles fondées ? En existe-t-il d'autres ?
Je ne vois pas sur quoi vous vous fondez pour estimer que Weygand était l'une des rares personnalités courageuses du côté de Vichy, voire une des rares personnalités hostiles à l'Allemagne.
Il y en a eu un paquet d'autres, ce qui ne les a pas empêchées de commettre une faute politique fatale en s'engageant, avec le régime de Vichy, dans la politique de collaboration qu'on connaît.
Ceci dit, sur la question que vous soulevez, il me semble qu'au delà de la différence de génération, d'avancement dans la carrière et donc de prestige entre Weygand et de Gaulle en mai-juin 1940, la différence fondamentale était que l'un, Weygand, était avant tout un militaire, alors que chez de Gaulle le politique l'emportait déjà sur le militaire.
Et si on se place au moment de l'effondrement militaire français, ou plus précisément à partir du retour de Weygand succédant à Gamelin le 19 mai 1940, Weygand voyait avant tout la situation militaire immédiate et voulait la gérer militairement à court terme. Et il semble que ce soit la capitulation belge du 28 mai puis le refus pour britannique, le 5 juin 1940, d'employer le gros de la RAF à l'appui des forces françaises qui fait de Weygand un partisan irrévocable de l'armistice.
Je tempère un peu mon propos sur Weygand avant tout militaire puisqu'il y avait aussi ses considérations, très politiques, sur la volonté politico-corporatiste d'une partie de l'état-major que ce soit le pouvoir politique civil et non pas la hiérarchie militaire qui endosse la responsabilité de la défaite.
De Gaulle, lui, est avant tout politique. Il pense déjà le conflit en politique, comme en atteste le compte-rendu de l'entretien entre lui, alors sous-secrétaire d'Etat à la guerre, et Weygand le 6 juin 1940 (cf. les mémoires de guerre) :
"- Weygand :"
Vous le voyez, dit-il, je ne m'étais pas trompé quand je vous ai annoncé, il y a quelques jours, que les Allemands attaqueraient sur la Somme le 6 juin. Ils attaquent en effet. En ce moment, ils passent la rivière, je ne puis les en empêcher."
- De Gaulle : "
Soit ! ils passent la Somme et après ?"
- Weygand : Après ? c'est la Seine et la Marne.
- De Gaulle : Oui et après ?
- Weygand : "Après ? mais c'est fini !"
- De Gaulle : "Comment fini ! et le monde ? et l'Empire ?"
- Weygand : "L'empire ? Mais c'est de l'enfantillage ! Quant au monde, lorsque j'aurai été battu ici, l'Angleterre n'attendra pas huit jours pour négocier avec le Reich. Ah ! si j'étais sûr que les Allemands me laisseraient les forces nécessaires pour maintenir l'ordre…"
De Gaulle fait déjà une lecture mondiale du conflit et estime déjà que la supériorité fondamentale des alliés va les conduire à poursuivre la lutte et à gagner.
Weygand n'a pas la vista de de Gaulle. Il ne voit pas plus loin que les semaines à venir, se méprend complètement sur les intentions britanniques, et son souci politique c'est de maintenir l'ordre dans une France vaincue et occupée par l'Allemagne.
Quant à l'absence de magnanimité de de Gaulle envers Weygand, elle est assez logique compte tenu que Weygand a pris le parti de la cessation des hostilités avant Pétain, qu'il a maintenu son hostilité à de Gaulle très longtemps pendant la guerre. De Gaulle n'en reconnaitra pas moins que Weygand avait raison sur la situation militaire française et que les options françaises de poursuite du combat outre-mer étaient irréalistes. Irréalistes militairement, certes, mais politiquement indispensables eu égard à l'analyse pertinente que de Gaulle faisait du conflit contre l'Allemagne.
Et n'oublions pas non plus que Weygand ne s'est pas non plus embarrassé de formes vis-à-vis de de Gaulle, à propos duquel il déclara à un moment en 1941 : "de Gaulle ? 12 balles dans la peau."