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que sait-on du caractère (et des capacités oratoires) d'Adolf Hitler avant 1918?
Ses amis d'adolescence et de jeunesse le décrivent comme une personnalité dominatrice--dans la relation, ils se décrivent implicitement ou explicitement comme dominés par lui. C'est le cas de Kubizek dans son livre, où ils apparait comme très admiratif d'hitler, fasciné par sa personnalité intense. Clairement, il se considère comme très inférieur à son ami intellectuellement, et aussi il semble subjugué par son côté volontaire, autoritaire, irrascible et impulsif.
Cela n'implique pas pour autant qu'AH soit un chef de bande, il n'apparait pas comme grégaire, en fait plutôt solitaire à cet âge là. Mais dans la relation avec Kubizek, c'est AH qui prend les décisions, choisit les sorties qu'ils font ensemble, les lectures dont ils discutent etc;
Kubizek note aussi que Hitler aime déjà se lancer dans des tirades interminables sur tel ou tel sujet qui l'intéresse, et que le rôle qu'il lui assigne, comme à tous ses "amis" est essentiellement de l'écouter soliloquer.
Sur des photos d'enfant, Hitler a d'ailleurs un air volontaire et arrogant qui semble indiquer qu'il avait déjà une haute opinion de lui-même.
Prétendre que la personnalité d'Hitler change du tout au tout après Pasewalk est donc factuellement faux: il est déjà très "reconnaissable" dans les évocations de ceux qui l'ont connu avant qu'il soit connu.
De plus c'est psychologiquement absurde--les psychologues de toute obédience considèrent en effet que la personnalité est déjà essentiellement formée au sortir de l'enfance; disons qu'à une certaine époque, AH prend pleinement conscience de ses dons d'orateur parce qu'il trouve un milieu où il peut les exercer sur une grande échelle et être enfin apprécié et reconnu à sa juste valeur pour ça.
Mais Hitler a toujours été un individu qui discourait interminablement et s'écoutait parler, simplement il est passé d'un auditoire amical restreint à des foules entières.
Dans d'innombrables biographie d'hommes célébres, on lit qu'ils s'ennuyaient à l'école, et qu'avant de trouver leur voie (acteur, artiste, politicien etc) , ils ont fait 36 métiers desquels ils se sont plus ou moins faits renvoyer, parce qu'ils étaient nuls dans ces jobs, pas faits pour ça. Au contraire, dès que ces apparents ratés entrent en contact avec une activité et un milieu qui leur permettent d'utiliser des dons jusque là peu ou pas employés, ils s'épanouissent, cessent de galérer et connaissent enfin le succès--sans qu'il y ait besoin d'intervention psychanalytique pour autant.
Cette histoire de la métamorphose d'Hitler à Pasewalk relève des contes et légendes qui se développent inévitablement autour des personnages célèbres.
La plupart des humains ont soif de merveilleux et, à la plate et décevante réalité, préfèrent mythes et histoires rocambolesques. Il y aurait un fil à ouvrir sur les nombreuses légendes qui ont proliféré au sujet d'AH: Hitler l'homme à un seul testicule, Hitler l'homosexuel, Hitler l'homme au grand père juif (et maintenant Hitler l'Arabe pour changer), etc.
Plus généralement, chaque historien a sa vision d'Hitler, visions souvent si radicalement opposées qu'on se demande s'ils parlent bien de la même personne: Hitler " l'homme sans qualités", Hitler l'homme qui n'existe que par et pour le politique comme chez Kershaw, Hitler simple surface de projection de peurs et de fantasmes collectifs, Hitler le dictateur impuissant, et bien sûr Hitler le fou, avec une foule de subdivisions en différents diagnostics quant au type de psychopathologie dont il souffrait--hystérie, paranoia, névrose, psychose, pervers narcissique, etc.
