Lili98 a écrit :
Selon vous, y aurait-il d'autres raisons expliquant le fait que ce dernier a été longtemps « ignoré » ?
Je suis navrée si ce questionnement paraît simple et naïf. Votre précédente réponse apporte déjà de solides explications.
Selon moi, mais aussi selon divers spécialistes, il y a 2 phénomènes en cause. Le premier concerne les dates de retour des divers déportés. En fait, ceux qui étaient en meilleur état sont rentrés les premiers. Donc, d'abord les prisonniers de guerre, puis ceux enfermés dans les camps de concentration, puis les déportés raciaux. Quand ils rentrent dans la seconde moitié de 1945, voire en 1946, ils arrivent dans un monde qui essaye de se reconstruire. Et ils ont l'impression que pas grand monde ne s'intéresse à ce qu'ils ont à raconter. Les grands procès de l'épuration, en France, ont eu lieu et l'opinion publique est passée à autre chose : comment gérer un quotidien difficile et remettre un pays où pas mal de grandes infrastructures ont été détruites, en marche. Globalement, quand on écoute les témoins, ils se trouvent confrontés à 3 choix : s'intégrer et bosser, émigrer aux USA, émigrer en Palestine et rejoindre le combat pour créer un foyer juif.
Surtout que se met en place, et c'est la 2ᵉ cause, une mémoire reconstruite de la SGM : à part quelques personnes, l'ensemble des français a résisté à l'occupation. Les collaborateurs, qui étaient une minorité, ont été jugés et condamnés. Quelques sous-fifres seraient passés à travers les mailles du filet. Mais, tous les français réconciliés sont appelés à travailler pour restaurer la grandeur de la France.
Cela vaut aussi pour pas mal d'autres pays qui vont faire le même choix. Même en Israël, ce sera : laissons de côté ces vieilles affaires et construisons notre pays !
Il y a bien des "témoins" qui vont raconter leur guerre. Il y a les résistants qui sont revenus des camps de concentration. Ils taisent que souvent dans les camps ceux qui ont survécu purent le faire, car ils appartenaient à un groupe constitué : les communistes, les résistants de telle obédience…, Les personnes isolées avaient peu de chance. Et, aux commémorations, il y avait les résistants communistes, les résistants non-communistes… Il faut lire les témoignages des juifs ou des homosexuels qui sont revenus des camps (pour les tziganes, c'est encore pire), quand ils voulaient participer à une commémoration, on les mettait à l'arrière, ou de côté. Ils sont généralement absents des photographies officielles ou des comptes-rendus des commémorations dans les journaux.
Alors, "on" sait qu'il y a eu des massacres de populations juives lors de l'avancée de l'armée allemande vers l'Est. Mais, l'ampleur du massacre est peu connue, à part par quelques spécialistes. Dans la volonté de mettre en avant le "peuple" résistant, dans de nombreux pays, dont la Pologne, on va globaliser les morts de la guerre. La Pologne va se présenter comme le pays où 6 millions de citoyens ont été tués par les allemands. Et tant pis si certains citoyens polonais se félicitent de ne plus avoir de voisins juifs...
Puis, dans les années 70, des survivants juifs commencent à questionner la vision de la Shoah. J'ai cité le film de Lanzmann, mais il y a aussi des articles, des livres. Puis, dans les années 80-90, il y a les procès en France, dont
le procès Barbie. Or, Barbie a déjà été jugé par contumace pour les crimes de guerre qu'il a commis, et dans une démocratie comme la France, on ne peut pas juger 2 fois quelqu'un pour les mêmes crimes : il sera donc jugé pour ses crimes contre l'Humanité. Quatre faits seront jugés :
Citer :
L'instruction, confiée au juge Christian Riss, débute en 1983. Christian Riss retient exclusivement le chef d'accusation de crime contre l'humanité, Barbie ayant déjà été jugé par contumace entre 1952 et 1954 pour crimes de guerre.
Trois faits sont retenus :
- la rafle de l'Union générale des israélites de France (UGIF) (9 février 1943) ;
- la rafle des enfants d'Izieu (6 avril 1944) ;
- le dernier convoi ayant quitté Lyon pour Auschwitz (11 août 1944).
Toutefois, à la suite de la plainte d'associations de résistants et de victimes, qui saisissent la Cour de cassation, celle-ci décide par un arrêt du 20 décembre 1985 d'un quatrième chef d'accusation : actes d'arrestation, torture et déportation de Juifs ou de résistants pris isolément
Puis, après la chute du mur de Berlin, il y a les travaux de l'abbé Dubois.
Malgré tout cela, il reste de nombreuses zones d'ombres. Une importante : quand Hitler décide qu'il faut exterminer les juifs. Pour certains, cela transparait déjà dans "Mein Kampf", pour d'autres, ce serait une évolution qui aurait eu lieu vers 1940-41. Ce qui conduit à une autre question, si Hitler a décidé qu'il fallait exterminer les juifs dès 1925, est-ce que tous les nazis, surtout ceux importants dans le parti, étaient en phase avec cette position et ont participé à cela dès le début.
La mise "hors la société allemande" des juifs est une condition préalable à la Shoah, elle a été mise en place dès 1933. Mais, le doute est toujours permis pour savoir si dès qu'on met cela en place, on sait qu'on va finir par exterminer les juifs ou pas.