b sonneck a écrit :
J'entends bien, Karolus, mais la question que je me pose n'est pas pourquoi la France n'a pas attaqué l'Allemagne alors qu'elle lui avait déclaré la guerre. Ça, on est tous d'accord là-dessus : elle n'en avait pas les moyens.
Le drame, à mon sens, reste qu'elle se soit inconsidérément mise en situation de devoir déclarer une guerre dont elle ne voulait pas et qu'elle ne s'était pas donné les moyens de remporter. J'y vois une faute majeure de la politique menée par les dirigeants d'entre les deux guerres.
Je crois que politiques et militaires français s'étaient convaincus que la France pouvait soutenir une guerre longue.
On peut même imaginer qu'une partie d'entre eux ont pensé que Hitler ne prendrait pas le risque d'une réédition de la guerre des tranchées.
Il faut quand même mesurer qu'on parle d'une armée française dont l'école de guerre continue à enseigner la doctrine "des fronts continus", sans penser une seconde que la guerre puisse prendre une autre forme.
Dans tous les cas l'idée d'une guerre longue implique une autre préoccupation, vitale pour les Français : ne pas entrer en guerre sans l'Angleterre. (Cette considération explique l'abandon des Tchèques : à Munich ce sont les Anglais qui plient par avance. Et donc, de fait, il y a un partage des rôles : la France abandonne à l'Angleterre la direction politique de l'alliance, tandis que les Anglais savent pouvoir compter militairement sur la France.)
Le début de la guerre semble même donner raison à ceux qui pensent que Hitler ne veut pas d'une nouvelle guerre des tranchées. L'armée allemande, après la conquête de la Pologne, reste très longtemps "inactive". Un député dira à De Gaulle : "Ne voyez-vous pas que nous avons d'ores et déjà gagné la "Marne blanche ?" ce qui illustre bien les idées de certains milieux, militaires compris. Cette vision est très présente, beaucoup par exemple se félicitent de l'effet décisif à long terme du blocus naval anglais, qui avait affamé l'Allemagne pendant la Grande Guerre. (Raisonnement rendu absurde par le Pacte avec l'URSS, qui rendait ce blocus sans guère d'effet réel.) C'est ainsi que la première vraie décision de guerre est l'idée de bloquer en Norvège l'approvisionnement en minerai de fer de l'Allemagne, action qui n'a de sens que sur le long terme.
De Gaulle avertit vivement :"En aucun cas il ne faudrait croire que l'inactivité actuelle est représentative du conflit qui vient de s'ouvrir." Et de prophétiser tôt ou tard "des irruptions, des surprises, des manoeuvres rapides" sans réussir à convaincre.
Les services secrets français ne sont pas dupes non plus de la Drôle de Guerre, observant de longue date, dit Pierre Nord, "sans surprise et même avec une certaine envie, la multiplication des divisions Panzer du côté allemand, qui tenait de la multiplication des pains." Eux ont tiré les leçons de la campagne polonaise, mais qui les écoute ?
Il faut lire l'ouvrage "Une invasion est-elle encore possible" publié en mars 39 par le général
Chauvineau, préfacé par Pétain, pour voir jusqu'où peut mener le choix du confort intellectuel.
Pour être équitable, il faut tout de même souligner qu'il y a dans l'armée des officiers supérieurs qui ont pris la mesure des choses, ont repéré que les conditions du combat ne seront pas celles de la Grande Guerre - d'autant plus que celle-ci s'était terminée en 1918 sur une guerre de mouvement, pour simplifier - et se font un sang d'encre, pensant de plus, à juste titre, que l'armée anglaise restera négligeable avant longtemps.
Une seule inquiétude générale, omniprésente, la peur des bombardements, compte-tenu de la puissance de la Luftwaffe et du précédent du bombardement massif de Varsovie. (Elle conduira à faire déclarer Paris "ville ouverte", puis à prévoir une défaite anglaise rapide au moment de la chute de la France.)