Cette histoire de Pasewalk témoigne du naif optimisme (certains diraient mégalomanie) des disciples de Freud aux débuts de cette théorie, alors révolutionnaire, et dont, dans l'excitation de la découverte, ils surestimaient quelque peu l'importance ("je vous apporte la peste" a dit Freud, ce qui était très exagéré) ;
à les en croire, pour ce qui est de l'âme humaine, la psychanalyse pouvait tout expliquer et (presque) tout guérir.
On sait maintenant que la plupart des cas de guérison proclamés par Freud étaient frauduleux et que les problèmes de ses malades ont perduré après leur soi-disant guérison, si même le traitement imposé par Freud n'a pas complètement détruit leur santé.
Elle est aussi caractéristique de l'intérêt extraordinaire qu'a suscité Hitler chez les psychanalystes; une kyrielle de freudiens de toutes obédiences ont proposé leur propre explication de la personnalité du dictateur, pondant leurs théories sur son cadavre comme des mouches, prétendant pouvoir pénétrer et dévoiler les mystères insondables de son psychisme.
Et ces psychanalystes ont prétendu psychanalyser Hitler EN L'ABSENCE DU PATIENT, en violation de l'un des principes fondamentaux de la thérapie psychanalytique, l'écoute/décodage de la parole du patient, échafaudant, en l'absence d'informations concrètes, les interprétations et hypothèses les plus délirantes.
Hitler est ainsi devenu une sorte de passage obligé voire de lieu d'affrontement des interprétations psychanalytiques. Et c'est dans ce mouvement que s'inscrivent Binion et (sans doute) Lewis. Et aussi Weiss, enthousiaste de Freud (il aurait suivi l'enseignement du maître à Vienne) et son roman, qui a été écrit non pas comme une biographie visant à établir la vérité des faits sur certaines périodes de la vie du dictateur mais comme une défense et illustration de thèses psychanalytiques comme seules propres à expliquer son ascension.
A propos de Forster traitant Hitler par l'hypnose, Mr Delpla avance l'argument suivant: certes, on sait que Forster, d'après les dossiers médicaux de ses autres patients, n'utilisait pas l'hypnose pour les traiter, et pas davantage la psychanalyse. Mais ne peut on supposer que, vu la personnalité spéciale de Hitler (qui n'était donc pas si ordinaire que cela), il aurait fait une exception et aurait, pour une fois, tenté une expérience avec l'hypnose et la psychanalyse?
On peut tout supposer, mais l'historien ne fonde pas son travail sur des suppositions. On exige de lui à juste titre qu'il n'avance que sur la base de données constatables, au moins de faisceaux d'indices.
Qu'est ce qui nous prouve concrètement que Forster aurait pu utiliser une seule fois l'hypnose et la psychanalyse pour guérir Hitler? Rien, aucun document fiable, cette version n'existe qu'à l'état d'intrigue dans une oeuvre romanesque.
Qu'est ce qui nous prouve par contre que Forster utilisait d'autres méthodes, plus traditionnelles, pour traiter les soldats traumatisés? Les dossiers médicaux de ses autres patients, qui n'ont pas disparu, eux.
Et pourtant, c'est l'hypothèse "Forster hypnotiste" que retient Mr. Delpla. Ce qui pose un problème fondamental de méthodologie: chez lui, c'est l'absence même de preuves qui valide une hypothèse historique--parce que si les preuves sont absentes, ce ne peut être que parce qu'on les a fait disparaître.
J'ai d'ailleurs trouvé ce même type de logique paradoxale dans des ouvrages qui soutenaient que Hitler aurait été homosexuel ou juif: nous n'avons aucune preuve de son homosexualité ou de sa judéité mais justement, c'est parce qu'Hitler les a fait disparaître.
Donc, avec ce type de raisonnement, tout est possible: j'ai ainsi de bonnes raisons de penser que AH était un franc maçon transexuel adepte du satanisme
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Sérieusement, ce qui me gêne souvent chez Mr Delpla, qui néanmoins soulève souvent des questions intéressantes, c'est cette proclivité a toujours privilégier les hypothèses les plus invraisemblables, les plus sensationnalistes, les plus abracadabrantes.