La question a été traitée de façon historiographique par Nicolas Patin, un extrait :
Citer :
Goebbels résumait la situation du parti et des Allemands de la manière suivante : il n’y avait plus aucun choix possible, puisque le régime et le peuple avaient “brûlé les vaisseaux” .
“J’espère la fin dans l’horreur plutôt qu’une horreur sans fin” .
Or cette idée est centrale, et permet de comprendre l’articulation entre les deux œuvres de Kershaw, la première et la dernière, et celle de Fritzsche. Entre 1933 et 1939, le régime génère une adhésion certaine, bien qu’il soit impossible de la quantifier rigoureusement. Elle s’explique par une politique d’unification intérieure, de redistribution des biens juifs, et par une remise en cause, en politique extérieure, du traité de Versailles. Dans le même temps, Kershaw le soulignait il y a trente ans, de nombreuses classes sociales – totalement absente de l’analyse de Fritzsche – n’éprouvaient envers le régime qu’une indifférence, parfois mâtinée de pessimisme.
Entre 1941 et 1945, la peur de l’aventurisme hitlérien après l’attaque de l’URSS a cédé la place à un franc rejet des échecs du régime. Mais ce franc rejet n’a plus de véhicule, car l’impasse dans lequel le régime a jeté le pays est une impasse commune. Dans les deux livres, on trouve une idée intéressante : les Allemands, confrontés plus qu’aucun autre pays aux bombardements aériens, terreur venue du ciel, sont nombreux à penser que cette catastrophe n’est que le revers de la barbarie qu’ils ont eux-mêmes développé envers les autres pays, et particulièrement envers les Juifs . Même si cette idée se teinte parfois d’antisémitisme – les Juifs dominent les puissances alliées et veulent se venger – elle exprime un sentiment intéressant de culpabilité et d’expiation. Cette idée a-t-elle joué un rôle dans la cohésion entre le peuple et son régime ? Là n’est pas l’intérêt de cette question.
Car ce que montre cette culpabilité, c’est l’influence de la période négligée par les deux auteurs, cette période qui court de 1939 à l’opération Barbarossa, qui représente l’apogée de la politique impérialiste allemande et de la persécution des Juifs. C’est dans cette période cruciale qu’une grande partie de l’opinion allemande bascula d’une adhésion teintée d’indifférence à un enthousiasme transgressif : les Allemands applaudirent alors une politique clairement impérialiste, notamment lors de l’invasion de la France, en 1940, qui n’avait plus rien à voir avec une quelconque défense des minorités germaniques extérieures au Reich. Les Juifs, avant d’être déportés et de disparaître du quotidien des Allemands bombardés, ne “furent jamais si visibles” ((Fritzsche, page 239). Là aussi, en participant aux ventes aux enchères des biens juifs, les Allemands suivaient la politique intérieur du régime dans la transgression((Fritzsche, à ce sujet, cite Frank Bajohr, sur les moments de déportations comme transgression (page 258).)), tout comme ils applaudissaient aux victoires d’une invasion agressive en politique extérieure. “Du point de vue psychologique, c’est durant cette période que les attentes furent suscitées, sans lesquelles il est impossible d’expliquer raisonnablement le comportement, ou plutôt, l’endurance des Allemands dans la deuxième partie du conflit”, écrit l’historien Norbert Frei . Ici se joue le moment crucial : une grande partie du peuple allemand adhère au projet impérial et racial du régime, tant que celui pourvoit des avantages, en termes de dignité nationale et de bien-être individuel . Comme le résume Peter Fritzsche, “Hitler [fut] accusé d’avoir perdu la guerre, pas de l’avoir commencée” .
Cette absence de réflexion sur ces années de transgression commune, qui unirent Allemands et nazis, conduisit le peuple allemand, une fois la catastrophe consommée, à oublier totalement cette période d’exaltation largement partagée, au profit des années de destruction, 1944-1945, qui lui permettaient de se déculpabiliser en se représentant comme une victime de la terreur, ou d’un fantasmé envoûtement nazi
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