Je vous fais part d'un épisode qui se situe en 1941, où la politique extérieure française n'est pas encore complètement tranchée : la tentative du général Groussard. Je mets le texte entier du passage sur cet épisode du chapitre 10,
La politique de collaboration jusqu'à la fin de 1941, de l'ouvrage classique de
Jean-Baptiste Duroselle,
La politique étrangère de la France. l'Abîme, 1939-1944, Points Seuil H138, pp. 357-359 :
L'HOMMECiter :
Pourtant il existe une dernière tentative directe qui se situe en juin-juillet 1941, mais avait été combinée bien avant cette date. Elle est beaucoup plus limitée, car elle émane d'un groupe de ministres, avec un appui incertain du Maréchal, et non de tout le gouvernement de Vichy.
L'initiateur fut le général Georges Grouchard. Chef d'État-Major du général Dentz, commandant de la région de Paris, avant la défaite, il put se rendre à Vichy en juillet 1940. L'idée lui vint aussitôt de forger des «noyaux de résistance». Il était l'ami d'Alibert et du premier ministre des Colonies, Lémery. Il entra en relations avec Charles Fourcaud, déjà au service de Londres, et retrouva son ami Loustaunau-Lacau. Quand Huntziger devint Minsitre de la Guerre, il alla le trouver dès le 8 septembre. tous deux faisaient partie de l'infanterie coloniale. Le chef d'État-major Huntziger, le colonel puis général Lacaille, l'appuya, ainsi que Peyrouton, ministre de l'Intérieur.
Nommé «Inspecteur général des Services de Sûreté nationale», il créa une véritable policé parallèle, le Centres d'Études et d'Information, omposé principalement d'anciens membres de ce qu'on appelait la Cagoule, dont il n'avait d'ailleurs pas fait partie. Ses «groupes de protection» ou GP jouèrent un rôle dans l'arrestation de Laval. Mais celle-ci, par la fureur qu'elle causa du côté allemand, incita Peyrouton à la prudence, et le CIE fut dissous.
SON OBJECTIFCiter :
Groussard décida alors d'aller en Grande-Bretagne, dans le but :
-1° d'établir des liens solides avec les Anglais
- 2° d'unifier les premiers éléments de la résistance sous l'autorité du Service de Renseignement (SR), dont il deviendrait le chef occulte (au moins
pour l'Armée et l'Air);
- 3° d'essayer de gagner de Gaulle à ses idées.
Il négocia tous ces points avec Huntziger- plus réservé que lui sur les contacts Vichy-De Gaulle, mais qui souhaitait ardemment les contacts
Vichy-Angleterre. Peyrouton, Alibert (ministre jusqu'en février), le docteur Ménétrel soutenaient ces projets. Darlan, qui croyait à la
victoire allemande, fut tenu soigneusement à l'écart.
SA TENTATIVECiter :
Le départ fut retardé de deux mois, car Loustaunau-Lacau, fondateur du futur réseau Alliance, ne réussit pas à mettre au point une
liaison aérienne. Muni d'un faux-Passeport Groussard partit finalement le 12 juin, via l'ESpagne et le Portugal, et arriva à Londres le 14.
Il sera de retour à Vichy le 5 juillet. On notera que ce séjour eut lieu en pleine guerre de Syrie.
A Londres, il fut accueilli par Passy -signe qu'il entendait entrer en contact avec les gaullistes. De Gaulle se trouvait au Moyen-Orient et
il ne le vit pas. Les Anglais voulaient l'empêcher de rencontrer Dejean, le directeur des Affaires Extérieures. Il le verra cependant, mai cette rencontre n'eut guère de signification. Le volet de son programme Vichy-de Gaulle dut être provisoirement abandonné. Par contre,
le problème Vichy-Angleterre fut étudié avec le plus grand soin. En effet, outre les hommes de l'Intelligence Service, il vit plusieurs fois Churchill et Anthony Eden, ainsi que l'ambassadeur américain Winant. Churchill déclara qu'il comprenait le «caractère surhumain»
de la tâche accomplie à Vichy. «Dites à Vichy que je respecte profondément la personne du maréchal Pétain. Jamais je n'ai cru que cet homme
puisse souhaiter la victoire allemande.» Mais il n'est pas capable de faire le travail qu'il veut faire...Le voila subitement appelé à trancher sur toutes sortes de problèmes auxquels il ne connaît rien». Seuls les imbéciles sont pour une stricte neutralité Notre cause est commune.
Ce qui fut convenu, au cours de ces conversations, c'est que Groussard reviendrait bientôt en Angleterre pour voir de Gaulle.
«J'aurai, dès mon retour, deux buts : 1° essayer d'aider à l'unification de la résistance; 2° arriver à ce que les Alliés d'une
part, le Général de Gaulle d'autre part, concluent des accords précis avec certains membres du gouvernement de Vichy,
le maréchal Pétain approuvant ces accords.»
Pétain ne reçut pas Groussard, mais celui-ci parla longuement à Ménétrel. Le Maréchal avait dit à Huntziger qu'il était «partisan à fond de la continuation des pourparlers à Londres». Cela avait-il une grande valeur ? Pour le mesurer il suffit de voir la suite immédiate. Le 13 juillet Ménétrel remit à Groussard un passeport pour son départ, fixé au 24. Le 15 juillet, des policiers vinrent arrêter Groussard à son domicile. C'était l'oeuvre de Darlan. Le Maréchal ne fit absokument rien pour le faire libérer. «Rester fidéle à Pétain, c'était se lier à un homme, qui devenait une ombre, une ombre portant beau»...
La dernière tentative de rapprochement Vichy-Angleterre avait échoué. et cela d'autant plus que le 22 novembre 1941,Hunrtziger
périra dans un accident d'avion.
Je me suis procuré le Tome de
l'History of the Second Wolrd War, sur la
British Policy on the Second WOlrd War par
Sir Llewellyn Woodward, 1962. Il n'y a apparemment qu'une note à propos de Grouchard et de l'épisosde précédent, p. 102 :
Citer :
[...]In the latter part of june, 1941, a Colonel Groussard came to London with the knowledge of Marshall Pétain and
General Huntziger. The main purpose of his visit seemed to be to obtain information which would enable the Vichy authorities
to assess the chances of a British victory. He did not suggest any hope of french assistance to the Allied cause, or any readiness on
the side of Vichy to make sacrifices in order to bring about the defat of Germany.
Citer :
À la fin du mois de juin 1941, un colonel Groussard s’est rendu à Londres avec la connaissance du maréchal Pétain etGénéral Huntziger.
Le but principal de sa visite semblait être d’obtenir des informations qui permettraient aux autorités de Vichyd'évaluer les chances d'une
victoire britannique. Il ne suggérait aucun espoir d’assistance française à la cause alliée, ni de volonté dele côté de Vichy à faire des sacrifices
afin de provoquer la défaite de l'Allemagne.
Connaissiez vous cet épisode ?
_________________
«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès,
in Hérodote,
L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'
Empire libéral.