Barbetorte a écrit :
La seconde porte sur l’absence de réaction de la chasse japonaise alors que les deux raids sur Hiroshima et Nagasaki avaient été détectés cinq heures avant les frappes par l’écoute de communications radio. Le second sur Nagasaki, dont les écoutes étaient analogues à ceux du premier, auraient logiquement dû provoquer une tentative d’interception. Je ne sais qu’en penser.
A l'altitude où passent les raids de B29, de l'ordre de 9 à 10 000 m - l'appareil est pressurisé - il n'y a pratiquement jamais d'intervention en nombre de la chasse nippone. (Je ne sais plus quel est le plus récent intercepteur japonais, qui atteint pratiquement les performances de la chasse américaine de protection, mais il n'est disponible qu'au compte-goutte, et de toute façon à la limite de son plafond. Sans parler des terrains japonais, qui sont surveillés et bombardés au moindre signe d'activité. Je ne suis même pas certain que les raids de B29 soient escortés, surtout les derniers. Peu avant le 6 août, on peut penser que les terrains japonais à distance proche des 4 villes cibles sont spécialement "soignés".) Les pertes sont faibles, contrairement à ce qui s'est passé en Europe, et comportent une part importante d'accidents de toutes sortes. La distance, depuis Saïpan, est peut-être l'ennemi le plus dangereux, spécialement pour un appareil endommagé.
L'Enola Gay a décollé de Tinian, qui est plus proche, mais ça reste un raid longue distance. (j'ignore si des pistes plus proches sont déjà opérationnelles pour les B29, à Iwo Jima sans aucun doute - ne serait ce que comme terrain d'urgence - à Okinawa très probablement, mais la priorité dans ces iles proches du Japon est de protéger la flotte et d'appuyer les actions de l'aéronavale contre le Japon ou contre l'aviation japonaise, qui ne se manifeste plus guère que sous forme de sorties kamikazes. Déménager les B29 - j'ignore si c'est prévu dans l'optique de l'invasion du Japon - est de toute façon une grosse opération logistique, et rien ne presse. Les avions des raids nucléaires opèrent donc de leur terrain habituel, c'est une routine qui fonctionne, inutile, et même potentiellement source d'incidents, de bousculer toute leur organisation.)
Les écoutes radio restent le seul moyen de détection longue distance pour la défense japonaise, mais que peuvent-ils en tirer ? Les opérateurs s'expriment en mots codés, spécialement le nom de l'objectif. En gros, ça leur donne l'info qu'un raid est en préparation, et sans doute une évaluation approximative du nombre d'avion, parce qu'on peut penser, au pire, que les contrôleurs, ou les avions qui mettent un temps fou à se former en "box", ne se gênent pas pour se donner des consignes. (C'est contraire à toute règle de discrétion, mais admettons.)
L'objectif, inconnu, commence à apparaître dans les messages radio échangés par les bombardiers en approche - du genre "objectif en approche", les Japonais doivent connaître au moins cette phrase-code là - et par la détection radar s'il en reste, mais comme les raids peuvent aborder les iles à peu près sous n'importe quel angle, même leur direction de vol ne constitue qu'un indice tardif.
Dans ces conditions, le raid sur Hiroshima, même s'il est détecté par radio, n'apparait même pas comme un raid : avec quelques bombardiers, il doit s'agir de reconnaissance, ou d'une évaluation de dégâts - ailleurs - sur un raid des jours précédents. On ne va pas sortir les quelques chasseurs qui restent pour aller chercher une aiguille dans une botte de foin. Rappelez-vous que le B29 de reconnaissance chargé de regarder les conditions météo sur l'objectif ne signale aucune activité aérienne japonaise.
Autre signe de l'impunité totale dont les Américains savent pouvoir profiter : il n'y a pas d'escorte de chasse, même à distance et pour couvrir les terrains japonais actifs, s'il en reste. (J'imagine que l'idée a été envisagée, mais la contrainte majeur de ce raid est le secret sur ses possibilités. Faire évoluer quelques dizaines ou centaines d'avions dans des secteurs proches, avec la consigne de se retirer au plus vite, sur une direction de fuite pré-établie, dès que la consigne est donnée, tout cela n'est pas très discret et revient à expliquer d'avance le problème posé à tous ces pilotes. Garder le secret dans ces conditions... Mais le fait est que la chasse n'est pas nécessaire.)
Peu importe donc ce que les contrôleurs radio japonais ont entendu et (éventuellement) ce que leurs radars ont vu, le fait est qu'aucune interception n'a été tentée, et que les Américains la tenaient avec raison pour très improbable.
La différence, pour Nagasaki, est que les Japonais savent que la bombe atomique existe. Mais tout d'abord cela ne change rien à leur situation aérienne, et surtout, on peut se demander, trois jours après Hiroshima, QUI exactement, d'abord a compris qu'il s'agissait d'une bombe unique - les militaires, après enquête et après avoir interrogé nombre de survivants, en ont certainement acquis la certitude au niveau de l'Etat-Major impérial - ensuite à quel niveau cette information, perçue justement comme démoralisante, a été diffusée. Ajoutons à cela que même si les chefs de la chasse japonaise ont été avertis, de même que leur veille aérienne - ce que je considère comme improbable - on peut se demander quelle image ils se font de la chose et de ses conditions d'emploi. Une TRES grosse bombe ? Mais grosse comment ?
En tous cas, il n'y a pas davantage d'activité aérienne japonaise le 9 août. D'ailleurs le raid commence par se diriger vers une autre ville (Kokura ?) mais la couverture nuageuse amène à le dérouter vers Nagasaki, qui n'est que partiellement couverte. Ce contretemps ne fera pas bouger un seul avion japonais. Je dirais que là aussi le risque d'interception était nul.