J'avoue avoir du mal à imaginer que la Shoah puisse avoir été "un accident" et qu'à la limite, elle aurait pu ne pas avoir été, si le Reich n'avait pas connu des revers militaires en 42. A la date de la conférence de Wahnsee, malgré l'échec de Moscou, la situation des armes lui est largement favorable et la victoire semble en vue. De l'autre côté du monde, le Japon déferle sur le Pacifique. C'est encore au printemps 42 que le RLM va refuser le jet Heinkel 280, sous l'argument que la guerre sera gagnée avant qu'il puisse être mis en service...
Si la Shoah n'avait pas été préméditée, logique, digne enfant de ce régime, elle n'aurait pas pu se mettre en place aussi vite, aussi efficacement, avec une telle adhésion de la part d'une masse de petits fonctionnaires zélés. Elle leur est apparue à tous, non comme un palier, mais dans la continuité. Höss, par exemple, ne s'est inquiété que du côté technique de la chose, et avant qu'il fasse fonctionner Auschwitz, l'extermination est en phase expérimentale dans divers petits camps. On y teste les chambres à gaz (avec des camions), les crématoires. On a déjà parqué les Juifs dans des ghettos. On a déjà commencé, dès 1941, à liquider les Juifs de tel ou tel district de Pologne, par des méthodes d'exécution traditionnelles certes, mais avec la même démarche rationnelle et l'objectif officiel de les rendre judenfrei. Le nazisme ne cherchait pas "simplement" à tuer un maximum de Juifs mais à en "nettoyer", "libérer" les territoires voués à la colonisation allemande. C'est une constante de cette idéologie. La Shoah en est la mise en oeuvre logique, monstrueusement inéluctable, pas un épisode de caprice "et ben, avant de perdre la guerre, on va tuer tous les Juifs, na !"
Cela arrivera quand, à la toute fin, les convois de déportés auront encore priorité sur les convois militaires. Mais tout le reste, n'est que la méthode logique que devait employer un Etat ultra-violent dont le programme consistait à purger un vaste territoire d'un groupe humain donné.
Sinon, à propos de ce que pensait le commun des Allemands, il suffit de consulter les souvenirs des déportés lorsque leur convoi croisait des civils; car malgré le secret entourant le massacre, cela arrivait. Par exemple, un détenu à propos des Allemands qui, en 45, larmoyaient devant un camp libéré par les US : "C'étaient les mêmes personnes qui nous jetaient des pierres quand nous traversions la ville dans nos uniformes rayés."
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